Moins de publicité à la télévision, du ciblage mais aussi de la transparence auprès des annonceurs comme des internautes : une évolution en profondeur du marché publicitaire est attendue.
Les chiffres sont sans appel : en 2017, l’internet est passé devant la télévision en France en part de marché publicitaire. Au premier semestre 2018, l’écart se creuse selon l’Observatoire de l’e-pub publié par le Syndicat des régies internet (SRI) : l’internet représente 39,2 % de part de marché, la télévision 27,4 %. Certes, la croissance de l’internet se fait plus au détriment de la presse que du petit écran, mais la tendance reste négative pour la télévision : la croissance se situe dans les univers numériques, notamment sur le mobile dont la part de marché devance pour la première fois le fixe sur les deux principaux postes de dépenses des annonceurs, le search et le display. Or, sur le mobile, Google et Facebook ont capté 93 % des investissements publicitaires au premier semestre 2018, dictant de facto leur loi au marché publicitaire en ligne (voir La rem n°42-43, p.92). La tendance est identique aux États-Unis, le premier marché publicitaire au monde : en 2017, l’internet devance la télévision en part de marché publicitaire avec 88 milliards de dollars contre 70,1 pour la télévision, dont 64,6 milliards de dollars de recettes publicitaires pour Facebook et Google. Cette domination n’est pas sans conséquences et les critiques se multiplient.
Le succès de la publicité sur internet repose sur le search, un segment de marché contrôlé par Google, mais également sur le display, notamment les bannières vidéo publiées sur YouTube et, de plus en plus, sur les réseaux sociaux. Or, le display concentre les mécontentements et cela pour plusieurs raisons. Il est stratégique pour les médias car il correspond en ligne aux espaces publicitaires de la presse ou de la télévision, il constitue donc pour les médias à la fois la principale source de financement publicitaire sur internet et la principale concurrence pour leurs formats historiques. Il est stratégique pour les annonceurs car il est un élément clé de l’identité de leur marque en ligne. Parce qu’il est de plus en plus commercialisé en fonction des profils des utilisateurs, donc en programmatique, le display a paradoxalement pu conduire à menacer la confiance dans la marque des annonceurs (brand safety), leurs bannières étant publiées dans des contextes inappropriés (voir La rem n°45, p.52). Les réactions se multiplient, qui opposent les médias à la domination des plateformes sur le marché publicitaire en ligne d’un côté, et les annonceurs aux plateformes et aux régies en ligne sur la transparence et la qualité de la communication publicitaire, de l’autre.
Ce sont les annonceurs qui décideront de l’évolution à terme des marchés publicitaires par leurs choix d’investissements. S’ils dénoncent l’inefficacité de la communication publicitaire en ligne en invoquant la trop forte exposition des internautes à la publicité, un phénomène lié à la multiplication exponentielle des espaces grâce au programmatique, ou encore le peu de respect des données personnelles par les plateformes, il reste que les annonceurs ne désinvestissent pas pour l’instant ces supports de communication, comme en attestent les chiffres des marchés français et américain. Certes, certains annonceurs ont mis leur menace à exécution : le premier d’entre eux, Procter & Gamble, avec un budget annuel de communication de 10 milliards de dollars, ayant décidé de réduire son budget de 1,2 milliard de dollars en cinq ans. Mais cette réduction est à nuancer. Elle concerne en partie la brand safety, puisque Procter & Gamble passait de la publicité sur trois millions de chaînes YouTube contre 10 000 désormais.
Mais elle procède surtout d’une évolution de la communication publicitaire : parce qu’il est désormais possible de cibler le consommateur, plus besoin de communiquer autant. Moins de publicité, mais plus d’efficacité, grâce aux outils de ciblage : la logique de performance des plateformes répond aussi aux desiderata de Procter & Gamble. Ce dernier internalise d’ailleurs une partie de la gestion des données de ses consommateurs et de sa communication ciblée. La règle est posée : moins de publicité, plus d’efficacité, une meilleure maîtrise des budgets. C’est ce qu’exigent notamment les annonceurs français avec le « Premier guide de la transparence sur l’achat programmatique » ; c’est ce que proposent encore les médias français avec leur place de marché commune ; c’est ce que font les réseaux télévisés américains en repensant la publicité à la télévision.
Après avoir lancé le label Digital Ad Trust en mars 2018 (voir La rem n°45, p.52), l’Union des annonceurs (UDA) et l’Udecam (Union des entreprises de conseil et d’achat média) ont convaincu Google et Facebook de faire certifier leurs audiences par le CESP, l’organisme français de certification de la publicité, équivalent hexagonal du Media Rate Council américain. L’UDA et l’Udecam ont par ailleurs publié leur guide sur la transparence de l’achat programmatique, en avril 2018, pour aider les annonceurs à imposer aux plateformes et aux régies en ligne des règles qui leur permettent de mieux contrôler leurs dépenses publicitaires. En effet, avec la publicité programmatique, la valorisation des espaces par des algorithmes qui croisent des profils d’internautes fait intervenir jusqu’à 25 intermédiaires en plus du média, ce qui conduit les annonceurs à ne plus maîtriser la répartition et l’efficacité de leurs dépenses publicitaires. L’UDA et l’Udecam estiment ainsi que les intermédiaires accaparent entre 60 et 70 % de la valeur de leurs dépenses publicitaires. Un Observatoire de la confiance a également été institué pour rendre compte de l’évolution des relations entre annonceurs, médias, régies et plateformes.
De leur côté, les médias multiplient les initiatives pour répondre aux attentes des annonceurs et sanctuariser leurs recettes publicitaires, malgré la concurrence très rude de Google et Facebook. En France, les deux régies programmatiques, créées par les médias en 2012, La Place Media et Audience Square (voir La rem n°25, p.5), vont fusionner pour proposer aux annonceurs une régie unique, baptisée MediaSquare, qui fédérera uniquement du display sur des sites de médias afin de garantir un contexte sûr et de qualité pour l’affichage des messages des annonceurs. Les médias utilisent ici la qualité de leurs contenus et la sécurité de leurs supports, parce qu’ils contrôlent parfaitement les contenus publiés en raison de leur statut d’éditeur en ligne, pour tenter d’exploiter les faiblesses des plateformes qui, comme hébergeurs, sont souvent contraints d’accueillir des contenus de faible qualité, voire des contenus douteux qui menacent dans ce cas les marques-annonceurs qui y sont associées.
Aux États-Unis, c’est la télévision qui réagit aux évolutions de la communication publicitaire en ligne. Prenant acte de la saturation publicitaire et du succès des plateformes de sVoD payantes qui n’accueillent pas de publicité, les networks tentent d’appliquer à la télévision les recettes de l’internet, à savoir diffuser une publicité plus engageante sans en reproduire les défauts, notamment en réduisant le volume publicitaire. Cette double tendance n’est pas surprenante aux États-Unis alors qu’elle semble lointaine en France. La personnalisation de la publicité télévisée est autorisée et les réseaux câblés s’en font les chantres, ce qui fut d’ailleurs l’un des motifs du rachat de Time Warner par AT&T. Il est donc possible de diffuser à la télévision des publicités mieux ciblées et plus engageantes. Ces publicités, naturellement plus onéreuses, permettent donc théoriquement de réduire l’exposition publicitaire à la télévision sans menacer le chiffre d’affaires des chaînes. C’est le calcul fait par AT&T avec Time Warner, mais également par NBC Universal (Comcast) et la Fox (21st Century Fox). À vrai dire, la réduction du volume d’espaces publicitaires sur les chaînes américaines s’impose aussi pour contenir le cord cutting, d’autant plus tentant que le temps de publicité par heure sur les réseaux américains est historiquement élevé. En effet, plafonné à 20 minutes par heure, le volume de publicité à la télévision américaine est en moyenne de 13,6 minutes par heure selon Nielsen, alors qu’en France il est plafonné à 12 minutes par heure pour une moyenne de 8 minutes par heure. Le sentiment d’un trop-plein de publicité à la télévision se justifie donc plus aisément à la télévision américaine. Pour y remédier, NBCUniversal a décidé, en mars 2018, qu’il allait réduire de 20 % le temps de publicité en prime time et proposer des formats plus performants, notamment des prime pods, publicités d’une minute ou plus mettant mieux en avant la marque (en moyenne, un spot TV dure 20 secondes). La 21st Century Fox a de son côté annoncé souhaiter réduire de 40 % le temps de publicité le dimanche soir tout en testant également des formats longs pour les spots. Parallèlement, les formats très courts de spots TV, d’environ 6 secondes – durée inspirée des publicités vidéo sur YouTube –, sont également testés afin de limiter la durée des coupures publicitaires.
Sources :
- « Pub : les formats Web inspirent les chaînes TV », Alexandre Debouté, Caroline Sallé, Le Figaro, 29 mars 2018.
- « Annonceurs et agences média signent un New Deal », Véronique Richebois, Les Echos, 24 avril 2018.
- « Jean-Luc Chetrit (UDA) : « Il faut questionner la valeur et l’efficacité des plateformes », interview de Jean-Luc Chetrit, directeur général de l’UDA, Alexandre Debouté, Le Figaro, 7 mai 2018.
- « Les télévisions américaines veulent zapper les publicités », Marina Alcaraz, Les Echos, 15 mai 2018.
- « Google et Facebook écrasent le marché américain de la pub en ligne », Alexandre Debouté, Le Figaro, 15 mai 2018.
- « Pub en ligne : naissance de la place de marché MediaSquare », Alexandre Debouté, Le Figaro, 21 mai 2018.
- « Marc Pritchard : « Une grande partie de la publicité digitale est investie en pure perte », interview de Marc Pritchard, directeur marketing de P&G, Enguérand Renault, Ivan Letessier, Le Figaro, 29 mai 2018.
- « Le mobile, premier support de publicité digitale », Victoria Castro, Le Figaro, 13 juillet 2018.
- « Publicité digitale : l’irrésistible montée en puissance de la vidéo », Véronique Richebois, Les Echos, 13 juillet 2018.