Rapport sur le financement de la production et de la diffusion d’œuvres photographiques

La crise de la presse écrite et la révolution numérique ont décimé le métier du photojournalisme

En mars 2021, Roselyne Bachelot-Narquin, alors ministre de la culture, a missionné Laurence Franceschini, conseillère d’État, afin d’étudier « les mutations de la filière photographique et d’envisager les renforcements nécessaires pour accompagner les professionnels de ce secteur ». Le rapport, après avoir dressé l’état des lieux du secteur et l’évolution de ses pratiques, propose trente et une mesures pour « améliorer le respect du droit d’auteur des photographes, renforcer la visibilité de la création photographique et des femmes photographes, développer le soutien aux différents acteurs du secteur, mieux protéger le patrimoine photographique, développer le soutien à l’éducation à l’image ».

Le monde de la photographie, par nature composite, englobe une diversité de marchés : celui de la création, de la presse, de l’édition ou encore de l’illustration. Le rapport aborde notamment le photojournalisme, indissociable de l’état du marché de la presse écrite et de son lent déclin amorcé à partir des années 1990. À l’image des profondes mutations du secteur de la presse, induites notamment par la « révolution numérique », le marché de la photographie s’est entièrement reconfiguré autour de grands acteurs internationaux. La crise que traverse la presse écrite a provoqué « une diminution drastique des commandes faites aux photojournalistes ». La révolution numérique a eu pour effet d’« intensifier la circulation des images », dorénavant produites en partie par des photographes amateurs, et le développement d’un « marché low cost » en entamant durablement les revenus des photojournalistes.

Les grands gagnants de cette implosion du marché de l’image sont, selon le rapport, « les fournisseurs d’accès à internet (FAI), les fabricants de matériel (smartphones, tablettes, etc.), les moteurs de recherche, sans que les créateurs d’images en bénéficient compte tenu de la faible remontée des revenus de l’aval vers l’amont ». De plus, le développement des banques d’images en ligne – que leur contenu soit sous licence Creative Commons (des licences permettant aux auteurs de mettre leurs œuvres à la disposition du public selon des conditions prédéfinies) comme Pixabay, Pexels ou Unsplash ou payant comme Shutterstock, iStock by Getty ou Adobe Stock – a également fortement fragilisé les revenus des photojournalistes. « En vendant des millions d’images dites « libres de droit » à des prix inférieurs à 1 € et sans limite d’utilisation, elles contribuent à l’effondrement généralisé de la valeur de l’image sur l’ensemble de la chaîne de production et de diffusion ainsi qu’à la violation des principes du droit d’auteur » explique le rapport.

L’implosion du marché du photojournalisme a incité bon nombre de personnes à quitter la profession, ou à se reconvertir dans des activités photographiques à destination des entreprises. Le nombre de photographes disposant d’une carte de presse est ainsi passé, selon l’Observatoire des métiers de la presse cité par le rapport, de 1 541 en 2000 à 840 en 2019. La précarité du métier de photojournaliste n’est ignorée de personne et « le respect des délais de paiement des photo­journalistes par les éditeurs de presse, la liberté du choix de la syndication, la préservation de la rémunération des photojournalistes, le respect de pratiques concurrentielles loyales au sein du marché des agences et les critères d’attribution de la carte de presse » sont les inquiétudes les plus récurrentes qui minent la profession depuis de nombreuses années.

Parmi les trente et une mesures que propose le rapport, quelques-unes sont destinées à la profession de photojournaliste pour des éditeurs de presse. La première d’entre elles consisterait à « mettre en œuvre le partage de la rémunération des journalistes – et donc des photojournalistes – au titre du droit voisin des éditeurs et agences de presse », droit voisin versé par les acteurs du numérique qui reprennent les contenus produits par les éditeurs de presse (voir supra). Le rapport propose également de « renforcer les engagements conventionnels des éditeurs » envers les photojournalistes, comme celui de « privilégier l’approvisionnement auprès des photo­journalistes, des agences photographiques et des agences de presse », ou encore d’« associer systémati­quement à la publication de la photographie le crédit lié à celle-ci ». Afin d’inverser la tendance selon laquelle les femmes sont majoritaires dans les écoles de photo­graphie (58 %) et mino­ritaires dans la profession (34 %), le rapport préconise également de créer « une bourse à destination des femmes photographes en milieu de carrière (période particulièrement charnière) portée par une institution majeure de la photographie », et dont les quatre lauréates verraient leur travail fortement médiatisé, en France et à l’échelle internationale.

Rapport sur le financement de la production et de la diffusion d’œuvres photographiques, ministère de la culture, Laurence Franceschini, décembre 2021.

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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