Loi sur l’audiovisuel : Varsovie fait finalement machine arrière

À Varsovie, le président Andrzej Duda a décidé de jouer la prudence lorsque, fin décembre, il a apposé son veto à la loi dite « Lex TVN ». Adoptée le 17 décembre 2021 par le Parlement polonais, cette loi visait particulièrement le groupe américain Discovery pour sa chaîne d’information indépendante TVN24.

Appelé « Lex-TVN » par l’opposition et les obser­vateurs, mais justifié comme lutte contre les ingérences étrangères par le parti PiS (Droit et justice) au pouvoir, le texte de loi prévoyait de limiter à 49 % l’acquisition de médias polonais par des entreprises n’appartenant pas à l’Espace économique européen.

Alors que le projet de réforme de l’audiovisuel avait déjà soulevé autant d’interrogations que d’indignations à maintes reprises, les conditions d’adoption de la loi dite « TVN » par la Diète, le 17 décembre 2021, ont également déclenché de vives contestations (voir La rem n°59, p.22). Si la Chambre basse avait effecti­vement validé le projet de loi après deux procédures de vote en août 2021, le texte était resté en suspens. Quatre mois plus tard, à la veille des vacances de Noël, le texte est inscrit à l’ordre du jour du Parlement juste quelques heures seulement avant le vote. D’abord rejeté par le Sénat, où l’opposition est majoritaire, le texte a finalement été adopté par la Diète dans un dernier vote serré (229 voix contre 212, avec 10 abstentions). Des milliers de Polonais ont immédiatement manifesté dans les rues avant que la Commission européenne ne condamne, elle aussi, cette loi posant « des risques graves pour la liberté et le pluralisme des médias ».

Pour que la loi entre en vigueur, il fallait que le prési­dent Andrzej Duda la ratifie. Chose qu’il a refusé de faire, malgré sa proximité avec le parti Droit et justice. En mettant son veto le 27 décembre 2021, Andrzej Duda déclare lors d’une allocution télévisée partager l’opinion de la majorité de ses compatriotes « qui estiment que nous n’avons pas besoin de nouveaux conflits en cette période ». Il renvoie ainsi le texte au Parlement pour un nouvel examen, Parlement qui pourrait contourner le veto présidentiel si les deux tiers des députés votaient en ce sens – ce qui, selon toute vraisem­blance, paraît impossible actuellement.

S’il a finalement décidé de jouer la prudence, c’est qu’au-delà de la pression populaire Andrzej Duda répond également à des enjeux qui dépassent le seul cadre politique national. Le président polonais a ainsi justifié son veto par le respect d’un traité de 1990 sur des accords économiques et commerciaux signé avec les États-Unis. Avec ces derniers, les relations sont à préserver, comme avec l’Union européenne et tous les autres membres de l’Otan, sachant que l’instabilité s’intensifie aux frontières orientales de la Pologne – pour ne citer que la récente crise migratoire orchestrée en Biélorussie ou les menaces d’invasion de l’Ukraine par la Russie. En outre, cette concession faite sur la loi audiovisuelle évite à Varsovie d’être sur tous les fronts face à l’Union européenne. La Pologne est en effet sévèrement pénalisée. À la suite de la non-suppression de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, comme l’Union européenne l’exigeait depuis plusieurs mois, la Commission a envoyé une première injonction de paiement à Varsovie le 19 janvier 2022. Autre volet sur lequel Varsovie est condamnée : l’exploitation de la mine de charbon de Turow, l’une des plus polluantes d’Europe, pour laquelle la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a ordonné en septembre 2021 une astreinte journalière de 500 000 euros. Une astreinte que la Pologne se refuse à payer, ce qui pourrait, dans les semaines à venir, se transformer en une privation de 15 millions d’euros sur le budget alloué à l’État par l’Union.

De son côté, Bruxelles précise son projet de loi pour garantir l’indépendance des médias. Depuis plusieurs mois, Bruxelles prépare une loi garantissant la pérennité et l’indépendance des médias, et cela uniformément au sein de l’Union. En effet, les questions liées à l’indépendance des organes d’information font régulièrement l’objet de litiges – particulièrement en Europe centrale et de l’Est, comme en témoignent ces deux dernières années les questionnements sur le financement des médias en Slovénie, la fermeture de la principale radio privée indépendante en Hongrie, ou le cas de TVN24 en Pologne.

Conformément à ce qui avait été annoncé par la présidente de la Commission européenne en 2021, le commissaire européen en charge du marché intérieur, Thierry Breton, a présenté officiellement, le 12 janvier 2022, le projet de « Media Freedom Act ». Ce texte vise à garantir l’indépendance des médias, d’une part, en assurant intégrité et pluralité ; d’autre part, en renforçant la gouvernance des médias publics. Ce texte doit circonscrire ce qui relève du droit européen, et échappe donc aux logiques de souveraineté nationale, afin de protéger uniformément les journalistes et leur profession.

La Commission européenne a lancé une vaste consultation publique sur le sujet, dont les appels à contributions seront clôturés le 21 mars 2022. La proposition devrait être présentée par la Commission durant le troisième trimestre 2022, a priori peu de temps avant que le Conseil de l’Union européenne soit présidé par la République tchèque. Le ministre tchèque des affaires européennes, Mikuláš Bek, a d’ailleurs annoncé faire de ce sujet l’une de ses préoccupations principales, aux côtés de l’État de droit, lors de la présidence à venir de la République tchèque.

Sources :

  • « Préserver la liberté des médias dans l’UE – nouvelles règles », Législation, ec.europa.eu.
  • « Bruxelles veut renforcer l’indépendance des médias européens », Derek Perrotte, Les Échos, 30 novembre 2021.
  • « Chaîne de télé menacée en Pologne : TVN obtient un répit », Nelly Didelot, Libération, 19 décembre 2021.
  • « État de droit : la Commission ouvre une procédure d’infraction contre la Pologne pour violation du droit de l’Union par son Tribunal constitutionnel », communiqué de presse, europarl.europa.eu, 22 décembre 2021.
  • « La Commission européenne lance une nouvelle bataille juridique contre la Pologne », Catherine Chatignoux, Les Échos, 22 décembre 2021.
  • « Veto du président polonais à une loi controversée sur les médias », Virginie Robert, Les Échos, 27 décembre 2021.
  • « Pologne : le président oppose son veto à une loi controversée sur les médias », Camille Marigaux, franceculture.fr, 28 décembre 2021.
  • « État de droit : la Commission européenne décidée à frapper la Pologne au portefeuille », Virginie Malingre et Jakub Iwaniuk, Le Monde, 21 janvier 2022.
  • « Media freedom to be focus of Czech EU Council presidency », Molly Killeen, euractiv.com, January 28, 2022. 
Doctorante à l’Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC), Aix-Marseille Université, Université de Toulon

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