États-Unis : sous pression judiciaire, Apple ouvre un peu l’App Store

Concession sur les paiements en dehors de l’App Store, imposition par le juge de moyens de paiement alternatifs dans les applications : l’App Store doit s’ouvrir, mais il respecte le droit de la concurrence américain.

Confronté aux autorités de la concurrence en Asie, Apple doit, aux États-Unis, faire face aux juges. En effet, sur son premier marché, Apple se doit de sauver ce qui fait la force de son écosystème : l’association étroite et exclusive entre ses terminaux et son écosystème de services, dont l’App Store, son magasin d’applications. Ce dernier, associé à l’Apple Pay, permet à Apple de prélever des commissions qui peuvent s’élever jusqu’à 30 % de la dépense de l’utilisateur d’une application. Or, les critiques à l’égard de ce système intégré se multi­plient. Il pénaliserait les développeurs et l’inno­vation, tout en favorisant une augmentation du prix pour le consommateur du fait des commissions, autant de caractéristiques qui soulignent une possible atteinte au droit de la concurrence. Apple fait donc des concessions sur le marché américain afin d’éviter le pire : un jugement qui lui imposerait d’autoriser des magasins d’applications tiers sur ses propres terminaux.

Le 27 août 2021, Apple a ainsi annoncé s’être mis d’accord avec un groupe de développeurs californiens pour renoncer à l’action qu’ils avaient intentée en 2019, lui reprochant d’« avoir accaparé le marché des applis iOS avec son App Store et utilisé en connaissance de cause son monopole pour établir des commissions et des frais destructeurs de bénéfices ». Afin de permettre à ces développeurs de facturer des services sans passer par l’App Store, Apple les autorise à prévenir leurs clients de l’existence de moyens de paiement alternatifs en dehors de l’App Store, par exemple via un mail ou un SMS. La concession est donc minime : la communication sur les alternatives à l’App Store reste interdite depuis les applis et tout paiement in-app doit encore passer par l’Apple Pay. Le même jour, Apple a également annoncé que les commissions, réduites à 15 % pour les éditeurs réalisant moins de 1 million de dollars de chiffre d’affaires par an, allaient être maintenues pendant trois ans, la décision ayant été prise dans un contexte de pandémie.

Le 10 septembre 2021, la juge Yvonne Gonzalez Rogers a forcé Apple à de nouvelles concessions dans le procès qui l’oppose à Epic Games (voir La rem n°57-58, p.69). Elle considère en effet que les conditions commerciales de l’App Store sont trop restrictives et qu’Apple n’a pas le droit d’imposer son propre système de paiement. Apple devra donc, dès 2022, autoriser les éditeurs d’applications à proposer des moyens in-app de paiement, ce qui leur permettra de ne pas payer la commission associée à l’Apple Pay. Ces moyens de paiement seront donc externes, ce qu’indique l’injonction de la juge qui intime à Apple d’autoriser les développeurs à « inclure, dans leurs applications et boutons de méta­données, liens externes ou autre appel à des actions de la part du client, des systèmes d’achat alternatifs à celui de l’App Store ». En revanche, la juge n’a pas retenu l’accusation de pratiques monopolistiques liées à l’App Store ; Apple pourra donc continuer de décider quelles applications y ont toute leur place ou non, et ceci au gré des modifications de ses conditions d’utilisation. C’est la raison pour laquelle, le 22 septembre 2021, Apple a informé Epic Games que son jeu Fortnite, déjà retiré de l’App Store, le resterait jusqu’à l’épuisement des recours dans le procès qui oppose les deux parties.

Cette décision de la juge est lourde de conséquences. En effet, si « le succès n’est pas illégal », a-t-elle rappelé, néanmoins il justifie des commissions liées à un écosystème performant, dans la mesure où les développeurs souhaitent en bénéficier. Ce sera le cas quand, pour des raisons de fluidité de l’expérience de leurs utilisateurs, les développeurs d’applications sur l’App Store préféreront recourir à l’Apple Pay plutôt que de renvoyer vers des interfaces de paiement alternatives. Cette décision pérennise ainsi en grande partie l’écosystème mis en place par Apple. Elle permettra par ailleurs à Apple de contester plus fermement les criti­ques pour pratiques anticoncurrentielles qui émanent d’une partie de la classe politique américaine.

Ainsi, des sénateurs portent actuellement un projet de loi baptisé Open App Markets Act, qui vise à imposer le sideloading (transfert de fichiers entre deux appareils), à savoir forcer les éditeurs d’OS pour smartphone à autoriser l’installation de magasins d’applications concurrents du leur.

Sources :

  • « Google et Apple visés par un projet de loi américain », Tom Kerkour, Le Figaro, 13 août 2021.
  • « Sous la pression des développeurs, Apple fait sauter un verrou de son App Store », Hortense Goulard, Sébastien Dumoulin, Les Échos, 30 août 2021.
  • « Procès Epic : Apple encore contraint de lâcher du lest aux développeurs », Hortense Goulard, Les Échos, 13 septembre 2021. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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