Vivendi veut céder Editis à CMI France, nouveau géant français des médias

La Commission européenne aura obtenu de Vivendi qu’il cède Editis en totalité et Gala aussi pour pouvoir fusionner avec Lagardère. En reprenant Editis, Daniel Kretinsky (CMI) devient un acteur majeur des médias en France.

Réussir à prendre le contrôle de Lagardère face à des fonds et des figures du capitalisme français se trouve être finalement presque plus facile que d’obtenir l’aval de la Commission européenne sur l’opération. En effet, après avoir pris le contrôle de Lagardère (voir La rem n°59, p.56), Vivendi a aussitôt été confronté aux problèmes de concurrence soulevés par la réunion, au sein d’un même groupe, du premier éditeur français et numéro 3 mondial, Hachette, avec le numéro 2 français, Editis, que Vivendi avait racheté en 2018 (voir La rem n°48, p.42). Dans un premier temps, Vivendi a tenté de conserver le meilleur d’Editis pour le réunir avec le meilleur de Hachette, afin de faire émerger le nouveau leader français de l’édition, tout en conservant les activités internationales de Hachette. Cette solution, défendue jusqu’à l’été 2022, a été ensuite abandonnée car elle aboutissait à un veto de la Commission européenne. Il a donc fallu que Vincent Bolloré, l’actionnaire de contrôle de Vivendi, décide se séparer d’Editis en totalité, bien que Vivendi ait investi dans le groupe d’édition quelque 200 millions d’euros depuis qu’il l’a racheté (voir La rem n°63, p.41). Un montage a alors été proposé pour maximiser le prix de vente d’Editis, les conditions n’étant pas optimales. En effet, l’acheteur doit trouver un repreneur qui sera automatiquement en position de force, dans un contexte moins porteur qu’en 2021 où la sortie de crise sanitaire avait vu progresser les ventes de livres. L’opération envisagée était complexe : Vivendi souhaitait introduire en Bourse Editis et procéder à cette occasion à une redistribution de titres auprès de ses actionnaires, sur le modèle de la cession d’Universal Music en 2021. Le groupe Bolloré étant l’actionnaire majoritaire de Vivendi, il devait récupérer 29,5 % d’Editis, avant de les céder ensuite à un repreneur connu d’avance. Si l’introduction en Bourse d’Editis ne devait pas laisser l’ensemble des actionnaires de Vivendi espérer un prix de vente satisfaisant, au moins la cession de la participation de Bolloré au prorata de sa participation dans Vivendi pouvait-elle se faire sur une base favorable puisqu’elle s’accompagnait d’une prime de contrôle. Editis a en effet perdu de la valeur depuis son rachat en 2018 pour 829 millions d’euros. Pour son projet de cotation, l’éditeur était valorisé à quelque 700 millions d’euros, dont 200 millions d’euros de dettes. Cette vente avec moins-value est la condition de la prise de contrôle de Lagardère par Vivendi. Las, la Commission européenne a ouvert une enquête approfondie le 30 novembre 2022, considérant l’opération d’introduction en Bourse comme trop risquée puisqu’elle ne permettra pas nécessairement à Editis de s’appuyer à l’avenir sur un actionnaire unique (voir La rem n°64, p.53). Vivendi a donc dû se résoudre à une nouvelle concession et accepter le principe d’une vente d’Editis dans sa totalité à un repreneur unique.

Très vite, des noms ont circulé. Xavier Niel faisait partie des premiers intéressés puisqu’il avait manifesté son intérêt pour la reprise d’Editis, avant même que la solution de l’introduction en Bourse ne soit imaginée. Les acteurs qui s’étaient positionnés pour racheter la part de Bolloré dans Editis, suite à l’introduction en Bourse, faisaient également partie des repreneurs potentiels, comme le groupe Mondadori (contrôlé par Silvio Berlusconi), Reworld Media ou encore le groupe canadien Quebecor. Mais également CMI France, la filiale française du groupe tchèque de Daniel Kretinsky, qui, dans un premier temps, s’était portée candidate avec deux actionnaires français réputés proches de Vincent Bolloré, le producteur audiovisuel Stéphane Courbit et le fondateur de Smartbox Pierre-Édouard Stérin. Finalement, Daniel Kretinsky l’a emporté.

Lors de la présentation des résultats annuels de Vivendi le 8 mars 2023, le groupe a fait un premier pas en arrière. Il a renoncé à révéler le nom du repreneur envisagé pour la participation de Bolloré dans Editis en cas d’introduction en Bourse. Quelques jours plus tôt, le groupe avait en effet reçu la communication de griefs de la part de la Commission européenne, mentionnant qu’une introduction en Bourse ne serait probablement pas retenue comme une solution acceptable. À cette occasion, Vivendi a donc indiqué qu’il allait proposer un remède qui puisse répondre aux attentes de la Commission européenne. En même temps, Vivendi annonçait avoir déprécié la valeur d’Editis de 300 millions d’euros, dont la valeur comptable a été ramenée à 529 millions d’euros, prélude à une vente en totalité du groupe d’édition. Vivendi a par ailleurs notifié qu’Editis avait réalisé un chiffre d’affaires de 789 millions d’euros en 2022, en repli de 8,1 % sur un an – un mauvais chiffre, le marché étant certes orienté à la baisse, mais de seulement 3 %. Editis est en effet, plus que Hachette, exposé au marché cyclique du livre scolaire, notamment parce que sa part de marché sur le segment de la littérature générale est en baisse, conséquence de la perte de quelques auteurs phares, avant même le rachat par Vivendi, dont Guillaume Musso. Editis devra donc être relancé par son nouveau propriétaire.

Ce dernier sera très probablement Daniel Kretinsky. Le 14 mars 2023, Vivendi a annoncé être entré en négociations exclusives avec CMI France. Le 23 avril 2023, CMI France a concrétisé sa promesse d’achat. La Commission européenne a désormais jusqu’au 14 juin 2023 pour se prononcer et tout a été fait pour que l’autorisation soit accordée. En effet, l’OPA de Vivendi sur Lagardère n’est pas rendue compliquée par les seules activités d’édition, même si la question Editis / Hachette est évidemment centrale. Tout semble poser problème, sauf le retail media. En effet, Lagardère dispose aussi d’un pôle média, certes insignifiant au regard de son chiffre d’affaires, puisqu’il n’en représente que 2 %, mais hautement symbolique. Lagardère contrôle Europe 1, Paris Match et Le Journal du dimanche.

Pour la Commission européenne, Paris Match est un journal people ; or Vivendi, qui contrôle Prisma Media, détient déjà Gala et Voici (voir La rem n°57-58, p.43). Dans la communication de griefs adressée à Vivendi, la Commission européenne ne renonce pas à cette lecture alors que Lagardère et Vivendi, comme d’ailleurs les agences média, rangeaient Paris Match dans la catégorie des news picture. Hachette vaut bien plus que Gala, Vivendi s’est donc résolu, en plus de la cession d’Editis, à céder aussi Gala. La cession, annoncée aux salariés du titre le 11 avril 2023, doit permettre à la Commission de donner son accord sur l’OPA. Avec Gala, comme avec Editis, Vivendi préfère céder les actifs qu’il contrôle déjà pour s’emparer des pépites de Lagardère. Gala représente une diffusion payée de 128 000 exemplaires en 2022, en baisse de 4,7 % sur un an, quand celle de Paris Match est de 478 000 exemplaires, la marque Paris Match étant par ailleurs extrêmement puissante. Vivendi conserve en revanche Voici, qui a un positionnement plus grand public.

Enfin, Europe 1 est également l’objet de difficultés, mais plus, cette fois, pour la Commission européenne. L’actionnaire principal de Vivendi, Vincent Bolloré, est soupçonné de vouloir y instiller une ligne éditoriale différente, très à droite, comme c’est le cas sur CNews, des « transfuges » entre les chaînes de Vivendi et Europe 1 étant déjà établis. Or l’Arcom devra se prononcer sur la cession de la fréquence d’Europe 1, en plus des autres fréquences détenues par le groupe Lagardère (Europe 2 et RFM). Pour limiter le risque, le pôle radio de Lagardère devrait être rendu autonome et Arnaud Lagardère en prendre la commandite, ce qui consisterait à revenir à la situation qui était celle de Lagardère avant la fronde de ses actionnaires, mais en la circonscrivant au seul domaine du pôle radio. Dans ce cas, le changement d’actionnaire ne se traduit pas par un changement de contrôle sur les radios de Lagardère. Cette autonomisation du pôle radio a été annoncée par le conseil d’administration du groupe Lagardère juste après l’annonce des négociations exclusives entre Vivendi et Daniel Kretinsky pour la reprise d’Editis, signe que Vivendi et Lagardère comptent désormais obtenir très vite les dernières autorisations pour pouvoir fusionner.

Si l’opération aboutit, le groupe de médias de Daniel Kretinsky en France va changer de taille car il contrôlera l’un des acteurs structurants sur un marché, celui de l’édition, Editis fédérant 54 maisons d’édition en incluant les Éditions Récamier, dont la création a été annoncée en avril 2023. Editis viendra rejoindre les activités de CMI dans la presse (Elle, Marianne, Franc-Tireur), dans des nouveaux médias (Usbek & Rica, racheté en octobre 2022 ; Louie Media, dont CMI détient 47 % du capital depuis décembre 2022), le groupe disposant par ailleurs de participations dans TF1 (8 % du capital), dans la structure de contrôle du Monde et bientôt dans Loopsider avec qui CMI France discute d’une entrée au capital.

Sources :

  • Claudia Cohen, Philippe Larroque, Ivan Letessier, « Lagardère : « Notre empire ne s’est pas rétréci, il s’est réinventé » », Le Figaro, 16 février 2023.
  • Stéphane Loignon, Nicolas Richaud, Fabio Benedetti Valentini, Anne Drif, « Un trio d’entrepreneurs nouveau candidat pour racheter Editis », Les Échos, 17 février 2023.
  • Claudia Cohen, « Vivendi pourrait devoir céder 100 % d’Editis », Le Figaro, 9 mars 2023.
  • Nicolas Richaud, « Vente d’Editis : Vivendi prêt au compromis avec Bruxelles », Les Échos, 9 mars 2023.
  • Claudia Cohen, « Daniel Kretinsky veut racheter 100 % d’Editis », Le Figaro, 14 mars 2023.
  • Nicolas Richaud, « L’odyssée déclinante d’Editis », Les Échos, 15 mars 2023.
  • Nicolas Richaud, Stéphane Loignon, « Vivendi sur le point de céder Editis à Daniel Kretinsky », Les Échos, 15 mars 2023.
  • Claudia Cohen, « Édition, télé, presse. Daniel Kretinsky, nouveau géant des médias en France », Le Figaro, 15 mars 2023.
  • Stéphane Loignon, Fabio Benedetti Valentini, « CMI France négocie avec Loopsider », Les Échos, 31 mars 2023.
  • Fabio Benedetti Valentini, Florian Dèbes, Stéphane Loignon, « Vivendi va vendre Gala pour garder Paris Match », Les Échos, 12 avril 2023.
  • Philippe Laroque, « Vivendi cède Gala pour garder Paris Match », Le Figaro, 12 avril 2023.
  • Claudia Cohen, « Agrandi, Editis se prépare à être cédé à Daniel Kretinsky », Le Figaro, 25 avril 2023. 
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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