Les aides de l’État à la presse, nouvelle arme pour défendre une information de qualité ?

Initialement conçues pour assurer le pluralisme des publications périodiques dont le Conseil constitutionnel a fait, dès 19841, un « objectif de valeur constitutionnelle », les aides de l’État à la presse ne paraissent pas toujours pleinement remplir cet objectif. La sélectivité d’un certain nombre d’entre elles est insuffisante et leur efficacité reste difficile à évaluer.

En 2020, le montant total de ces aides directes et indirectes atteint 840 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 483 millions d’euros alloués sur deux ans en réponse à la crise sanitaire2. Parmi les nombreuses aides économiques et fiscales accordées aux entreprises de presse imprimée et en ligne, les tarifs postaux préférentiels et le taux super réduit de TVA de 2,1 % sur les ventes sont cependant réservés aux seules entreprises éditrices titulaires d’un certificat d’inscription délivré par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), sous réserve du respect, par les publications concernées, d’un certain nombre de conditions. Ces conditions sont respectivement énoncées par l’article D. 18 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) pour les tarifs postaux préférentiels et par l’article 72 de l’annexe III du code général des impôts (CGI) pour le taux super réduit de TVA.

Inspiré du rapport de la mission confiée à Laurence Franceschini sur le renforcement de l’exigence du traitement journalistique pour l’accès aux aides à la presse3, le décret du 21 décembre 20214 durcit les conditions requises des publications de presse, en matière de contenu rédactionnel et de publicité, pour la délivrance, par la CPPAP, du certificat d’inscription nécessaire au bénéfice des tarifs postaux préférentiels et du taux super réduit de TVA, ainsi que pour la reconnaissance, par la même CPPAP, des services de presse en ligne. Le texte modifie donc, dans des termes identiques ou similaires, trois dispositions distinctes : l’article D. 18 CPCE relatif aux conditions nécessaires pour bénéficier des tarifs postaux préférentiels ; l’article 72 de l’annexe III CGI, qui énumère les critères d’accès au taux super réduit de TVA de 2,1 % et le décret du 29 octobre 20095 relatif aux critères de recon­naissance des services de presse en ligne. Cherchant à améliorer la qualité des publications bénéficiaires des aides, le décret de décembre 2021 ne constitue cependant qu’une réforme partielle des aides de l’État à la presse.

Amélioration de la qualité des publications bénéficiaires des aides

Par le durcissement des conditions d’accès aux tarifs postaux préférentiels et au taux de TVA de 2,1 % sur les ventes et des critères de reconnaissance des services de presse en ligne, le décret du 21 décembre 2021 cherche ostensiblement à améliorer la qualité des publi­cations bénéficiaires des aides de l’État. Il s’agit de lutter à la fois contre la diffusion de fausses informations, notamment en ligne, et contre la confusion, souvent entretenue par les contenus publirédac­tionnels, entre information et publicité. Les deux exigences posées par le décret récent concernent la production d’un contenu de nature journalistique, d’une part, et l’identification des publicités publiées, d’autre part.

Production d’un contenu journalistique

Aux conditions d’accès aux aides postales et fiscales et de reconnaissance des services de presse en ligne, le décret du 21 décembre 2021 ajoute un critère tenant au traitement journalistique des contenus publiés et, par voie de conséquence, l’exigence de la présence de journalistes professionnels au sein des rédactions.

Le décret du 13 avril 20126 avait ajouté deux conditions relatives au contenu des publications bénéficiaires des tarifs postaux préférentiels et de la TVA au taux super réduit de 2,1 % : la présentation d’un « lien direct avec l’actualité » et l’existence d’un « apport éditorial signifi­catif ». Mais, à la différence des services de presse en ligne dont la reconnaissance implique notamment, aux termes de l’article 1-5° du décret du 29 octobre 2009, la mise à disposition du public d’« un contenu original, composé d’informations présentant un lien avec l’actualité et ayant fait l’objet, au sein du service de presse en ligne, d’un traitement à caractère journalistique, notamment dans la recherche, la vérification et la mise en forme de ces informations », les publications bénéficiaires des aides subordonnées à la détention d’un certificat CPPAP n’étaient pas soumises, jusqu’à présent, à une telle exigence.

À compter de l’entrée en vigueur du décret de décembre 2021, les publications imprimées et en ligne devront toujours, pour bénéficier des tarifs postaux préférentiels et du taux de TVA de 2,1 % sur leurs ventes, présenter « un lien direct avec l’actualité, apprécié au regard de l’objet de la publication ». Le décret du 21 décembre 2021 supprime l’exigence antérieure d’un « apport éditorial significatif », mais ajoute la nécessité de « présenter un contenu original composé d’informations ayant fait l’objet d’un traitement à caractère journalistique, notamment dans la recherche, la collecte, la vérification et la mise en forme de ces informations ». La formule nouvelle retenue dans les articles D. 18 CPCE et 72 de l’annexe III CGI est calquée sur celle qui figure à l’article 1-5° du décret du 29 octobre 2009, parmi les critères de reconnaissance des services de presse en ligne. Le nouveau décret apporte cependant, dans ce texte comme dans les articles D. 18 CPCE et 72 de l’annexe III CGI, une précision importante sur ce qu’il convient d’entendre par « traitement à caractère journalistique ». Un tel traitement peut être le fait des agences de presse agréées par la CPPAP, mais il doit être « réalisé par une équipe rédactionnelle composée de journalistes professionnels au sens de l’article L. 7111-3 du code du travail ». La présence d’un journaliste professionnel au sein de la rédaction n’était, jusqu’à présent, exigée que pour les seuls services de presse en ligne d’information politique et générale, tels que définis par l’article 2 du décret du 29 octobre 2009. Le décret du 21 décembre 2021 précise cependant que la composition de l’équipe rédactionnelle « est appréciée en fonction de la taille de l’entreprise éditrice, de l’objet de la publication et de sa périodicité ».

À l’exigence de production du contenu par des journalistes professionnels, pour bénéficier des aides postales et fiscales soumises à la détention d’un certificat CPPAP, ce décret apporte une exception pour « les publications d’associations ou de groupements ». Sous réserve de présenter « un lien direct avec l’actualité ainsi qu’un contenu original » et de répondre aux autres conditions respectivement posées par les articles D. 18 CPCE et 72 de l’annexe III CGI, ces publications pourront prétendre aux tarifs postaux préférentiels et au taux très réduit de TVA.

Identification des publicités publiées

Au-delà du renforcement des exigences relatives à la nature journalistique des contenus publiés, le décret du 21 décembre 2021 ajoute aux conditions d’accès aux tarifs postaux préférentiels et au taux de TVA de 2,1 % et de reconnaissance des services de presse en ligne, la nécessité de respecter « l’obligation d’information du lecteur quant à l’identification des publi­cités publiées ».

Selon la nouvelle rédaction des articles D. 18 CPCE et 72 de l’annexe III du code général des impôts, cette obligation de transparence est imposée aux entreprises de presse imprimée et en ligne en application de l’article 10 de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse7. Cette disposition prévoit, dans son second alinéa, que « tout article de publicité à présentation rédactionnelle doit être précédé de la mention « publicité » ou « communiqué » ». Aux termes de l’article 15 de la même loi, la violation de cette disposition par le directeur de publication est passible d’une amende de 6 000 euros. Désormais, elle pourrait, théoriquement au moins, être sanctionnée aussi par le refus des aides dont le bénéfice est subordonné à l’obligation d’information du lecteur sur le caractère publicitaire des contenus publiés. Il reste que l’article 15-1 de la loi du 1er août 1986, qui prévoit que la violation par une entreprise éditrice d’une publication de presse d’un certain nombre de ses obligations légales « entraîne la suspension de tout ou partie des aides publiques, directes et indirectes », ne semble guère avoir reçu application.

La même obligation d’information du lecteur sur les contenus publicitaires est imposée par le nouvel alinéa 8° bis de l’article 1er du décret du 29 octobre 2009 aux entreprises qui revendiquent la qualité de service de presse en ligne. Cette obligation résulte alors de l’appli­cation de l’article 20 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 20048, dont les exigences sont sensiblement plus grandes. Non seulement la publicité diffusée sur un service de communication au public en ligne « doit pouvoir être clairement identifiée comme telle », mais elle doit aussi « rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée ». La pratique, récurrente en ligne, du publirédactionnel sans mention de l’annonceur montre que cela est loin d’être toujours le cas.

Réforme partielle des aides de l’État à la presse

Inspirées sur le fond par la louable intention de réserver les aides économiques et fiscales, comme le statut de service de presse en ligne aux seules entreprises produisant des contenus journalistiques clairement distingués des contenus publicitaires, les modifications apportées devront faire l’objet d’une évaluation. L’article 5 du décret prévoit en effet la réalisation d’un « bilan d’application » de ses dispositions « à l’issue d’une période de deux ans suivant » sa publication, donc un an et demi après son entrée en vigueur.

Aux termes de l’article 5 du décret du 21 décembre 2021, en effet, ses dispositions n’entreront en vigueur que six mois après la publication du texte, soit le 24 juin 2022. Ce délai relativement long est certai­nement motivé par le souci de permettre aux ministres de la culture ou de l’économie ou à La Poste de saisir la commission de demandes de réexamen, avant l’expi­ration de leur durée de validité, des titres précédemment délivrés par la CPPAP préalablement à l’adoption des nouveaux critères. Cette faculté est expressément prévue par l’article 4 du décret.

Il n’en demeure pas moins que les critères d’attribution des aides à la presse pourraient, entre-temps, être à nouveau modifiés. Conformément aux recommandations du rapport Franceschini, les publications et les services de presse en ligne d’information politique et générale devraient d’abord également être soumis, pour avoir accès aux aides postales et fiscales, à des exigences renforcées en termes de traitement journalistique de leurs contenus. Est ainsi envisagée une modification de l’article D. 19-2 CPCE relatif aux critères de définition des publications d’information politique et générale pour y ajouter soit « la part minimale de la masse salariale globale de l’entreprise qui doit être consacrée à la masse salariale des journalistes », soit la part minimale de journalistes dans les effectifs totaux de l’entreprise éditrice, soit la part minimale des frais éditoriaux par rapport aux coûts globaux de cette entreprise.

Une proposition de loi récente9 envisage par ailleurs, afin de renforcer l’indépendance des médias, d’ajouter dans la loi du 1er août 1986 de nouvelles obligations à la charge des entreprises éditrices en contrepartie du bénéfice des aides fiscales et postales accordées à la presse. Ces entreprises devraient notamment mettre en place un organe de gouvernance paritaire « composé pour moitié de salariés, parmi lesquels au moins deux tiers de journalistes ». Les rédactions devraient disposer d’un droit de veto sur la nomination du directeur de publication. Il faudrait également que les entreprises aidées investissent dans leurs charges de personnel un montant minimal de 35 % du chiffre d’affaires et que les journalistes représentent au moins la moitié de leurs effectifs.

Au regard des enjeux à la fois médiatiques, financiers et politiques des aides de l’État à la presse, la réforme opérée par le décret du 21 décembre 2021 semble passable­ment modeste. Motivée par la légitime préoccupation de ne pas subventionner des médias sans aucun journaliste, cette réforme ne répond pas aux questions récurrentes posées par l’aide de l’État à la presse, relatives, notamment, à ses véritables objectifs et à sa réelle efficacité.

Sources :

  1. Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984. Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse.
  2. « Aides à la presse : 76 millions d’euros versés à plus de 400 titres en 2019 », Le Figaro avec AFP, 2 juin 2021.
  3. « Mission Franceschini : la ministre de la Culture engage la mise en œuvre du rapport sur le renforcement de l’exigence du traitement journalistique pour l’accès aux aides à la presse », ministère de la culture, communiqué de presse, culture.gouv.fr, 20 avril 2021.
  4. Décret n° 2021-1746 du 21 décembre 2021 modifiant le code des postes et des communications électroniques, le code général des impôts et le décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 pris pour l’application de l’article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, Journal officiel, legifrance.gouv.fr, 23 décembre 2021.
  5. Décret n° 2009-1340 du 29 octobre 2009 pris pour l’application de l’article 1er de la loi du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, legifrance.gouv.fr.
  6. Décret n° 2012-484 du 13 avril 2012 relatif à la réforme des aides à la presse, au fonds stratégique pour le développement de la presse et au fonds de soutien à l’émergence et à l’innovation dans la presse.
  7. Loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse.
  8. Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.
  9. Proposition de loi relative à l’indépendance des médias, Assemblée nationale, n° 4999, 8 février 2022.
Maître de conférences à l’Université Paris 2

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