Que voyons-nous derrière nos écrans ?

Concernant l’avenir de l’information générale et politique, quelle est, selon vous, la bonne question à se poser ? La rem a souhaité participer à sa façon aux États généraux de l’information,  qui se déroulent jusqu’au printemps 2024, en posant cette question à ses auteurs, enseignants-chercheurs et professionnels. Françoise Laugée
 
Lettre aux journalistes de Gaza lue à l’occasion de la cérémonie de remise des prix Albert-Londres 2023.
 

C’est déjà votre cinquième guerre. On pourrait presque vous soupçonner d’avoir l’habitude. Pourtant vous avez compris très rapidement, dès les premiers bombardements, que ce ne serait pas une guerre comme les autres.

Quand vous partez en reportage le matin, vous n’êtes pas certains que vous rentrerez chez vous, et si vous survivez et parvenez à rentrer chez vous, c’est peut-être votre famille qui ne sera plus là. Vos collègues tombent les uns après les autres, et vous commencez à croire que ce n’est pas une coïncidence ; vous vous demandez si vous êtes visés.

Quand vous filmez des blessés à l’hôpital, ou les files devant les boulangeries, ou les corps ensevelis dans un charnier, vous reconnaissez des visages. Nous, derrière nos écrans, nous voyons des corps. Vous, vous voyez un ami, une cousine, un voisin. Nous, derrière nos écrans, nous voyons des ruines et de la poussière. Vous, vous voyez l’école où vous avez étudié et l’hôpital où vos enfants sont nés.

Chaque jour, vous documentez le crépuscule de votre propre existence. Et parce que vous êtes palestiniens, arabes, musulmans, on dit de vous que vous êtes des propagandistes, peut-être même des terroristes. Les gens qui n’ont aucune éthique doutent de la vôtre. Mais nous, on vous voit tels que vous êtes : des journalistes qui font un travail inestimable dans des circonstances impossibles.

Wilson Fache est un journaliste indépendant, prix Albert-Londres 2023, 85e prix dans la catégorie « Presse écrite » pour ses reportages sur l’Afghanistan (Libération et L’Écho), sur la gare routière de Tel-Aviv (mouvement.net) et sur l’Ukraine (L’Écho).

Nous le remercions d’avoir autorisé La rem à republier son texte.