CEDH, 9 février 2023, C8 c. France, n° 58951/18 et 1308/19. Arcom, 9 février 2023, décision n° 2023-64.
La loi du 30 septembre 1986, « relative à la liberté de communication » investit l’instance de régulation de l’audiovisuel (CSA, devenu Arcom) d’un pouvoir de sanction (pouvant prendre la forme : « d’une suspension, après mise en demeure, de l’autorisation » d’exploitation « ou d’une partie du programme, pour un mois au plus » ; de « la réduction de la durée de l’autorisation, dans la limite d’une année » ; d’« une sanction pécuniaire » dont le montant « doit être fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages tirés du manquement […] sans pouvoir excéder 3 p. 100 du chiffre d’affaires » de la société, ce maximum étant « porté à 5 p. 100 en cas de nouvelle violation de la même obligation ») à l’encontre des sociétés de programme de radio et de télévision du secteur privé, en cas de non-respect des obligations qui s’imposent à elles. Le Conseil d’État peut être saisi d’un recours en annulation de la sanction ainsi prononcée. Insatisfaite de la décision rendue, la société concernée peut encore porter l’affaire devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
Le 9 février 2023, la Cour, saisie, par la société de programme de télévision C8 (groupe Canal+), de différentes sanctions prononcées contre elle par le CSA, en raison du contenu de différentes séquences diffusées dans l’émission Touche pas à mon poste, a conclu à l’absence de violation, du fait de ces sanctions, de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (communément appelée Convention européenne des droits de l’Homme – ConvEDH). Le même jour, l’Arcom adoptait, à l’encontre de la même société et du fait d’une nouvelle séquence de la même émission, une nouvelle sanction.
CEDH, 9 février 2023
Dans les affaires qui ont été l’objet de l’arrêt conjoint de la Cour européenne des droits de l’homme, du 9 février 2023, le CSA reprochait à la société C8 un « défaut de maîtrise de l’antenne », découlant de cas répétés, dans le cadre de l’émission Touche pas à mon poste, d’atteintes à la vie privée et à la dignité des personnes ou à l’image des femmes, ainsi que de discriminations envers des personnes handicapées ou homosexuelles. Après diverses mises en garde et mises en demeure, le CSA avait prononcé, contre elle, les sanctions successives : de suspension temporaire des messages publicitaires au sein de l’émission litigieuse ou en relation avec celle-ci, entraînant ainsi des pertes de ressources ; une sanction pécuniaire d’un montant de 50 000 euros ; et une autre de 3 millions d’euros.
Le Conseil d’État ayant rejeté les requêtes de la société C8, celle-ci, se plaignant de violations de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, énonçant le principe de liberté d’expression tout en déterminant les limites qui peuvent y être apportées, saisit la Cour européenne.
Devant la Cour, la société contesta les différents reproches qui lui ont été faits par le CSA. Prétendant au caractère humoristique de l’émission litigieuse, elle fit valoir que les sanctions prononcées contre elle étaient disproportionnées.
Reconnaissant « qu’il y a eu des ingérences dans l’exercice de la liberté d’expression de la société requérante », le gouvernement français, se référant à l’analyse de la Cour européenne, a soutenu cependant « qu’elles étaient prévues par la loi, poursuivaient un but légitime et étaient nécessaires, dans une société démocratique, pour les atteindre ».
En ces affaires, la Cour européenne reconnaît que « les sanctions prononcées par le CSA […] constituent des ingérences d’une autorité publique dans l’exercice du droit » à la liberté d’expression « garanti par l’article 10, § 1, de la Convention ». Elle note : que « la société requérante ne conteste pas que les sanctions litigieuses étaient prévues par la loi » ; que, visant à sanctionner ladite société « à la suite de la diffusion sur son antenne de séquences jugées, s’agissant de la première, attentatoire à l’image des femmes […] de nature à stigmatiser un groupe de personnes à raison de leur orientation sexuelle et à porter atteinte à la vie privée, à l’image, à l’honneur ou à la réputation » ; et que, s’agissant d’assurer ainsi « la protection des droits d’autrui », elles répondaient à un « but légitime ». Elle estime enfin que la lourdeur des sanctions prononcées, « dont le caractère pécuniaire est particulièrement adapté, en l’espèce, à l’objet purement commercial des comportements qu’elles répriment », doit « être relativisée ».
La Cour européenne en conclut qu’« il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention ».
Arcom, 9 février 2023
Ce même 9 février 2023, l’Arcom adoptait, à l’encontre de la même émission Touche pas à mon poste, de la même société C8, une nouvelle délibération portant « mise en demeure ». Celle-ci constitue un préalable nécessaire au prononcé d’une sanction en cas de nouveau manquement constaté.
Reproche y est fait à l’animateur d’avoir, de façon véhémente, injurié et critiqué un invité, député et ancien chroniqueur de la même émission, pour avoir mis en cause l’un des actionnaires (Vincent Bolloré) de la société de télévision, et de l’avoir empêché de s’exprimer davantage sur le sujet. En conséquence, l’Arcom estime que « l’émission n’a pas été réalisée dans des conditions qui garantissent l’indépendance de l’information à l’égard des intérêts économiques d’un de ses actionnaires ».
Pour l’Arcom, « cette situation caractérise un manquement de l’éditeur aux stipulations » de la convention qui le lie à l’instance de régulation et qui a accompagné et conditionné l’autorisation d’exploitation qui lui a été délivrée.
L’instance de régulation considère « qu’il y a lieu de mettre en demeure la société C8 de se conformer, à l’avenir, aux stipulations » de ladite convention et aux dispositions de la « Délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l’audiovisuel relative à l’honnêteté et à l’indépendance de l’information et des programmes ». En conséquence, « la société C8 est mise en demeure de se conformer » à l’ensemble de ces stipulations et dispositions.
Dans le souci du respect des principes auxquels la liberté d’expression obéit, l’attribution d’un pouvoir de sanction à une autorité telle que l’Arcom, par ailleurs investie du pouvoir de délivrer les autorisations d’exploitation des services privés de radio et de télévision et d’en déterminer, par convention, les obligations, ne peut se faire qu’avec la garantie de voies de recours, en interne, devant le Conseil d’État et, si nécessaire, par la suite, devant la Cour européenne des droits de l’homme.