Disney prend le contrôle de Hulu en pleine crise de financement de la SVOD

Franchises qui s’essoufflent, chaînes en perte de vitesse et absence de rentabilité du streaming conduisent Disney à miser sur Hulu et à poursuivre sa réorientation stratégique pour contrer Netflix. Mais l’endettement des acteurs venus d’Hollywood limite les possibilités.

Alors que le groupe Disney pâtit aux États-Unis du phénomène de désabonnement aux offres du câble pour ses chaînes payantes (cord-cutting) et de la baisse des investissements publicitaires sur ses chaînes, il est contraint de revoir sa stratégie (voir La rem n°67, p.88). Si la cession de certaines chaînes est envisagée, trouver des repreneurs pour une activité en déclin sera difficile. Reste donc à renforcer l’offre sportive, portée aux États-Unis par ESPN, et l’offre de streaming, deux activités qui, à côté des parcs d’attractions et du cinéma, semblent dessiner l’avenir du groupe américain.

Pour ce qui est de l’offre sportive, le contrôle des droits s’avère essentiel, et Disney semble s’orienter vers une association avec les ligues sportives en leur permettant de monter au capital d’ESPN, jusqu’à 33 % de l’ensemble constitué de la chaîne éponyme et du service de streaming ESPN+. En effet, la sécurisation des droits conditionne la performance des services de streaming sportif comme a pu le découvrir Disney en Inde où, après la perte des droits de diffusion du cricket en streaming, son service a perdu 21 de ses 61 millions d’abonnés en quelques mois. Depuis, Disney Star, l’ex-Hotstar racheté avec la 21st Century Fox, est en vente.

Pour les services de SVOD (vidéo à la demande par abonnement) proposant une offre globale de films et de séries, Disney n’a pas de problème de disponibilité des contenus mais doit en revanche trouver les voies de la rentabilité, puisque Disney+ et, demain, Hulu sont censés prendre le relais des chaînes de télévision (voir La rem n°45, p.43). En effet, suite au rachat de la Fox, effectif en 2019, Disney contrôle deux tiers du capital de Hulu, le service de streaming vidéo étant auparavant détenu par Disney, la Fox et Comcast qui s’étaient réunis pour contrer d’abord YouTube, puis Netflix (voir La rem n°17, p.34). Or, dans le cadre du rachat des parts de la Fox, Disney s’était engagé auprès de Comcast à lui racheter ses parts dans Hulu à partir de 2024 pour un montant minimum de 8,61 milliards de dollars, montant qui devait être réévalué en fonction des performances de Hulu. Fin 2023, Hulu compte un peu plus de 48 millions d’abonnés et, chose rare aux États-Unis, est un service de streaming rentable. Hulu fédère une offre pour adultes, assez éditorialisée et qui donne toute sa place au cinéma américain dit « indépendant » (produit en grande partie par la Fox), donc une offre complémentaire parce qu’à l’opposé de celle de Disney+. D’ailleurs, Disney propose aux États-Unis des abonnements combinés Hulu–Disney+ (20 dollars par mois) et Hulu–Disney+–ESPN+ (25 dollars par mois). Autant dire que Disney devra payer une prime à Comcast pour prendre définitivement le contrôle de Hulu et pouvoir remonter les bénéfices du service de streaming vidéo dans ses comptes. Or, cet aspect-là est essentiel.

En effet, le pari de Disney sur le streaming n’est pas encore gagné. Pour attirer un maximum d’abonnés, Disney+ a été alimenté en contenus chers à produire, le tout pour un prix de l’abonnement extrêmement bas. Ce faisant, Disney a dégradé l’intérêt de ses chaînes payantes et même l’intérêt de ses films, puisque ces franchises ont été usées jusqu’à la corde avec une multiplication des séries mettant en scène les personnages du groupe sur Disney+, qu’il s’agisse de ceux de l’univers Marvel ou de ceux de l’univers Star Wars. Et cela se traduit aujourd’hui aussi dans les entrées en salles où les franchises ne rencontrent plus le succès espéré : « The Marvels », le troisième volet d’« Ant-Man et la guêpe » comme le nouvel « Indiana Jones », ne sont pas parvenus, avec le box-office nord-américain, à rapporter suffisamment pour garantir la rentabilité du film, condition ensuite de sa très forte profitabilité sur les marchés internationaux où la revente des droits s’apparente à de la marge pure. Disney a même perdu la place de leader au box-office mondial qu’il détenait depuis 2016 et qui lui a été ravie en 2023 par Universal Pictures.

Avec un service de streaming insuffisamment facturé, des films en salle à la peine et des chaînes aux revenus qui baissent structurellement, les actionnaires de Disney exigent du groupe qu’il se transforme pour redevenir rentable. Si cela passe par une augmentation du prix des abonnements et l’interdiction du partage des comptes, qui devrait produire ses effets en 2024, cela passe aussi par une limitation des dépenses. Or, le rachat de Hulu risque de coûter cher à Disney, même si le groupe pourra le financer en partie par la vente de ses activités indiennes. Et il se pourrait bien que les méga-rachats qui ont caractérisé Hollywood ces dernières années ne soient plus possibles.

En effet, les fusions géantes entre Disney et la 21st Century Fox, entre CBS et Viacom (l’actuel Paramount Global), entre Warner Bros. et Discovery, entre NBC, Sky et Comcast, ont fortement endetté les géants d’Hollywood qui, pour résister à Netflix, s’endettent davantage encore afin d’acquérir la compétence technique sur le streaming et d’alimenter leur catalogue en nouveautés. C’était d’ailleurs le pari de Netflix, à savoir devenir plus vite Disney que Disney ne mettra de temps à devenir Netflix, donc interdire aux acteurs de la télévision de financer dans le temps leurs offres de streaming vidéo grâce aux revenus de leurs chaînes. Le pari semble aujourd’hui gagné puisque, selon le cabinet Enders Analysis, les quatre géants d’Hollywood et Netflix cumulent, à eux cinq, plus de 190 milliards de dollars de dettes, dont 37 milliards pour Disney, 14 milliards pour Paramount, 45 milliards pour Warner Bros. Discovery, 100 milliards pour Comcast, contre 7 milliards pour Netflix ! Or, cette dette pose désormais problème parce que les taux d’intérêt ont augmenté et parce que son remboursement est de moins en moins garanti. En effet, alors que les chaînes avaient historiquement un taux de marge entre 30 et 40 %, les services de streaming censés prendre le relais sont, pour l’instant, très souvent déficitaires et, quand ils sont rentables, leur marge est faible. Ils ne financeront pas, dans un second temps, la morte lente des chaînes historiques. D’où la stratégie de Disney, qui consiste à réduire les coûts de façon drastique, à tenter de se séparer de ses activités les moins stratégiques, qu’il s’agisse de chaînes de télévision aux États-Unis ou de ses activités indiennes, tout en payant cher Hulu qui est rentable et qui a un avenir auprès du public américain.

Les mêmes maux ne produisent pas les mêmes remèdes chez les autres acteurs venus d’Hollywood qui misent encore, pour certains, sur la concentration, afin de mutualiser les investissements dans le streaming tout en augmentant les coûts à venir de restructuration ou de fermeture des activités traditionnelles de télévision. Ainsi, le média en ligne Axios puis le Wall Street Journal ont-ils fait savoir, fin décembre 2023, que Warner Bros. Discovery envisage de fusionner avec Paramount Global, lequel cherche à se désendetter en urgence. Le groupe a déjà vendu ses activités d’édition à KKR (Simon & Schuster) en août 2023 (voir La rem n°67, p.83) et il a refusé une offre de rachat à 3 milliards de dollars pour son réseau de télévision Showtime. Le Groupe Canal+ est aussi parfois cité par la presse française pour d’éventuelles visées sur le studio Paramount.

Sources :

  • Goulard Hortense, « Pour ses cent ans, Disney est dans une passe difficile », Les Échos, 17 octobre 2023.
  • Derville Emmanuel, « Disney renonce à la conquête de l’Inde », lefigaro.fr, 25 octobre 2023.
  • Dugua Pierre-Yves, « Streaming vidéo : Disney s’empare de Hulu au prix fort », lefigaro.fr, 3 novembre 2023.
  • Sallé Caroline, « À Hollywood, l’ombre de la dette plane au-dessus des grandes majors », lefigaro.fr, 14 novembre 2023.
  • Sallé Caroline, « Face à l’essoufflement des franchises, Hollywood change de stratégie », lefigaro.fr, 15 novembre 2023.
  • Godeluck Solveig, « Warner et Paramount envisagent de fusionner », Les Échos, 22 décembre 2023.
  • Loignon Stéphane, « Universal Pictures détrône Disney en tête du box-office mondial », Les Échos, 5 janvier 2024.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)