L’accord final sur la fiscalité internationale annonce la fin des « taxes Gafa » en Europe

Après négociation, l’accord de l’OCDE sur la fiscalité internationale est définitivement adopté. Les pays d’Europe qui avaient mis en place une taxe dite « Gafa » s’engagent à la supprimer une fois l’accord mis en œuvre.

L’accord trouvé au sein de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le 1er juillet 2021, sur le principe d’une réforme de la fiscalité internationale autour de deux piliers – celui de la taxation des bénéfices résiduels sur leur lieu de réalisation et celui d’un impôt minimal mondial – a donné lieu à d’intenses tractations sur les conditions de sa mise en œuvre. Le 8 octobre 2021, le cadrage politique final de l’accord a été finalement approuvé par l’OCDE. 137 pays sont signataires, dont l’ensemble des pays de l’Union européenne, alors que certains étaient réticents au départ. C’est qu’entre-temps l’accord de principe du 1er juillet a débouché sur des formulations moins contraignantes pour satisfaire le plus grand nombre de pays, l’accord initial étant d’abord un compromis entre ses promoteurs historiques, dont la France, et les États-Unis (voir La rem n°59, p.25).

Le premier pilier concerne la taxation, sur leur lieu de réalisation, d’une partie des bénéfices des multinationales dont le chiffre d’affaires est d’au moins 20 milliards d’euros et dont la rentabilité est supérieure à 10 %. Cette partie des bénéfices était fixée entre 20 et 30 % du total en juillet 2021 : ce sera fina­lement 25 % dans l’accord du 8 octobre 2021. Sur ce point, deux positions s’opposaient : celle des pays les plus riches et celle des pays les moins développés. Les pays riches accueillent en effet l’essentiel des multinationales, et leur intérêt était de limiter au maximum la part des bénéfices de leurs multinationales qui sera taxée localement. Si ce pilier 1 répond en fait à la volonté de nombreux pays de mieux taxer les bénéfices des géants du numérique, il se révèle défavorable aux grandes économies, pays d’Europe inclus. Les États-Unis ont donc milité pour un taux minimal de 20 % quand nombre de pays moins développés, dont le Brésil, l’Inde et la Turquie, exigeaient, eux, un taux de 30 %. La France a proposé un compromis à 25 % qui a finalement été accepté, ce qui signifie que 25 % des bénéfices des grandes multinationales seront taxés localement. Ce dispositif est révolutionnaire sur le plan fiscal puisqu’il substitue, pour l’application de l’impôt, le principe de l’établissement fiscal stable à celui des pays dits « de marché ». Une redistribution est annoncée mais elle sera limitée, car le dispositif favorise d’abord les pays de consommation, qui sont aussi ceux qui abritent l’essentiel des sièges des multinationales. Ainsi, la France va pouvoir taxer une partie des bénéfices de Google (Alphabet), mais une partie des bénéfices de LVMH sera désormais taxée à l’étranger.

Le pilier 2 met fin, de son côté, aux paradis fiscaux en imposant un taux minimal d’impôt sur les sociétés de 15 %. En juillet 2021, la formulation était d’« au moins 15 % ». Pour convaincre l’Irlande, le « au moins » a été entre-temps supprimé, faisant du taux de 15 % la norme sur laquelle la plupart des pays devront s’aligner : le moins-disant fiscal l’a donc emporté. Des aménagements ont dû été consentis pour accompagner sa mise en œuvre. Dans le calcul de l’assiette de la base imposable, pays par pays, les entreprises pourront déduire 10 % de la masse salariale et 8 % du montant des actifs incorporels de leurs filiales à l’étranger, pendant cinq ans ; puis ces deux rabais seront limités à 5 % entre la sixième et la dixième année avant que le taux de 15 % ne s’applique à l’ensemble des bénéfices réalisés à l’étranger. La Hongrie et, plus généralement, les pays d’Europe de l’Est qui ont misé sur leur attractivité fiscale et le coût de la main-d’œuvre pour attirer des investis­sements industriels tenaient à cet assouplissement qui laisse un temps d’adaptation lié à leur modèle économique. Quant à la Chine, elle a longtemps souhaité ne pas appliquer le pilier 2, afin de ne pas exiger de ses entreprises qu’elles lui paient des impôts quand elles investissent dans des pays à la fiscalité avantageuse. La Chine souhaitait en effet privilégier l’internationali­sation de ses groupes plutôt que ses propres recettes fiscales. Elle a obtenu, en échange de son ralliement, de dispenser de l’impôt minimal, pendant les cinq premières années, toutes ses entreprises qui détiennent moins de 50 millions d’euros d’actifs à l’étranger.

Reste donc, une fois l’accord finalisé dans ces termes, à le mettre en œuvre, l’objectif étant qu’il soit effectif dès 2023. Pour le pilier 1, une convention multilatérale sous l’égide de l’OCDE est nécessaire. Alors que les grands groupes, représentés par l’instance Business at OCDE, se sont plaints de ne pas être assez consultés, ils devront faire avec un processus accéléré, l’OCDE ayant précisé, le 20 décembre 2021, les futures normes fiscales qui doivent tout à la fois éviter la double imposition et préserver l’esprit de l’accord conclu en juillet 2021. Les États signataires devront ensuite intégrer ces modifications dans leur fiscalité, ce qui suppose un vote des Assemblées. Aux États-Unis, un vote aux deux tiers par le Congrès est nécessaire, ce qui menace la mise en œuvre de l’accord de l’OCDE outre-Atlantique. Les Européens le savent. Après la signature du compromis final le 8 octobre, l’Autriche, l’Espagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni se sont mis d’accord avec les États-Unis, le 21 octobre 2021, pour supprimer leurs « taxes Gafa ». Ces pays s’engagent à rembourser un éventuel trop perçu d’impôts, de manière rétroactive, une fois calculées les taxes à percevoir sur les bénéfices résiduels depuis l’entrée en vigueur de leurs « taxes Gafa ». En contrepartie, les États-Unis ne mettront pas en œuvre leurs menaces de sanctions commerciales. Mais cet accord ne sera valable que le jour où les États-Unis auront adopté et appliqué l’accord de l’OCDE, donc pas avant 2023 et pas avant un vote positif du Congrès. En attendant, les « taxes Gafa » sont maintenues, qui visaient justement à répondre à l’insuffisante taxation des géants du numérique sur le lieu de réalisation de leurs bénéfices.

Pour le pilier 2, la mise en œuvre du taux minimum d’impôt relève d’abord des États, certains n’étant de facto pas concernés puisqu’ils ont un taux d’impôt supérieur à 15 %. Mais, là encore, l’OCDE est chargée d’élaborer des règles types que chacun des pays signataires de l’accord devra suivre, qu’il s’agisse des normes comptables à mettre en œuvre ou du calcul du taux d’impôt réel. En Europe, une directive sera nécessaire, que la France espère voir adopter à l’occasion de sa présidence de l’Union durant le premier semestre 2022. Les règles seront donc les mêmes pour tous les États européens, quoique, dans les détails, leur formulation puisse, en grande partie, changer les équilibres fiscaux entre pays. Ainsi, la France a obtenu que le crédit d’impôt recherche soit considéré comme une subvention et non comme une baisse de l’impôt normalement dû par les sociétés : même subventionnées, ces sociétés conservent donc un taux d’imposition élevé qui les exempte du pilier 2. L’impôt minimal mondial n’évitera donc pas la compétition entre États, qu’il s’agisse d’imaginer de nouvelles subventions ou de jouer sur le montant des prélèvements obligatoires. Il met un terme, en revanche, aux stratégies agressives des paradis fiscaux comme les Bermudes ou les Bahamas qui, sans aucun investis­sement des multinationales sur leur sol, attiraient en revanche une grande partie de leurs bénéfices.

Sources :

  • « Taxe Gafa : la réforme fiscale des multinationales à l’heure de vérité », Richard Hiault, Les Échos, 6 octobre 2021.
  • « Ultimes tractations sur la taxation mondiale », Anne Cheyvialle, Le Figaro, 8 octobre 2021.
  • « Multinationales : accord fiscal inédit à l’OCDE », Richard Hiault, Les Échos, 11 octobre 2021.
  • « Taxation mondiale : l’accord historique vise 2023 pour son entrée en vigueur », Anne Cheyvialle, Pierre-Yves Dugua, Le Figaro, 11 octobre 2021.
  • « L’Europe et les États-Unis enterrent la hache de guerre sur la taxe Gafa », Richard Hiault, Les Échos, 22 octobre 2021.
  • « Impôt minimum mondial : les entreprises fixées sur les nouvelles règles du jeu », Nathalie Sibert, Les Échos, 21 décembre 2021. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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