Radio, édition, travel retail et Vivendi : Lagardère pose des jalons

La fin de la commandite conduit Vivendi à prendre le contrôle éclair du groupe Lagardère : Europe 1 va travailler avec Canal+, Hachette consolide ses positions aux États-Unis, les magasins asiatiques s’associent à JD.com.

L’accord trouvé entre les actionnaires de Lagardère, qui met fin à la commandite (voir La rem n°57-58, p.46), s’est concrétisé en assemblée générale, le 30 juin 2021. Il fait du groupe Vivendi le premier actionnaire de Lagardère. Mais Vivendi n’a pas attendu pour intervenir au sein de Lagardère, en particulier en ce qui concerne Europe 1. En difficulté, la radio généraliste, qui a des coûts de grille élevés, a divisé par deux son audience en moins de dix ans. Vivendi a donc souhaité, avant même le vote de l’assemblée générale, anticiper celui-ci pour intervenir à un moment clé dans le calendrier des radios, celui de la définition de la nouvelle grille de rentrée. La méthode Vivendi est classique et vise à adosser Europe 1 aux chaînes gratuites du groupe Canal+ (C8 et CNews) afin de mettre en œuvre des synergies, par exemple le partage d’animateurs et le transfert de notoriété qu’ils autorisent, voire le partage d’émissions – ce qui sera notamment le cas de l’émission de Laurence Ferrari, Punchline, qui sera diffusée simultanément sur CNews et Europe 1. De ce point de vue, Europe 1 va bénéficier des avantages qui sont ceux des radios concurrentes, ainsi du précurseur BFM, présent à la radio et à la télévision ; de RTL, qui s’est rapprochée des chaînes de M6 ; de Radio France, qui est alliée avec France Télévisions au sein de France Info TV.

Au-delà des synergies annoncées, le transfert d’animateurs et de journalistes venus de CNews a inquiété nombre de journalistes d’Europe 1. En effet, en offrant des tribunes à des profils très nationalistes et conservateurs, CNews est désormais identifiée comme une chaîne partisane, très à droite, même si ce constat ne saurait être généralisé à tous les journalistes et à toutes les émissions. Reste qu’Europe 1 semble reproduire ce qu’iTélé a connu : une fuite d’un nombre important de journalistes inquiets des intentions de Vincent Bolloré, qui contrôle Vivendi ; un engouement d’autres journalistes convaincus qu’il est plus que nécessaire de changer la station pour qu’elle bénéficie encore de perspectives ; l’assurance apportée par un actionnaire stable ; une refonte en profondeur de l’offre éditoriale qui va repositionner Europe 1 dans le paysage audiovisuel en ciblant prioritairement les cadres actifs et les publics aisés. Au moins les journalistes les plus inquiets avaient-ils raison : les synergies entre Europe 1 et Canal+ annonçaient bien plus qu’une simple relance de la station. Le 15 septembre 2021, le groupe Vivendi a en effet annoncé lancer une OPA (offre publique d’achat) sur Lagardère après avoir conclu un accord avec le deuxième actionnaire du groupe, Amber Capital, qui lui cède sa participation.

Alors que l’accord sur la fin de la commandite prévoyait une période de cinq ans de statu quo entre les actionnaires, Vivendi a finalement obtenu l’aval des principaux actionnaires pour prendre le contrôle total du groupe Lagardère trois mois à peine après la fin de la commandite. Le retrait d’Amber, le fonds à l’origine de la dénonciation de la commandite, conduit Vivendi, actionnaire à hauteur de 27,2 %, à monter à 45,1 % du capital du groupe Lagardère, ce qui l’oblige à lancer une OPA sur les autres titres. L’opération est souhaitée puisque la Financière Agache (Bernard Arnaud) et Arnaud Lagardère la soutiennent alors que leur alliance, à l’origine, visait à contrer les ambitions de Vivendi. Le groupe contrôlé par Vincent Bolloré propose une prime de 23,6 % sur le cours de l’action Lagardère le jour de l’annonce, soit 610 millions pour racheter les 17,93 % du capital de Lagardère détenus par Amber. L’opération devra toutefois obtenir l’aval des autorités de concurrence.

En s’emparant de Lagardère, Vivendi prend le contrôle d’un groupe qui réalise 4,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires – 54 % du montant étant apporté par Hachette, la branche édition de Lagardère, numéro 1 en France et numéro 3 aux États-Unis. Or, Vivendi contrôle également Editis, le numéro 2 de l’édition en France (voir La rem n°48, p.42), loin devant les éditions Gallimard et le groupe Media Participations, les numéros 3 et 4 du marché. La réunion d’Editis et de Hachette, si elle devait être autorisée, ne manquera pas de s’accompagner de cessions imposées par les auto­rités de concurrence. Mais Vivendi a des arguments à faire valoir, notamment la nécessité de disposer de groupes d’édition puissants pour négocier avec les plateformes, qui contrôlent la distribution numérique des livres et s’imposent également sur le marché en favorisant l’autoédition. Le périmètre de marché à considérer n’est plus, dans ce cas, celui des seuls éditeurs classiques, ce qui avait conduit, en 2003, les autorités de concurrence à refuser à Lagardère de racheter Editis à Vivendi.

En s’adossant à un grand groupe de médias, Lagardère retrouvera les moyens de ses ambitions, ce qui s’est traduit par deux initiatives qui attestent d’une mise en œuvre rapide d’une nouvelle stratégie. Dans l’édition, Lagardère – qui a vu Bertelsmann, son concurrent aux États-Unis, s’emparer de Simon & Schuster (voir La rem n°56, p.60) – a annoncé, le 16 août 2021, racheter l’éditeur américain Workman au prix de 240 millions de dollars. Emmenée par Warner Book, racheté par Lagardère en 2006, l’activité d’édition de Lagardère aux États-Unis va désormais représenter 30 % du total des revenus d’Hachette. Dans son autre grand secteur d’activité, le retail media, Lagardère a aussi amorcé un repositionnement en faisant entrer, le 1er septembre 2021, deux groupes chinois dans le capital de ses magasins dans les gares et aéroports d’Asie. Parmi eux, JD.com, le numéro 2 du e-commerce en Chine derrière Alibaba, qui doit aider Travel Retail Asia à développer une stratégie multicanal, les duty free du groupe devenant ainsi des lieux où l’on récupère des commandes passées à l’avance sur Internet. Enfin, la troisième activité du groupe Lagardère, moins importante, concerne ses médias avec Europe 1, mais aussi le JDD (Journal du Dimanche) et Paris Match : si Europe 1 devra travailler avec Canal+, le JDD et Paris Match vont intégrer le premier groupe de presse magazine français depuis que Vivendi a racheté Prisma Media fin 2020 (voir La rem n°57-58, p.43). Dans la presse, Vivendi a encore renforcé son périmètre en rache­tant, en septembre 2021, Édition Presse Magazines 2000, éditrice de Télé Z.

Sources :

  • « Bolloré multiplie les ponts entre Canal+ et Europe1 », Caroline Sallé, Enguérand Renault, Le Figaro, 17 juin 2021.
  • « Lagardère ouvre une nouvelle page de son histoire », Nicolas Madelaine, Les Échos, 1er juillet 2021. 
  • « Europe 1 : les salariés se pressent pour quitter la radio », Caroline Sallé, Le Figaro, 9 juillet 2021.
  • « Vivendi va lancer une OPA sur Lagardère », David Baroux, Les Échos, 15 septembre 2021.
  • « Hachette Livre acquiert Workman Publishing pour 240 millions de dollars », Nicolas Madelaine, Les Échos, 17 août 2021.
  • « Lagardère appelle le chinois JD.com à la rescousse », Enguérand Renault, Le Figaro, 3 septembre 2021.
  • « Vivendi va lancer une OPA sur le groupe Lagardère », Enguérand Renault, Le Figaro, 16 septembre 2021. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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