La start-up nantaise MicroEJ est un acteur majeur de l’internet des objets

Surnommée le « petit frère d’Android », en référence au système d’exploitation développé par Google, MicroEJ Virtual Execution Environment (VEE) est une plateforme logicielle compatible avec n’importe quel processeur des systèmes embarqués équipant les objets connectés et l’internet des objets (voir La rem n°60, p.80). L’entreprise nantaise MicroEJ double ses ventes tous les dix-huit mois, alors que Google et Samsung ont arrêté d’investir dans cette activité.

Quel est le point commun entre un vélo connecté, une montre connectée, un compteur électrique ou un dispositif d’éclairage urbain ? Tous ces appareils ou installations sont équipés de composants électroniques grâce auxquels ils peuvent émettre, recevoir, stocker et traiter des données via le réseau internet. Les objets connectés, aussi petits soient-ils, et l’internet des objets intègrent des « systèmes embarqués », systèmes électroniques qui exécutent des tâches selon un programme informatique.

MicroEJ VEE est un conteneur logiciel, basse consommation, compatible avec n’importe quel système embarqué. La fabrication d’un objet connecté implique nécessairement le développement de la partie logiciels des composants électroniques. L’innovation de MicroEJ consiste à « virtualiser » un système d’exploitation très peu énergivore. Elle permet d’opérer à distance les composants matériels des microcontrôleurs, microprocesseurs et autres éléments intégrés sur la puce électronique d’un système embarqué. La finalité est d’offrir un environnement de développement d’applications logicielles sur des jumeaux numériques (voir La rem n°56, p.76), c’est-à-dire des appareils simulés par des ordinateurs à distance.

« L’idée des conteneurs logiciels n’est pas nouvelle » explique Fred Rivard, fondateur et président de MicroEJ. « Tous les serveurs, tous les PC, tous les smartphones ont de la virtualisation, mais seul l’univers des objets connectés en était dépourvu. Tout simplement parce qu’ils étaient trop volumineux et consommaient beaucoup de mémoire. » Et c’est bien là où MicroEJ a su faire la différence, notamment face à Google, qui avait lancé dès 2016 une version allégée de son système d’exploitation pour smartphone Android, afin de s’adapter au marché des objets connectés et de l’internet des objets, mais s’est résolu à l’arrêter en janvier 2022. Là où Android nécessitait 500 000 kilo-octets et une puce dont le coût oscillait entre 10 et 25 dollars, le conteneur logiciel de MicroEJ ne requiert qu’un microcontrôleur de 512 kilo-octets équipé d’une puce dont le prix varie entre 1 et 10 dollars. MicroEJ aime ainsi à s’appeler le « petit frère d’Android », car son conteneur logiciel permet de faire fonctionner les mêmes applications qu’Android.

En octobre 2004, Fred Rivard crée la société I2ST (Industrial Smart Software Technology) à Nantes, au sein de l’incubateur Atlanpole, pôle de compétitivité interrégional, avec pour ambition de développer des solutions logicielles pour les systèmes embarqués. Après une première phase de recherche et dévelop­pement, financée notamment par le fonds Innovacom, l’entreprise est rebaptisée MicroEJ (EJ pour Embedded Java) et continue de se financer via des accords de codé­veloppement avec des industriels comme Schneider Electric ou Bouygues. Depuis 2011, les investissements en R&D totalisent 40 millions d’euros, avec lesquels MicroEJ doit faire face aux deux acteurs de poids que sont Google et Samsung, très actifs sur le marché des objets connectés et de l’internet des objets. Dès 2016, MicroEJ s’internationalise, en ouvrant un bureau aux États-Unis puis au Japon, en Corée du Sud, en Chine, en Allemagne et en Roumanie, avec aujourd’hui une soixantaine de collaborateurs.

La polyvalence, la flexibilité et la compatibilité de MicroEJ VEE avec Google ont fini par convaincre de nombreuses marques et des fabricants d’objets connectés et de dispositifs pour l’internet des objets, dans des domaines variés allant des appareils électroménagers à l’électronique portée sur soi, la domotique, les appareils médicaux, les machines industrielles ou encore les réseaux urbains électriques comme les compteurs d’électricité ou les dispositifs d’éclairage des villes. Airbus, Decathlon, Schneider, SEB, Rowenta, Krups, Moulinex, Leroy-Merlin, Thales, Iridium sont quelques-unes des nombreuses entreprises clients se servant de la suite logicielle de MicroEJ pour développer la partie applicative qui permet de piloter leurs matériels ou équipements connectés. De plus, parce que MicroEJ VEE est un environnement d’exécution virtuel, ce conteneur logiciel est compatible avec tous les systèmes d’exploitation couramment utilisés dans les systèmes embarqués, comme FreeRTOS, QP/C, ucOS ou encore ThreadX, et fonctionne même sans système d’exploitation.

L’autre avantage d’un environnement d’exécution virtuel réside dans la possibilité de concevoir en parallèle, grâce au simulateur, l’électronique « matériel » et les applications logicielles à embarquer dans les équipements. Le temps de développement des dispositifs s’en trouve considérablement réduit, en comparaison du mode classique qui reposait d’abord sur la conception du matériel, puis, dans un second temps, sur la conception des logiciels.

La compatibilité de MicroEJ VEE avec le système d’exploitation de Google donne également à l’entreprise et à ses clients l’accès à l’écosystème de développeurs informatiques, au nombre de 35 millions dans le monde, familiers de l’environnement Android Studio de Google. Grâce au kit de compatibilité Android, il est possible de faire coexister deux processeurs dans un équipement embarqué dans le but de répartir les tâches entre un processeur très puissant alimenté par Android et un processeur à faible consommation alimenté par MicroEJ, avec pour conséquence de réduire considérablement la consommation d’énergie du dispositif.

Enfin, en matière de sécurité, l’intérêt d’un environnement d’exécution virtuel est que, selon Fred Rivard, « les fabricants peuvent facilement réutiliser leurs actifs spécifiques existants, tels que les algorithmes commerciaux, intégrer des protocoles IoT et les mettre à jour à la volée si nécessaire, sans avoir à interrompre l’appareil. Cela garantit que les composants logiciels sont toujours à jour et offre un moyen rapide et facile de corriger les vulnérabilités avant qu’elles ne soient exploitées ».

L’entreprise, qui réalise des profits depuis 2017, croît de manière organique et se développe considérablement sur le marché international. Chaque année, MicroEJ est présente au Consumer Electronics Show à Las Vegas, le plus grand salon au monde consacré à l’innovation technologique en électronique grand public. Le nombre de dispositifs de l’internet des objets alimentés par MicroEJ s’élève actuellement à 150 millions d’unités et l’entreprise vise à en équiper 1 milliard d’ici à 2026.

Sources :

  • MicroEJ : microej.com
  • « Avec des dizaines de millions d’objets électroniques du quotidien Powered by MicroEJ, l’éditeur français MicroEJ dispose d’une communauté de 35 millions d’ingénieurs dans le monde ! », Jean-Marc Sylvestre, forbes.fr, 1er novembre 2021.
  • « MicroEJ becomes compatible with Android™ Studio for Any Smart Thing », MicroEJ, globenewswire.com, June 30, 2022.
  • « MicroEJ kit boosts Android portability in the IoT Technology », Nick Flaherty, eenewseurope.com, June 30, 2022.
  • « Containers Keep C/C++ and Java Isolated », William G. Wong, electronicdesign.com, January 4, 2023.
  • « MicroEJ, le petit Nantais qui monte dans l’Internet des objets », Solveig Godeluck, lesechos.fr, 11 janvier 2023.
  • « MicroEJ Improves UI with its Secure IoT Solutions », Chad Cox, embeddedcomputing.com, January 13, 2023.
  • « Software Portability Is Key Driver for Embedded IoT », Nitin Dahad, eetimes.com, January 30, 2023. 
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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