Avec le rapprochement annoncé entre Vodafone et Liberty Global, le marché européen des télécoms amorce une consolidation poussée, les autorités de concurrence restant toutefois très vigilantes. Si Xavier Niel peut internationaliser ses participations en Irlande, le passage de quatre à trois opérateurs mobiles reste plus risqué, comme aux Pays-Bas.
Après une période conciliante où la Commission européenne a laissé le marché européen des télécoms se consolider, les opérations de fusion sont beaucoup plus surveillées depuis 2016 et l’interdiction du rachat d’O2 par Three au Royaume-Uni (voir La rem n°38-39, p.42). Désormais, seules les fusions entre opérateurs de réseaux fixe et mobile semblent envisageables sur un même marché national, parce qu’elles préservent la concurrence et contribuent au développement des offres convergentes. Elles répondent également à la nécessité, pour les opérateurs mobiles, de disposer d’un réseau fixe performant pour prendre en charge le transport des données entre antennes dans le cadre du déploiement du très haut débit mobile, qu’il s’agisse de 4G ou de 5G (voir La rem n°40, p.48). Quand, à l’inverse, deux opérateurs cherchent à fusionner des activités similaires, tel le rapprochement en Italie des opérateurs mobiles Wind (WimpelCom) et 3 Italia (Hutchison), le passage de quatre à trois acteurs sur le marché est bloqué. Certes, la Commission européenne a donné son autorisation à l’opération italienne le 1er septembre 2016 parce que les deux acteurs fusionnés avaient accepté de céder un lot de fréquences à Iliad afin qu’il investisse le marché italien. Pour croître sur le marché européen des télécoms, il reste donc aux opérateurs à jouer soit la carte de la convergence sur les marchés où ils sont déjà présents, soit la carte de l’internationalisation pour s’implanter dans de nouveaux pays européens.
C’est cette stratégie qui a été retenue par Iliad, la maison mère de l’opérateur français Free, détenue à 52 % par Xavier Niel. Après avoir lancé son activité mobile en France en 2012, ce qui lui a permis de proposer des offres convergentes à l’instar des trois autres acteurs présents sur le marché, Iliad a amorcé une stratégie d’internationalisation avec l’annonce, avant l’été 2018, du lancement des offres mobiles italiennes grâce aux fréquences rachetées à Wind et 3 Italia. L’internationalisation d’Iliad est prévue également en Irlande : le 20 décembre 2017, la société a annoncé avoir pris une participation de 31,6 % au sein du capital de l’opérateur historique irlandais Eir, pour 320 millions d’euros. Mais Eir passe de facto sous le contrôle de Xavier Niel puisque l’opération se double également d’une prise de participation de 32,6 % dans Eir par NJJ, la holding personnelle de Xavier Niel. Iliad et NJJ s’imposent ainsi au sein du capital d’Eir, qui a réalisé en 2017 un chiffre d’affaires de 1,3 milliard d’euros en Irlande (exercice clos en juin) et affiche une marge de 40 %, grâce à une part de marché de 38 % dans le fixe, mais de seulement 15,5 % dans le mobile.
De ce point de vue, Eir s’apparente plus à un challenger sur le marché irlandais car bien qu’il soit l’opérateur historique, il doit rivaliser sur le haut débit fixe avec Virgin Media, qui appartient à Liberty Global, leader européen du câble, il doit aussi rivaliser sur le mobile avec deux géants européens, Vodafone (43,3 % de parts de marché) et Three (39,3 % de parts de marché). Néanmoins Eir a pour lui d’être déjà un opérateur convergent, ce qui n’est pas le cas de ses concurrents, et il devrait dès lors pouvoir bénéficier de la dynamique propre aux offres groupées. C’est ce qu’anticipe Xavier Niel qui, dans l’opération, a accordé à Iliad une option d’achat sur 80 % des actions détenues par NJJ dans Eir à l’horizon 2024, et ce avec une décote de 12,5 %. Autant dire que NJJ anticipe une hausse bien plus importante de la valeur de Eir dans les six ans à venir, cet accord indiquant également la priorité donnée à l’internationalisation d’Iliad au détriment du déploiement des activités de NJJ. Ainsi Xavier Niel se donne-t-il les moyens de mieux valoriser ses actifs : après la prise de contrôle effective de Eir début avril 2018, l’opérateur a annoncé la suppression de 750 postes, soit plus du quart de ses effectifs.
Si elle est distincte d’Iliad, la holding de Xavier Niel donne à l’actionnaire principal des deux ensembles les moyens d’une internationalisation encore plus ambitieuse. En effet, NNJ détient Monaco Telecom depuis 2014, Orange Suisse depuis 2015 (aujourd’hui rebaptisé Salt), et étend ses activités dans l’océan Indien et l’Afrique grâce à une association avec Axian, groupe malgache dirigé par Hassanein Hiridjee. NJJ est ainsi présent dans les Comores depuis 2015, quand Iliad a eu la priorité dans les départements français de l’océan Indien, la Réunion et Mayotte, où il contrôle Outremer Telecom depuis 2015, à parité avec Axian. NJJ est également associé à Axian dans le rachat au groupe Milicom de l’opérateur sénégalais Tigo, annoncé le 1er août 2017, l’opération ayant reçu les accords nécessaires en avril 2018. Xavier Niel va donc explorer pour la première fois un marché d’Afrique subsaharienne où il devra faire face à Orange, qui contrôle plus de la moitié du marché sénégalais des télécoms.
En Europe, d’autres initiatives plus importantes sont en train de redessiner complètement le paysage des télécoms au nom de la convergence fixe-mobile. Après avoir dès 2015 envisagé la possibilité d’un rapprochement, Vodafone et Liberty Global ont confirmé, le 2 février 2018, avoir entamé des discussions, Vodafone (47,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017) devant logiquement s’emparer de Liberty Global (17 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017) afin d’adosser ses activités sur mobiles en Europe à un réseau fixe haut débit. Les deux groupes avaient déjà créé une coentreprise aux Pays-Pas en 2016 en fusionnant les activités mobiles de Vodafone avec le câble de Zyggo. Plus récemment, le 22 décembre 2017, Liberty Global s’est séparé d’UPC Austria, racheté par T-Mobile Austria (Deutsche Telekom) moyennant 1,9 milliard d’euros. Or, l’Autriche est l’un pays des pays européens où Liberty Global ne pouvait pas compter sur Vodafone pour proposer à terme des offres convergentes à ses clients. Liberty Global a de ce point de vue adapté son périmètre à celui de Vodafone.
Le 9 mai 2018, les deux groupes ont annoncé approuver la vente d’une partie des actifs de Liberty Global à Vodafone moyennant 18,4 milliards d’euros. L’opération concerne les activités de câblo-opérateur de Liberty Global en Allemagne, en Hongrie, en République tchèque ou encore en Roumanie, pays dans lesquels Vodafone est à chaque fois présent dans le mobile quand Liberty Global est présent dans le câble. C’est aussi le cas au Royaume-Uni ou en Irlande, des marchés où les deux groupes ont renoncé pour l’instant à fusionner leurs activités. L’Allemagne est le marché où le rapprochement Vodafone – Liberty aura des conséquences majeures. En effet, en fusionnant Vodafone au réseau câble UPC Deutschland, le nouvel ensemble fait émerger un concurrent solide face au premier opérateur télécoms en Europe, Deutsche Telekom. Ce dernier conforte d’ailleurs ses positions, mais dans un contexte européen où toute opération limitant la concurrence risque d’être bloquée.
Ainsi, le rachat d’UPC Austria par Deutsche Telekom ne devrait pas poser de problème de concurrence car il s’agit de rapprocher le premier câblo-opérateur autrichien d’un opérateur mobile. Il pourrait en être autrement de la prise de contrôle par l’opérateur allemand des activités mobiles néerlandaises du suédois Tele2. Annoncée le 15 décembre 2017, l’opération consiste en un rapprochement entre Tele2 Netherlands et T-Mobile Netherlands, la nouvelle entité étant contrôlée à 75 % par Deutsche Telekom et à 25 % par Tele2, moyennant 190 millions d’euros payés par Deutsche Telekom au groupe Tele2. Il s’agit bien là d’une fusion des numéros 3 et 4 du marché mobile aux Pays-Bas, donc d’une réduction de la concurrence que les deux acteurs espèrent voir autorisée parce que, ensemble, ils resteront toujours très loin du duopole convergent KPN et Vodafone-Zyggo, lesquels représentent à eux seuls 80 % du marché mobile néerlandais.
De son côté, Tele2 s’est mis d’accord, le 9 janvier 2018, avec l’opérateur Com Hem pour prendre le contrôle de ses activités, ce qui permettra à l’opérateur mobile suédois d’adosser ses activités à un réseau fixe haut débit. Le nouvel ensemble s’impose ainsi comme le deuxième acteur du marché en Suède et pourra proposer à ses clients des offres fixe-mobile-télévision intégrées, face au leader Telia.
En Belgique, Orange, qui dispose de 4 millions d’abonnés mobiles, s’est rapproché du réseau câblé Voo, exploité par Nethys et Brutélé, mais contrôlé par les municipalités belges, afin de proposer une véritable offre convergente. Si un partenariat est évoqué, un rachat est aussi possible, mais Orange risque dans ce cas de devoir faire face à la surenchère de Liberty Global, qui dispose déjà d’une offre convergente dans le pays depuis le rachat de Telenet. Ce dernier a annoncé être prêt à débourser 1,3 milliard d’euros pour racheter Voo.
Sources :
- « Tele2 and Deutsche Telekom to combine their Dutch operations », communiqué de presse, tele2.com, 15 décembre 2017.
- « Xavier Niel se lance à la conquête de l’Irlande », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 21 décembre 2017.
- « Avec l’Irlande, Free conforte sa stratégie à l’international », Elsa Bembaron, Le Figaro, 21 décembre 2017.
- « Deutsche Telekom rachète le numéro 1 du câble en Autriche », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 26 décembre 2017.
- « Tele2 and Com Hem conbining to create leading integrated connectivity provider », communiqué de presse, tele2.com, 10 janvier 2018.
- « Vodafone et Liberty Global reprennent les discussions », Romain Gueugneau, Les Echos, 5 février 2018.
- « Vodafone et Liberty Global : un rapprochement à 14 milliards », Elsa Bembaron, Le Figaro, 5 février 2018.
- « Orange convoite le réseau câblé belge Voo », Sébastien Dumoulin, Les Echos, 3 avril 2018.
- « En Belgique, Telenet s’intéresse à Voo », Les Echos, 17 avril 2018.
- « Xavier Niel débarque au Sénégal », S. Dum, Les Echos, 24 avril 2018.
- « Vodafone, nouveau champion de la convergence » fixe-mobile » », Raphaël Balenieri, Pauline Houédé, Les Echos, 11 mai 2018.