Rhea de SiPearl, le microprocesseur européen dédié au calcul haute performance

C’est une pièce maîtresse de la souveraineté numérique de l’Europe : Rhea, conçu par SiPearl, est le microprocesseur haute performance et basse consommation qui équipera le futur supercalculateur exascale européen (voir La rem n°45, p.16). La start-up, ayant levé 90 millions d’euros en 2023, compte le commercialiser en 2024.

La souveraineté numérique de l’Europe en matière de supercalculateur se compte en exaflops (1018) et la course en milliards de milliards de calculs à la seconde est toujours dominée par les États-Unis et la Chine (voir La rem n°45, p.16 et La rem n°53, p.74). Pour rattraper son retard, l’Union européenne a lancé en 2017 deux initiatives de grande ampleur : le programme d’Entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance (European High Performance Computing Joint Undertaking – EuroHPC JU) et le consortium European Processor Initiative (EPI). Le programme EuroHPC, doté d’un budget de 8 milliards d’euros sur cinq ans, a pour objectif de développer un écosystème de supercalculateurs de classe mondiale en mutualisant les ressources de l’Union européenne (voir La rem n°56, p.28), tandis que le consortium EPI réunit une trentaine de partenaires issus de dix pays européens pour développer une gamme de microprocesseurs haute performance et basse consommation, qui équiperont notamment les supercalculateurs du programme EuroHPC.

La start-up française SiPearl est issue du consortium EPI. Créée en juin 2019 par Philippe Notton, l’entreprise a pour mission de développer et de mettre sur le marché l’offre de microprocesseurs définie par la feuille de route des 28 membres du consortium. Forte de quelque 120 salariés répartis entre la France, l’Allema­gne et l’Espagne, l’entreprise a levé 116,2 millions d’euros depuis 2020, dont 90 millions d’euros en avril 2023, auprès de la Banque européenne d’investissement par le biais de l’European Innovation Council (EIC) Fund ; ARM Holdings, société britannique spécialisée dans le développement de processeurs détenue par le groupe japonais Softbank ; le géant français Atos, entreprise de services du numérique (ESN) et l’État français via France 2030, plan d’investissement d’avenir de 34 milliards d’euros sur cinq ans, annoncé par le président de la République Emmanuel Macron en octobre 2021.

Cette levée de fonds devrait permettre à SiPearl de commercialiser Rhea début 2024 ; l’entreprise compte attirer rapidement d’autres investisseurs pour notamment porter le nombre de salariés à 1 000 d’ici à 2025 et développer deux évolutions de son microprocesseur. La première version du microprocesseur Rhea disposera d’au moins 64 cœurs – le cœur d’un processeur assurant le traitement des instructions au sein d’un système informatique. Plus ils sont nombreux, plus la vitesse d’exécution des consignes est rapide. Si le processeur est conçu en Europe, il sera produit par le taïwanais TSMC, leader mondial de la fabrication de semi-conducteurs et de puces électroniques, le seul à maîtriser, avec Samsung, la finesse du processus de gravure à 6 nanomètres, les usines européennes les plus avancées gravant en 22 nanomètres. Le processeur Rhea 2 sera gravé en 5 nanomètres et comportera 96 cœurs et Rhea 3, en 3 ou 2 nanomètres avec au moins 128 cœurs.

De nombreux accords de coopération ont déjà été signés par SiPearl, notamment avec Nvidia, entreprise américaine spécialisée dans la conception de processeurs graphiques ; AMD, fabricant américain de semi-conducteurs, de microprocesseurs et de cartes graphiques ; Intel, fabricant mondial de semi-conducteurs pour la fourniture de processeurs graphiques GPU (Graphics Processing Unit) ; ou encore Graphcore, société britannique de semi-conducteurs qui développe des accélérateurs pour l’intelligence artificielle et des programmes d’apprentissage auto­matique spécialisés dans l’intelligence artificielle« Rhea sera le premier microprocesseur au monde dédié au calcul haute performance conçu pour fonctionner avec n’importe quel accélérateur tiers, comme les GPU, les puces spécialisées dans l’intelligence artificielle ou les accélérateurs quantiques » indique SiPearl.

Le sujet est hautement stratégique puisqu’il en va de la souveraineté européenne en matière de calcul haute performance. Il s’agit avant tout de pouvoir répondre aux besoins croissants des institutions et entreprises européennes en matière de calcul dans les nouvelles disciplines de l’intelligence artificielle, le machine learning (voir La rem n°30-31, p.75), le deep learning, le data mining, ainsi que les applications transverses de l’apprentissage automatique (voir La rem n°52, p.31). « Le développement d’une solide chaîne d’approvisionnement européenne pour le calcul haute performance, avec des composants et des technologies à haut rendement énergétique, est essentiel pour la souveraineté numérique de l’Europe tout en promouvant un calcul haute performance plus durable » affirme Anders Dam Jensen, directeur exécutif d’EuroHPC Joint Undertaking.

Le nombre et la diversité des acteurs impliqués dans cette entreprise témoigne toutefois de la complexité pour l’Europe d’être véritablement autonome. Comme l’explique Gaëtan Raoul du site LeMagIT, « Rhea est conçu en France, en Allemagne et en Espagne par une société française à l’aide de fonds européens, à partir d’une technologie britannique appartenant à un Japonais, à l’aide de logiciels allemands et américains. Il sera fabriqué à Taïwan, renvoyé en France, placé dans des racks conçus par une entreprise française et une autre américaine. Ces serveurs et racks seront assemblés en France et en République tchèque pour des laboratoires, des centres HPC et des groupes européens ». Pour Philippe Notton, « histori­quement en retard derrière les États-Unis et la Chine, l’Europe est devenue, grâce à l’initiative EuroHPC, un leader mondial du supercalcul en classant pour la première fois deux machines parmi les quatre supercalculateurs les plus puissants au monde, avec LUMI en Finlande et Leonardo en Italie. L’arrivée sur le marché de Rhea, qui équipera les supercalculateurs européens avec une empreinte carbone limitée, sera une étape décisive pour l’indépendance et la souveraineté technologique de l’Europe ». Même si la route est encore longue, l’Europe se donne les moyens de retrouver une certaine souveraineté numérique dans le domaine de l’intelligence artificielle, sans toutefois pouvoir se passer de partenariats stratégiques impliquant des puissances étrangères.

Sources :

  • « Lancement de SiPearl, le concepteur du microprocesseur qui va équiper le supercalculateur exascale européen », SiPearl, communiqué de presse, sipearl.com, 21 janvier 2020.
  • Sébastien Gavois, « CPU et supercalculateurs européens : SiPearl multiplie les partenariats avec AMD, Graphcore, Intel, Nvidia… », nextinpact.com, 15 novembre 2022.
  • Ridha Loukil, « La start-up SiPearl lève 90 millions d’euros pour accélérer la commercialisation d’un microprocesseur européen », usinenouvelle.com, 5 avril 2023.
  • Julien Bergounhoux, « HPC : SiPearl lève 90 millions d’euros pour commercialiser son processeur début 2024 », usine-digitale.fr, 5 avril 2023.
  • Gaétan Raoul, « Microprocesseur européen : SiPearl récolte 90 millions d’euros », lemagit.fr, 6 avril 2023.
  • Dominique Filippone, « Processeur HPC européen : la start-up SiPearl lève 90 M€ », lemondeinformatique.fr, 7 avril 2023.
  • Thomas Calvi, « SiPearl annonce une levée de fonds en série A de 90 millions d’euros », actuia.com, 12 avril 2023.
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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