NFT et le droit des marques : l’affaire dite « MetaBirkin »

C’est au terme de plus d’une année de procédure que le 8 février 2023, à l’issue d’un procès tenu devant un jury composé de neuf membres, le tribunal fédéral de New York a rendu son verdict dans l’affaire Hermès vs Mason Rothschild. Le jury a condamné l’artiste Mason Rothschild, créateur des NFT « MetaBirkin », à verser la somme de 133 000 dollars en dommages et intérêts à la société Hermès pour risque de confusion et, en conséquence, violation du droit des marques.

Les NFT (jetons non fongibles) donneraient, par leur unicité, un « caractère de rareté à des objets numériques » et créeraient ainsi « une propriété numérique traçable d’un nouveau genre ». En outre, les NFT « offriraient aux artistes un nouveau modèle de revenus qui leur permettrait de vendre des images, des vidéos et d’autres actifs numériques sous la forme d’arti­cles à collectionner en ligne ou bien d’œuvres d’art »1. Autrement dit, le NFT peut être considéré comme un certificat d’authenticité de l’œuvre numérique (voir La rem n°57-58, p.75 et n°60, p.103).

Inhérent au droit sur la propriété intellectuelle, le droit des marques constitue un régime conférant aux entreprises, aux personnes morales ou aux personnes physiques le droit d’acquérir l’exploitation d’une marque qui bénéficierait d’une protection uniforme, assurant ainsi à la personne concernée le monopole d’exploitation de ladite marque pour les produits et les services concernés. En général, selon l’Organisation mondiale pour la propriété intellectuelle (OMPI), une marque est un signe permettant de distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux appartenant à une autre. Ainsi, une marque tridimensionnelle comme le sac Birkin peut être protégée, soit du fait d’un caractère distinctif suffisamment élevé, soit grâce à une notoriété acquise. En tout état de cause, la forme du sac Birkin est protégée sous le droit de la propriété intellectuelle américain2. Dès lors, dans cette affaire, la juridiction américaine devait apprécier s’il existe un risque de confusion entre la marque tridimensionnelle en question et l’œuvre numérique sous forme de NFT.

Le Birkin d’Hermès au cœur de la contestation

La création du célèbre sac Birkin de la maison Hermès trouve son origine dans une rencontre fortuite à bord d’un avion, entre Jean-Louis Dumas, président du groupe Hermès de 1978 à 2006, et Jane Birkin, actrice et chanteuse britannique vivant en France. L’intéressée exprimant alors son souhait d’avoir un sac fonctionnel et élégant, cette remarque lui vaut de participer à la création du sac de la maison de couture française. Dès 1984, celui-ci deviendra, à l’instar du sac Kelly, un élément de mode des plus prisés, iconiques et rares. Chaque pièce est unique, entièrement exécutée et signée par un seul artisan3.

Dans l’affaire en cause, Mason Rothschild, entrepreneur du monde de la mode, artiste et designer, s’était fait subitement connaître en 2021, lorsqu’il créa, avec Eric Ramirez, un NFT représentant un fœtus dans un sac Birkin virtuel. Cette œuvre numérique, nommée « Baby Birkin », fait référence de manière quasi explicite au modèle Baby (25 centimètres) du sac éponyme de la maison Hermès. Elle s’est vendue une première fois à 23 500 dollars, et revendue à 47 000 dollars, bien plus que sa valeur initiale estimée à 9 500 dollars par rapport aux véritables Baby Birkin. Face à ce succès, Mason Rothschild décida de créer une série de 100 NFT, intitulée « MetaBirkin », représentant le sac Birkin dans le Métavers, et dont chaque modèle est en fausse fourrure, dérogeant au modèle Hermès original en cuir4. La représentation de ces sacs en fourrure avait pour objectif de dénoncer la maltraitance animale dans le secteur de la mode.

La vente de cette collection de NFT, sur la plateforme OpenSea, a été lancée à l’occasion des célébrations du Miami Art Basel de 2021 et a rapporté plus de 450 000 dollars. La maison Hermès a d’ailleurs fait valoir au cours du procès que cette vente avait rapporté plus de 1 million de dollars. À l’occasion de ce lancement, l’artiste a créé plusieurs comptes « @metabirkins » sur les réseaux sociaux Twitter, Instagram et Discord, en utilisant le hashtag « #metabirkins ». Si l’absence d’affiliation entre « MetaBirkin » et la maison Hermès est bien mentionnée, cette référence a bien pour but de commercialiser les NFT en profitant de la renommée des sacs éponymes de la maison de couture française5. Le fait d’avoir fait usage du nom « Birkin » et du signe « MetaBirkin » n’a pas suffi pour éviter que le public croie à une même origine commerciale des produits et, par conséquent, que cette représentation ait pu faire bénéficier son créateur de la notoriété de la marque même s’il s’agissait d’une création artistique.

La représentation artistique face à la protection des marques enregistrées

Le tribunal fédéral de New York a considéré qu’il y avait un risque de confusion entre les NFT de Mason Rothschild et le produit enregistré, le public pouvant facilement croire à une origine commerciale commune, et donc que le créateur de ces jetons a pu bénéficier économiquement de la notoriété de la marque Hermès et de son sac Birkin.

Ni la représentation artistique, ni le fait de vendre des NFT ne posent problème, dès lors que ces deux pratiques sont autorisées, les entreprises y ayant de plus en plus recours. En effet, le fait de vendre des NFT revient à vendre des droits de propriété qui pourraient être assimilés à la propriété d’un élément physique6. Or, dans la présente affaire, la seule représentation du sac suffit à l’identification immédiate de la maison Hermès comme origine commerciale, quand bien même cette représentation se veut, selon son créateur, une création ou représentation artistique. En outre, la référence au nom d’origine du produit induit le consommateur en erreur en le laissant penser qu’il s’agit d’un produit dérivé de la marque Hermès. Mason Rothschild a tenu pour défense qu’il s’agissait d’une création artistique qui ne saurait être considérée comme la représentation à l’identique du produit en cause, mais qui, au contraire, tiendrait du droit à la liberté d’expression ou de création, bénéficiant de la protection du premier amendement de la Constitution américaine7, et ne pouvant donc faire l’objet d’une condamnation pour parasitisme8. Selon le juge Rakoff, les NFT sont achetés pour obtenir des droits exclusifs sur le contenu associé aux NFT9, et donc la référence au Birkin qui y est attachée. Dans une précédente affaire, le juge avait également trouvé que, au-delà de la représentation artistique, il y avait l’intention d’associer le signe « MetaBirkin » à la notoriété de la marque Hermès10. Le jury américain a ainsi retenu dans son verdict final le risque de confusion entre le NFT et le véritable sac Birkin, l’auteur ne pouvant se prévaloir de la création artistique en ce que ce projet avait un but financier, bénéficiant de la notoriété de la marque Hermès associée malgré elle.

Du point de vue du droit français, il est difficile de concevoir l’absence de violation de l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle, qui dispose que « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour […] la reproduction par un art ou un procédé quelconque ». Au-delà des enregistrements spécifiques effectués, cela est d’autant plus vrai s’agissant de marques qui bénéficient d’une certaine notoriété. En effet, l’article L.713-5 du code de la propriété intellectuelle, tel que rappelé par la Cour de cassation, prévoit expressément que « la reproduction ou l’imitation d’une marque jouissant d’une renommée pour des produits ou services identiques, similaires ou non à ceux désignés dans l’enregistrement, engage la responsabilité civile de son auteur si elle est de nature à porter préjudice au propriétaire de la marque ou si cette reproduction ou imitation constitue une exploitation injustifiée de cette dernière ; que le profit indûment tiré de la renommée de la marque, qui est la conséquence d’un certain degré de similitude entre les signes en présence en raison duquel, sans les confondre, le public établit un lien entre les signes, doit être apprécié globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce »11. En ce sens, et comme le rappelle justement l’avocate Véronique Piguet, il ressort que la création des NFT bénéficierait de la renommée du Birkin Hermès, et entrerait dans la catégorie des affaires tirant un profit indu du fait de l’existence du risque de confusion et de la notoriété de la marque antérieure. Cependant, toujours selon Véronique Piguet, cela ne s’appliquerait pas nécessairement à la création « Baby Birkin » qui, conceptuellement, contiendrait un véritable aspect artistique ne pouvant entraîner un risque de confusion sous le droit des marques12.

Cette jurisprudence vient dès lors compléter le droit des marques, en ce que les NFT, créés par des designers ou des artistes, peuvent en leur représentation et leur vente relever de ce même régime de protection du droit de la propriété intellectuelle. Néanmoins il apparaît difficile, dans des conditions similaires, de se prévaloir d’une représentation artistique protégée par des droits fondamentaux, lorsque l’auteur bénéficie économi­quement d’un risque de confusion sur l’identité de l’origine commerciale du produit en cause.

Les opinions exprimées par l’auteur sont personnelles, et n’engagent pas la Cour de justice de l’Union européenne.

Sources :

  1. Michael Greshko, « Qu’est-ce que les NFT et comment fonctionnent-ils ? », nationalgeographic.fr, 9 janvier 2023.
  2. Nous n’aborderons pas la question de la protection de la forme tridimensionnelle dans le système européen ou français.
  3. Olivia Pennington, « Everything you need to know about the Hermès Birkin », sothebys.com, 17 March 2023.
  4. Cassell Ferere, « Digital Artist Mason Rothschild Drops 100 « Metabirkins » NFTs Through Basic.Space », forbes.com, 13 December 2021.
  5. Emmanuel Gillet, « Hermès v. Rothschild : how to fight trademark infringement committed by NFT minters », lexology.com, 16 February 2023.
  6. Brittany L. Kaplan et Brenna K. Legaard, « Applying US Trademark Law to NFTs », Bloomberg Law, journalduluxe.fr, July 2022.
  7. Le premier amendement de la Constitution états-unienne prévoit que « le Congrès n’adoptera aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou à l’interdiction de son libre exercice ; ou pour limiter la liberté d’expression, de la presse ou le droit des citoyens de se réunir pacifiquement ou d’adresser au Gouvernement des pétitions pour obtenir réparations des torts subis ».
  8. Véronique Piguet, « L’affaire « MetaBirkin » vue de la France », Journal du Luxe, 20 février 2023.
  9. Hermès International v. Rothschild, 1 : 22-cv-00384, Order, February 2, 2023, p. 14.
  10. Hermès International v. Rothschild, 1 : 22-cv-00384, Order, May 18, 2022, p. 14.
  11. Cass. com., 10 juillet 2018, n°16-23.694.
  12. Véronique Piguet, « L’affaire « MetaBirkin » vue de la France », op. cit.

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