L’audiovisuel public mieux financé, Franceinfo est inaugurée

Les décisions du Conseil d’État ne sont pas sans conséquences sur le paysage audiovisuel français.

Après avoir annulé le refus du passage en clair de LCI et conduit le CSA à se prononcer dans un deuxième temps en faveur de la chaîne d’information du groupe TF1, le Conseil d’État a sauvé Numéro 23, quand la fréquence de la chaîne faisait l’objet de toutes les convoitises, et notamment celle du service audiovisuel public qui avait envisagé de récupérer cette fréquence pour le lancement de la nouvelle chaîne d’information publique. Ce projet de chaîne publique d’information est porté par la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, en association avec Radio France, France Médias Monde et l’INA. Faute de canaux disponibles, et parce qu’il était politiquement difficile de reprendre le canal de France 4 ou de France O pour diffuser la chaîne publique d’information, le CSA a préempté une fréquence sur le canal 27 de la TNT : la fréquence a été libérée grâce au réaménagement du multiplex utilisé par France Télévisions pour diffuser ses chaînes, un réaménagement rendu possible à l’occasion du passage de la TNT en HD le 5 avril 2016.

Avec LCI en clair et la future chaîne publique d’information, la France comptera donc quatre chaînes d’information, autant que l’Allemagne qui était jusqu’alors championne en Europe sur l’information en continu. Autant dire que l’audience des chaînes françaises d’information risque de se morceler rapidement quand jusqu’ici seule BFM TV était rentable, iTélé affichant un déficit depuis son passage en clair en 2005. Par ailleurs, LCI comme le service public audiovisuel ont l’ambition de s’imposer et sont donc prêts à prendre des risques financiers ou éditoriaux qui auront des conséquences sur la structure du marché. LCI vise 1 % d’audience dans trois ou quatre ans, c’est-à-dire la part d’audience d’iTélé en avril 2016.

LCI affichait déjà 0,3 % de part d’audience le premier mois de son existence en clair, en juillet 2015, contre 2,8 % pour BFM TV, qui devrait mécaniquement perdre le plus, du fait de sa position de leader. iTélé, avec 1,2 % de part d’audience, pourrait être vite rattrapée. Reste à parier que le renforcement de l’offre s’accompagnera d’une hausse globale de l’audience des chaînes d’information en continu, l’Allemagne et la France étant déjà les deux seuls pays d’Europe où les chaînes d’information représentent plus de 3 % de l’audience totale. En Allemagne, les quatre chaînes d’information en continu affichent ainsi une part d’audience autour de 1 % chacune. Si cette répartition des audiences finit par s’appliquer en France, alors toutes les chaînes seront déficitaires, puisque la seule chaîne actuellement à l’équilibre, BFM TV, dispose d’une audience deux fois plus élevée.

L’équilibre financier des chaînes d’information en continu sera donc l’enjeu principal des années à venir, seul le service public audiovisuel échappant à cette contrainte. En prévoyant un premier budget à l’équilibre en 2016, ce qui n’était pas le cas depuis trois ans, France Télévisions s’est mis en situation de disposer de moyens financiers nouveaux pour développer ses projets. Après avoir demandé une hausse de la redevance et plus de moyens, notamment le retour de la publicité après 20 heures (voir La rem n°36, p.33), la présidente de France Télévisions a pu compter sur une augmentation de la taxe Copé, une taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications instituée pour financer le service public audiovisuel.

Affectée jusqu’ici au budget de l’État, avec un reversement non systématique à l’audiovisuel public depuis 2012, la taxe Copé est passée de 0,9 % à 1,3 % en octobre 2015, ce qui rapporte 25 millions d’euros supplémentaires à France Télévisions. Cette taxe est par ailleurs définitivement affectée au financement de l’audiovisuel public, selon un décret publié début mars 2016. Cette décision sanctuarise une partie des recettes de l’audiovisuel public, la taxe Copé rapportant entre 200 et 300 millions d’euros par an. Pour le reste, France Télévisions bénéficiera des moyens nouveaux qu’elle a obtenus dans ses négociations avec ses partenaires et avec l’État. Le groupe a ainsi négocié à la hausse la part de production dépendante autorisée, passée de 5 à 25 % des obligations de financement, ce qui lui permettra de valoriser une partie des programmes financés. Parallèlement, France Télévisions négocie à la baisse ses contrats avec les producteurs indépendants, ce qui est le cas pour Newen, producteur de Plus belle la vie, qui est sanctionné pour être passé dans le giron de TF1 (voir La rem n°37, p.42).

Dans son contrat d’objectifs et de moyens pour 2016-2020, France Télévisions s’est par ailleurs engagé à ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux, soit 500 postes supprimés jusqu’en 2020 et une économie de 70 millions d’euros par an. Enfin, France Télévisions a obtenu un allègement des contraintes pesant sur le parrainage des émissions, seul moyen de facturer les annonceurs après 20 heures sur les écrans du service public. Désormais, le parrainage est autorisé non seulement pour les marques, mais également pour les produits qui pourront être présentés à l’antenne.

Le pari de la nouvelle chaîne d’information publique, baptisée Franceinfo, lancée officiellement le 1er septembre 2016, n’est toutefois pas gagné d’emblée. Certes, la nouvelle chaîne a pour elle une véritable stratégie numérique, avec une diffusion et des formats pensés pour tous les écrans : elle est de ce point de vue une expérimentation de ce que pourrait être la télévision de demain, où les millenials seront majoritaires. Mais les difficultés sont nombreuses pour s’imposer sur ce marché concurrentiel. Outre LCI qui a lancé sa nouvelle grille à la rentrée, avec des animateurs stars comme Yves Calvi recruté à l’occasion du passage en clair, Franceinfo devra s’accommoder des spécificités de l’audiovisuel public.

Alors que la présidente du groupe voyait dans Franceinfo un moyen de « détayloriser » le travail au sein des rédactions, en demandant aux journalistes d’être biqualifiés (montage en plus des activités de tournage et de rédaction), elle se heurte pour l’instant sur le Syndicat des journalistes de France Télévisions qui refuse renoncer à l’accord d’entreprise du 28 mai 2013, prévoyant la séparation des tâches, ce qu’a confirmé le tribunal de grande instance de Paris en septembre 2016.

Enfin, une partie des journalistes de la radio France Info, pourtant associée au lancement de la chaîne publique d’information, ont adressé une motion à leur direction. Ils dénoncent l’image ternie de leur radio, parce qu’elle porte le même nom que la chaîne de télévision et son site web, ce qui conduit à la publication d’informations contradictoires entre l’antenne de France Info d’une part, la chaîne et le site Franceinfo d’autre part. Les journalistes de France Info avancent à l’appui de leurs propos la fausse alerte attentat à l’église Saint-Leu à Paris, le 17 septembre 2016, qui a été relayée par la chaîne et son site, alors que la station démentait l’information.

Sources :

  • « France Télévisions vise l’équilibre », Marina Alcaraz, Les Echos, 18 décembre 2015.
  • « Le produit de la taxe sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications affecté au financement de France Télévisions », La Correspondance de la Presse, 7 mars 2016.
  • « France TV veut pousser les meubles pour sa chaîne d’info », Caroline Sallé et Enguérand Renault, Le Figaro, 17 mars 2016.
  • « Catherine Nayl : « Avec LCI, notre ambition est d’atteindre 1 % d’audience en 3 ou 4 ans » », interview de Catherine Nayl, directrice de l’information du groupe TF1, par Enguérand Renault, Le Figaro, 4 avril 2016.
  • « TNT : LCI grignote des parts de marché », Marina Alcaraz, Les Echos, 3 mai 2016.
  • « Audrey Azoulay préempte une place sur la TNT pour la chaîne d’info publique », Caroline Sallé, Le Figaro, 15 juin 2016.
  • « France Télévisions va supprimer 500 postes d’ici à 2020 », Marina Alcaraz, Les Echos, 15 juillet 2016.
  • « Le service public peut se permettre de prendre des risques », interview de Delphine Ernotte-Cunci, PDG de France Télévisions, par Marina Alcaraz, David Barroux, Les Echos, 27 juillet 2016.
  • « La chaîne d’information publique veut inonder le numérique tous azimuts », Nicolas Madelaine, Marina Alcaraz, Les Echos, 24 août 2016.
  • « Chaînes info : la France fait jeu égal avec l’Allemagne », latribune.fr / AFP, 27 août 2016.
  • « La justice complique la vue de la nouvelle chaîne d’info publique », M.A., Les Echos, 14 septembre 2016.
  • « Fortes tensions au sein de la nouvelle chaîne d’info publique FranceInfo », Caroline Sallé, Le Figaro, 21 septembre 2016.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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