Majorité numérique : une arme efficace pour la protection des mineurs sur les réseaux sociaux en ligne ?

Après la protection des enfants influenceurs1, puis l’extension de la régulation de l’Arcom à la lutte contre l’accès des mineurs à la pornographie en ligne2 et à la protection de l’enfance et de l’adolescence sur les plateformes de partage de vidéos3 et le renforcement du contrôle parental sur les moyens d’accès à internet4, l’instauration, par la loi du 7 juillet 20235, d’une majorité numérique pour s’inscrire sur les réseaux sociaux en ligne marque une nouvelle tentative du législateur pour assurer une meilleure protection des mineurs sur ces réseaux.

Issue d’une proposition de loi du 17 janvier 2023, la loi du 7 juillet 2023 modifie la loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004, pour y inclure une définition des services de réseaux sociaux en ligne et pour y définir, ou élargir, les obligations mises à leur charge afin de garantir le respect de la majorité numérique et de lutter contre la haine en ligne. Il n’est cependant pas certain que l’allongement de la déjà très longue liste des obligations imposées aux services de réseaux sociaux soit de nature à permettre une protection effective des mineurs qui y sont inscrits, d’autant que la mise en œuvre de la majorité numérique se heurte à de multiples difficultés.

Nouvelles obligations des fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne

Fixée à 15 ans, la majorité numérique instituée pour l’inscription des mineurs sur les réseaux sociaux, par l’article 4 de la loi du 7 juillet 2023 dans un nouvel article 6-7 de la LCEN, n’est pas véritablement nouvelle. Elle correspond à l’âge déjà retenu par l’article 45 de la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 (pris en application de l’article 8 du RGPD, règlement général sur la protection des données), à partir duquel un mineur est autorisé à consentir seul à un traitement de données à caractère personnel. La majorité numérique nouvellement consacrée ne concerne cependant que l’inscription des mineurs sur les services de réseaux sociaux en ligne, définis par la loi du 7 juillet 2023 comme « toute plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter et de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils, en particulier au moyen de conversations en ligne, de publications, de vidéos et de recommandations ». Empruntée au Digital Markets Act du 14 septembre 20226, cette définition juridique des réseaux sociaux viendra compléter, lorsque la loi du 7 juillet 2023 sera entrée en vigueur, l’article Ier-IV de la LCEN.

Afin de garantir le respect de la majorité numérique instaurée pour l’inscription sur les services ainsi définis, la nouvelle loi introduit, dans le futur article 6-7 de la LCEN, une série d’obligations à la charge des « fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne exerçant leur activité en France », qu’il s’agisse du contrôle des inscriptions ou de l’information des utilisateurs mineurs.

Contrôle des inscriptions de mineurs

Conformément au principe même d’une majorité numé­rique, ces fournisseurs devront d’abord refuser « l’inscription à leurs services des mineurs de quinze ans, sauf si l’autorisation de cette inscription est donnée par l’un des titulaires de l’autorité parentale sur le mineur ». En inscrivant cette obligation dans la loi, le législateur donne force contraignante à la règle figurant dans les conditions générales d’utilisation (CGU) de la plupart des réseaux sociaux, mais rarement respectée, interdisant l’inscription des mineurs de moins de 13 ans pour lesquels aucune autorisation ne devrait désormais pouvoir être donnée.

Pour les « comptes déjà créés et détenus par des mineurs de quinze ans » avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi, les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne devront également obtenir, « dans les mêmes conditions et dans les meilleurs délais, l’autorisation expresse de l’un des titulaires de l’autorité parentale ». Ils seront encore tenus de permettre à l’un de ces titulaires de demander « la suspension du compte d’un mineur de quinze ans ».

La loi prévoit enfin que les opérateurs de réseaux sociaux vérifient « l’âge des utilisateurs finaux et l’auto­risation de l’un des titulaires de l’autorité parentale de l’inscription des mineurs de quinze ans » par la mise en œuvre de « solutions techniques conformes à un référentiel élaboré par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, après consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ». Le contrôle du respect de cette obligation sera assuré par le président de l’Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique), qui pourra mettre en demeure un fournisseur de services de réseaux sociaux de « prendre toutes les mesures requises » et, en cas d’inexécution de cette mise en demeure dans un délai de quinze jours, « saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’ordonner au fournisseur de mettre en œuvre une solution technique conforme ». Ce dispositif n’a pas véritablement prouvé son efficacité en matière de lutte contre l’accès des mineurs à la pornographie en ligne. Mais tout manquement d’un fournisseur de services de réseaux sociaux aux obligations de contrôle et d’information imposées par la nouvelle loi sera passible d’une amende ne pouvant excéder 1 % de son chiffre d’affaires mondial pour l’exercice précédent, conformément au montant fixé par le Digital Services Act (DSA) du 19 octobre 2022.

Information des utilisateurs mineurs

Afin d’assurer la protection des mineurs dans leurs usages des réseaux sociaux auxquels ils auront été autorisés à s’inscrire, la loi du 7 juillet 2023 impose aux opérateurs de ces réseaux, lors de l’inscription d’un mineur, des obligations supplémentaires d’information et de contrôle. Ces opérateurs devront informer les utilisateurs de moins de 15 ans et les titulaires de l’autorité parentale « sur les risques liés aux usages numériques et les moyens de prévention ». Cette première obligation peut paraître redondante au regard de la disposition introduite par la loi du 7 juillet 2023 à l’article 6-I-7 de la LCEN, obligeant les fournisseurs d’accès et d’hébergement, pour lutter contre la haine en ligne, à rendre « visibles à leurs utilisateurs des messages de prévention » contre le harcèlement moral et à indiquer aux auteurs de signalement « les structures d’accompagnement face au harcèlement en ligne ».

Il en est un peu de même de l’obligation nouvellement faite aux services de réseaux sociaux en ligne de fournir à l’utilisateur de moins de 15 ans « une information claire et adaptée sur les conditions d’utilisation de ses données et de ses droits », puisque l’article 45, alinéa 3, de la loi du 6 janvier 1978 impose déjà au responsable de traitement de données personnelles de mineurs de rédiger « en des termes clairs et simples, aisément compréhensibles par le mineur, les informations et communications relatives au traitement qui le concerne ».

La dernière obligation prévue lors de l’inscription d’un mineur sur les réseaux sociaux est l’activation, par les fournisseurs de ces services, d’un dispositif de contrôle de leur temps d’utilisation et l’information régulière de l’usager sur cette durée par des notifications, dont la loi ne précise pas si les titulaires de l’autorité parentale en seront également destinataires.

Inspirées par de louables intentions, ces diverses obligations d’information et de contrôle risquent de n’avoir qu’une faible incidence sur les pratiques numériques des mineurs. Supposés être déjà formés « à l’utilisation responsable des outils et des ressources numériques » dans le cadre de l’éducation aux médias dispensée dans les établissements d’enseignement7, ils pourront facilement contourner la loi en se déclarant majeurs. La plupart d’entre eux ne liront vraisemblablement pas les informations fournies par les opérateurs de réseaux sociaux, tout comme les utilisateurs majeurs ne lisent presque jamais les CGU de ces réseaux qu’ils sont pourtant tenus d’accepter avant de s’y inscrire. Quant au temps d’utilisation des réseaux sociaux, déjà accessi­ble sur la plupart des téléphones portables, il est peu probable que des notifications répétées contribueront à le réduire significativement. Pilier de toutes les politiques publiques visant à encadrer l’usage des réseaux numériques et les contenus qui y circulent, la logique de « responsabilisation des réseaux sociaux »8 risque de conduire à une « déresponsabilisation » croissante des parents et des mineurs eux-mêmes, sans garantir pour autant l’effectivité de leur protection en ligne.

Difficultés de mise en œuvre de la majorité numérique

Limitée, dans son champ d’application, aux seuls services de réseaux sociaux en ligne, la majorité numérique instituée par la loi du 7 juillet 2023 n’a pas vocation à s’appliquer à d’autres services de communication au public en ligne comme les forums, ou aux messageries instantanées comme WhatsApp. Cela réduit d’autant la portée du nouveau dispositif légal. La protection des mineurs en ligne doit surtout être conciliée avec le respect de leurs droits et libertés individuels, ce qui explique largement le choix du législateur de différer l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

Garanties des droits et libertés des mineurs

Soucieux de concilier la protection des mineurs et la sauvegarde de leurs droits et libertés, le législateur a assorti l’instauration d’une majorité numérique de garanties du droit à l’information des mineurs et de la protection de leurs données personnelles. Pour préserver le droit à l’information et la liberté d’expression des mineurs, la loi du 7 juillet 2023 exclut expressément de son champ d’application les « encyclopédies en ligne » (comme Wikipédia) et les « répertoires éducatifs et scientifiques », dès lors qu’ils sont dépourvus de tout but lucratif. Afin de concilier la majorité numérique avec la protection des données personnelles des mineurs, le texte prévoit aussi que les modalités d’application du futur article 6-7 de la LCEN seront « fixées par un décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ».

La collaboration, pour l’élaboration d’un référentiel de certification de l’âge des mineurs et des autorisations d’inscription, de deux autorités publique ou administrative indépendantes – l’Arcom et la Cnil, respectivement chargées de la régulation de la liberté de communication au public par voie électronique et de la protection des données personnelles –, est enfin de nature à concilier, sur les réseaux sociaux, la protection de la santé morale et physique des mineurs et la garantie de leurs droits. Le référentiel retenu pourrait s’inspirer du mécanisme expérimenté en matière de lutte contre l’accès des mineurs à la pornographie en ligne9, fondé sur le recours à un tiers de confiance, chargé de certifier l’âge et l’autorisation sans connaître le service ou l’usage pour lesquels ils sont demandés.

Application différée des nouvelles dispositions

L’application des dispositions relatives à la majorité numérique ne sera donc pas immédiate. L’entrée en vigueur de la loi du 7 juillet 2023 est subordonnée à la validation, par la Commission européenne, de la conformité des nouvelles dispositions au droit de l’Union européenne. Selon son article 7, le nouveau texte n’entrera en vigueur qu’« à une date fixée par décret », mais au plus tard trois mois à compter de « la date de réception par le Gouvernement de la réponse de la Commission européenne permettant de considérer le dispositif législatif lui ayant été notifié comme conforme au droit de l’Union européenne ».

En outre, le pouvoir de contrôle confié au président de l’Arcom sur le respect de leurs obligations par les fournisseurs de services de réseaux sociaux en ligne n’entrera lui-même en vigueur qu’un an après l’entrée en vigueur du reste de la loi. Il faudra enfin attendre deux ans après cette entrée en vigueur pour que s’applique l’obligation de solliciter l’autorisation d’un titulaire de l’autorité parentale pour les comptes déjà existants détenus par des mineurs de moins de 15 ans.

Conscient des « conséquences de l’utilisation des plateformes en ligne, de la surinformation et de l’exposition aux fausses informations sur la santé physique et mentale des jeunes, notamment des mineurs, ainsi que sur leurs capacités d’apprentissage », mais aussi de l’absence en France d’études scientifiques précises dans ce domaine, le législateur impose au gouvernement la remise au Parlement d’un rapport sur le sujet, dans l’année suivant la promulgation la loi du 7 juillet 2023.

D’ici là, d’autres textes « visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants » 10 ou relatif « à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans »11 seront peut-être venus compléter l’arsenal législatif destiné à protéger les mineurs sur les réseaux sociaux en ligne. La course effrénée du législateur derrière les usages numériques des jeunes n’est pas près de s’arrêter.

  1. Loi n° 2020-1266 du 19 octobre 2020 visant à encadrer l’exploitation commerciale de l’image d’enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne.
  2. Article 23 modifié de la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
  3. Article 60 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifié par la loi n° 2021-1382 du 25 octobre 2021 relative à la régulation et à la protection de l’accès aux œuvres culturelles à l’ère numérique.
  4. Loi n° 2022-300 du 2 mars 2022 visant à renforcer le contrôle parental sur les moyens d’accès à internet.
  5. Loi n° 2023-566 du 7 juillet 2023 visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne.
  6. Article 2-7) du règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2022 relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés numériques).
  7. Article L. 312-9 du code de l’éducation.
  8. « Créer un cadre français de responsabilisation des réseaux sociaux : agir en France avec une ambition européenne », rapport au secrétaire d’État en charge du numérique, mai 2019.
  9. Cnil, « Contrôle de l’âge pour l’accès aux sites pornographiques », 21 février 2023.
  10. Proposition de loi n° 174, adoptée par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture le 10 octobre 2023.
  11. Proposition de loi n° 86, adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 7 mars 2023.