TF1 et M6 élargissent leur périmètre pour s’imposer auprès des annonceurs

Le groupe TF1 et le groupe M6, cherchent chacun à développer leur audience non seulement au-delà des chaînes, notamment sur internet, afin de toucher les millenials, ces générations nées après l’an 2000, mais aussi sur d’autres médias avec l’annonce du rachat de RTL par M6.

Avec deux milliards de chiffre d’affaires annuel, le groupe TF1 est le premier groupe privé de télévision en clair en France. Très puissant, le groupe bénéfice d’une prime au leader sur le marché publicitaire TV qui lui permet de s’arroger quelque 30 % de celui-ci avec sa seule chaîne TF1, à laquelle il faut ajouter les revenus issus des chaînes du groupe sur la TNT, TMC, NT1, HD1 et LCI. Mais l’arrivée de la TNT, en 2005, et l’émiettement mécanique des audiences a pénalisé les chaînes historiques : les recettes publicitaires de TF1 baissent depuis 2007. Pour conserver sa rentabilité, le groupe cherche donc à mieux contrôler le coût de ses programmes, et tente en même temps de diversifier ses revenus et son audience en s’imposant sur internet.

En ce qui concerne la maîtrise du coût des programmes, l’un des genres sur lequel le groupe TF1 a pris le plus d’initiatives est incontestablement la production audiovisuelle. Outre le rachat de Newen (voir La rem n°37, p.42), le groupe s’est associé en 2015 à RTL Deutschland et NBC Universal, afin de cofinancer des séries américaines (voir La rem n°36, p.36). Cet accord permet aux deux partenaires européens de décider des formats des productions, quand les séries américaines adaptées à la télévision en clair, avec des épisodes indépendants, sont devenues rares. En effet, les majors travaillent de plus en plus pour les chaînes payantes et les services de SVOD dont les investissements dans la production audiovisuelle explosent.

Ces acteurs préfèrent des séries « feuilletonnantes », un format moins adapté à une chaîne comme TF1 qui, au début des années 2010, réalisait les meilleures audiences avec des séries américaines comme Les Experts ou Mentalist. TF1 et RTL Deutschland espèrent ainsi que la première série américaine issue de ce partenariat, une série policière de 12 épisodes baptisée Gone, dont le tournage est prévu au printemps 2017, relancera sur leurs antennes l’intérêt pour la production américaine. Gone a les attributs des grandes productions hollywoodiennes, avec un budget de 35 millions de dollars, soit 3 millions environ par épisode, pris en charge pour un tiers par chacun des partenaires.

Outre les recettes publicitaires associées à sa diffusion sur TF1, Gone engendrera également des recettes de vente à l’échelle internationale, auxquelles le groupe TF1 est intéressé, ce qui lui permet par ailleurs de diversifier ses revenus et de moins dépendre du seul marché publicitaire. À l’inverse, si les productions locales sont plébiscitées par le public, les séries et téléfilms français occupant 37 des 100 meilleures audiences de l’année 2016, leur programmation en prime time est rarement rentable, le coût des droits de diffusion comme les coûts de production n’étant pas amortis suffisamment sur le seul marché national.

La baisse des recettes publicitaires comme la nécessité de diversifier les sources de revenus expliquent aussi pourquoi le groupe TF1 cherche à compenser sur internet les audiences et les revenus publicitaires perdus à la télévision, notamment sur les populations les plus jeunes, les millenials. Ces populations sont également la cible des chaînes du groupe sur la TNT, à l’instar de NT1, mais l’internet offre des perspectives différentes. Il permet de toucher une population jeune qui délaisse la télévision ; il permet d’identifier de nouveaux talents, de tester de nouveaux formats, plus courts, et de développer des activités publicitaires nouvelles pour les chaînes, qu’il s’agisse de publicité ciblée ou de brand content. Plusieurs investissements récents de TF1 s’inscrivent dans cette logique, comme dans Minute Buzz et dans Studio71.

Annoncée le 1er décembre 2016, la prise de participation majoritaire de TF1 pour environ 2 millions d’euros dans l’éditeur Minute Buzz, qui a fermé son site web depuis octobre 2016 pour distribuer ses contenus uniquement sur les réseaux sociaux, doit permettre à TF1 de se défendre comme content market place. En réalité, TF1 s’adresse ici aux annonceurs à qui il propose, outre une exposition forte à la télévision, la possibilité de toucher des audiences complémentaires en ligne, et de les cibler plus efficacement.

En effet, MinuteBuzz touche d’abord des audiences jeunes avec 250 millions de vidéos vues par mois et 9 millions d’abonnés à ses différentes pages sur les réseaux sociaux. Cette capacité à produire des vidéos virales dans un format court sera exploitée par TF1 qui envisage le lancement de nouvelles marques destinées aux millenials, notamment une marque d’information. MinuteBuzz dispose aussi d’une expertise forte dans le brand content, la réalisation de contenus vidéo pour les marques. Cette expertise sera intégrée dans l’offre publicitaire de la régie TF1.

Le 12 janvier 2017, TF1 annonçait un autre investissement stratégique dans la vidéo sur internet. Le groupe français s’est allié au groupe de télévision allemand ProSiebenSat.1 et l’italien Mediaset au sein de Studio71, le MCN – Multi-channel network – détenu par ProSieben. Studio71 revendique la quatrième place sur YouTube à l’échelle mondiale, Studio71 comptant plus de 6 milliards de vidéos vues chaque mois sur les différentes plates-formes où il opère. TF1 prend 6,1 % du capital pour 25 millions d’euros, et Mediaset 5,5 % du capital de Studio71, les deux investissements approchant 50 millions d’euros, ce qui valorise Studio71 à environ 400 millions d’euros. ProSieben investit de son côté dans le MCN de TF1, Finder Studios (200 millions de vidéos vues par mois), amené à devenir Studio71 France courant 2017.

De nouveau, l’opération permet à TF1 d’élargir sa cible et de proposer aux annonceurs à la fois des contacts sur la télévision et sur internet. En même temps, l’alliance avec l’un des principaux groupes de télévision privée en Allemagne et le leader de la télévision privée en Italie offre à TF1 la possibilité d’une présence en ligne paneuropéenne, voire mondiale, grâce aux talents gérés par Studio71. Cette alliance, en fédérant les audiences en ligne des MCN, de ProsiebenSat.1 et de TF1 doit également permettre au groupe français d’établir un nouveau rapport de force avec les géants de l’internet, Google comme Facebook, qui ne peuvent pas ignorer les audiences engendrées par les contenus vidéo des grands MCN.

En revanche, ces vidéos valorisées par la publicité, dont les revenus sont partagés avec les plates-formes d’hébergement, ne devraient pas permettre à TF1 d’accroître très fortement son chiffre d’affaires en ligne, les MCN engendrant très peu de revenus, comparés à ceux des chaînes de télévision. Ainsi Studio71 est-il à peine à l’équilibre, malgré les 6 milliards de vidéos vues chaque mois. Le groupe TF1, fort de ses nouveaux investissements dans le numérique, ambitionne toutefois d’augmenter la part de ses revenus qui en sont issus, représentant pour l’instant 5 % de son chiffre d’affaires.

Le même type de stratégie se retrouve chez le concurrent français de TF1, le groupe M6, qui a annoncé le 3 janvier 2017 un investissement de 5 à 6 millions d’euros par an dans un nouveau studio de production à destination des millenials, baptisé Golden Network. L’objectif est de créer de nouvelles chaînes YouTube pour alimenter le MCN du groupe, Golden Moustache, lancé en 2012. Le groupe M6 va également changer de dimension et devenir un véritable groupe multimédia, cumulant une audience télévisée importante (plus de 10 % de part d’audience avec M6 en 2016), une audience en ligne développée à la fois dans les contenus vidéos et le e-commerce, et dorénavant les audiences radio et internet du groupe RTL. Le groupe a en effet annoncé, le 13 décembre 2016, le rachat de RTL France (RTL, RTL2, Fun Radio) pour 216 millions d’euros.

RTL, parmi les radios privées, est leader en France, ce qui permettra à M6 de proposer une offre élargie de cibles aux annonceurs, M6 contrôlant 23 % du marché publicitaire à la télévision en 2016, et RTL 25 % du marché publicitaire à la radio. Le rachat, qui reste soumis à l’autorisation du CSA et des autorités luxembourgeoises, a été facilité par l’actionnaire commun des deux entités, RTL Group (lui-même contrôlé par l’allemand Bertelsmann), tout en évitant une opération pouvant être refusée en vertu des seuils anti-concentration dans les médias en France. RTL Group détient en effet 48,26 % de M6 et 100 % de RTL France. RTL Group ne détiendra à l’issue du rachat que 48,26 % du nouvel ensemble, puisque c’est M6 qui finance l’opération. Le rachat de RTL France par M6 fait ainsi émerger un géant français des médias représentant près d’1,4 milliard d’euros de chiffre d’affaires, dont 1,2 milliard pour M6 et 168 millions d’euros pour RTL.

À l’évidence, M6 a fait le choix d’étendre son audience sur le plus grand nombre de canaux, afin de rester attrayant auprès des annonceurs, alors que les marchés publicitaires historiques sont fragilisés par la concurrence des supports en ligne, ceux notamment proposés par les géants du Net, Google et Facebook en premier lieu. Sans effet de taille significatif, il sera en effet de plus en plus difficile de pouvoir proposer une alternative média crédible aux annonceurs.

Sources :

  • « Gone, la première série américaine produite par TF1 », Caroline Sallé, Le Figaro, 1er décembre 2016.
  • « Avec MinuteBuzz, TF1 cherche une audience jeune », Caroline Sallé, Le Figaro, 2 décembre 2016.
  • « Avec l’acquisition de MinuteBuzz, TF1 poursuit sa conquête du numérique », Marina Alcaraz, Les Echos, 2 décembre 2016.
  • « M6 enclenche le rachat de RTL France », Enguérand Renault, Le Figaro, 14 décembre 2016.
  • « M6 va racheter RTL, sa société sœur dans la radio », Marina Alcaraz, Les Echos, 14 décembre 2016.
  • « La fiction française revient en force dans le Top 100 des meilleures audiences », Marina Alcaraz, Les Echos, 2 janvier 2017.
  • « M6 va développer un studio de production pour les Millenials », interview de Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, par Marina Alcaraz, Les Echos, 3 janvier 2017.
  • « TF1 doit aller chercher des audiences au-delà de ses frontières », interview de Gilles Pélisson, PDG de TF1, par Caroline Sallé et Enguérand Renault, Le Figaro, 13 janvier 2017.
  • « TF1 se développe sur YouTube via une alliance européenne », Marina Alcaraz, Les Echos, 13 janvier 2017.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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