Comment rendre accessible et visible ce qui n’intéresse pas le public ?
Pour Tarlach McGonagle, de l’Institut du droit de l’information (IViR) de l’université d’Amsterdam, coordinateur et principal auteur de ce rapport, « le fait que les médias doivent servir l’intérêt public constitue depuis longtemps l’une des valeurs ou finalités centrales et immuables de la réglementation et de la politique en matière de médias ». Toutefois, « l’intérêt public n’est pas ce qui intéresse le public » ; d’ailleurs, peut-on vraiment parler de « public » ? Et doit-on parler d’« intérêt général » ou d’« intérêt public » ? Comment s’assurer que ces contenus, dont la définition même et l’interprétation sont sujettes à discussion depuis le début du XXe siècle, soient visibles ? Le rapport rédigé par l’Observatoire européen de l’audiovisuel pose la question en ces termes : « Les contenus (et services) d’intérêt public risquent-ils d’être noyés dans un magma de bruit numérique ? La disponibilité est-elle suffisante ? » En France, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) a publié, en février 2024, deux projets de délibération listant les services d’intérêt général (SIG) et les conditions de leur visibilité. Elle préconise en ce sens une application, accessible depuis les interfaces d’accueil des téléviseurs connectés et des box des opérateurs, qui regrouperait l’ensemble des services d’intérêt général. Comme l’explique Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, « nous sommes dans une période de révolution des usages avec un environnement qui change de façon significative, à la fois pour le téléspectateur qui a des difficultés à accéder aux chaînes de la TNT, mais également pour les éditeurs noyés parmi les autres services. C’est un enjeu de pluralisme et un enjeu de souveraineté ».
Le rapport de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, organisé en deux parties, commence par présenter les dispositifs réglementaires du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne en matière d’accessibilité et de visibilité des contenus d’intérêt public, puis envisage le sujet selon différentes perspectives. La question de l’accessibilité et de la visibilité des contenus d’intérêt public est d’abord présentée selon sa dimension économique et commerciale, sur un marché totalement bouleversé depuis quarante ans. Alors qu’en 1989, date de l’adoption de la directive « Télévision sans frontières », l’Europe comptait 47 chaînes de télévision nationales, avec une offre privée pratiquement inexistante, il en existait plus de 3 300 en 2008, majoritairement privées. Le rapport examine ensuite l’accès aux contenus d’intérêt public du point de vue des minorités (nationales), dont le double objectif est à la fois de « préserver la singularité » et de « promouvoir l’intégration sociétale ». Les auteurs détaillent alors plusieurs dispositifs réglementaires et politiques régissant les médias aux niveaux national et européen aux fins de garantir aux minorités nationales un accès effectif aux contenus d’intérêt public répondant à leurs intérêts particuliers. Les auteurs soulèvent également la question de l’accès aux contenus d’intérêt public du point de vue des enfants. « Même si la caractéristique commune d’être âgé de moins de 18 ans ne reflète en rien l’infinie diversité des identités subjectives et des intérêts propres à des enfants d’âges et de milieux différents, elle constitue une base suffisante pour justifier une approche spécifique des contenus d’intérêt public », écrit Tarlach McGonagle.
Le chapitre examine comment les cadres réglementaires et politiques, émanant des Nations Unies, du Conseil de l’Europe ou encore de l’Union européenne, tentent de trouver le juste équilibre entre « l’autonomisation et la protection des enfants dans la manière dont ils exercent leurs droits à la liberté d’expression et d’information ». Alors que « les médias traditionnels (télévision et presse écrite) continuent de perdre en popularité et, parallèlement, les consommateurs de médias en ligne utilisent moins les informations en ligne que les années précédentes », le rapport s’intéresse à la manière dont certains États membres, comme le Danemark ou la Belgique, tentent de garantir l’accessibilité et la visibilité des contenus d’intérêt public pour les enfants. VRT, entreprise publique autonome à caractère culturel, chargée du service public de la radio et de la télévision de langue néerlandaise pour la Communauté flamande de Belgique, a depuis longtemps développé un bulletin d’information quotidien destiné aux enfants : « Karrewiet ». En juin 2021, VRT a délaissé l’application Instagram au profit d’une chaîne TikTok qui a gagné 75 000 followers en trois mois. De plus, tout en garantissant la disponibilité, l’accessibilité et la visibilité des contenus d’intérêt public pour les enfants, il est également nécessaire de « protéger ces derniers contre les contenus préjudiciables risquant de nuire à leur développement ». Les auteurs du rapport estiment ainsi que c’est par « le développement des capacités de l’enfant et de son intérêt supérieur qui doivent être pris en compte systématiquement » qu’il serait possible de trouver un équilibre entre liberté, émancipation et protection. Un vœu pieux ?
Contenus d’intérêt public sur les plateformes audiovisuelles : accessibilité et visibilité, Maja Cappello (éd.), IRIS Spécial, Observatoire européen de l’audiovisuel, Strasbourg, 2023.