Conseil d’État, 22 novembre 2019, n° 422790, Sté RT France.
La loi du 30 septembre 1986, portant statut de la communication audiovisuelle, soumet à autorisation l’exploitation, en France, d’entreprises privées de télévision, autorisation délivrée par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ou, à tout le moins, à la signature d’une convention passée entre l’autorité de régulation et la société de programme concernée. Dans le respect des principes énoncés par la loi, cette convention détermine les obligations spécifiques de l’exploitant. Il revient, par ailleurs, au CSA, dans l’exercice du pouvoir de sanction qui lui est également attribué, de veiller au respect, par l’exploitant, des obligations ainsi déterminées par convention et d’en sanctionner les violations. Dans le souci des garanties du droit, et notamment de la liberté de communication, les décisions ainsi prises sont susceptibles d’un recours devant le Conseil d’État.
L’arrêt du Conseil d’État du 22 novembre 2019, concernant la chaîne RT France, d’origine ou soumise à l’influence russe et à la conception ou pratique que l’on y a de « l’information », constitue une illustration de ce régime juridique complexe. Il convient d’évoquer, à cet égard, le contenu de la convention passée avec le CSA ; et le pouvoir de sanction, exercé par ce dernier, tel qu’il a été contesté devant la Haute Juridiction administrative, qui l’a cependant validé en l’espèce.
Contenu de la convention
Tenant compte des contraintes liées au caractère limité des fréquences hertziennes disponibles qui permettent la diffusion de programmes de radio et de télévision, la loi du 30 septembre 1986 soumet, en principe, l’exploitation d’entreprises privées de télévision à l’autorisation du CSA. L’octroi de cette autorisation donne lieu à la signature d’une convention entre son bénéficiaire et le CSA. Celle-ci fixe les obligations de l’exploitant. L’article 33-1 de la loi envisage le cas spécifique des services de télévision « diffusés par les réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel », mais dont l’exploitation est cependant subordonnée à la conclusion, avec le CSA, d’une convention qui en définit « les obligations particulières ». Tel est le cas de la chaîne RT France.
Dans son arrêt, le Conseil d’État se réfère à la convention conclue, le 2 septembre 2015, par ladite société et le CSA. Il en fait ressortir l’obligation, pour l’exploitant, d’« honnêteté » et de « rigueur dans la présentation et le traitement de l’information » ; de respect du sens « des images ou des propos ». Amené à déterminer ainsi les obligations particulières des exploitants privés de télévision, le CSA est, par la même loi de septembre 1986, investi du pouvoir d’en sanctionner les violations.
Pouvoir de sanction
Les articles 42-1 et suivants de la loi du 30 septembre 1986 investissent le CSA d’un pouvoir de sanction, à l’encontre des entreprises privées de télévision, en cas de non-respect de leurs obligations. L’article 42-8 évoque le « recours de pleine juridiction » que les personnes concernées peuvent former, « devant le Conseil d’État, contre les décisions du Conseil supérieur de l’audiovisuel prises » dans l’exercice de son pouvoir de sanction. Tel fut le cas en l’espèce.
L’article 42-1 détermine la diversité des sanctions que le CSA peut ainsi prononcer : « suspension de l’édition, de la diffusion ou de la distribution du ou des services, d’une catégorie de programme, d’une partie du programme ; réduction de la durée de l’autorisation ou de la convention dans la limite d’une année ; sanction pécuniaire ; retrait de l’autorisation ou résiliation unilatérale de la convention ». Ces mesures de sanction doivent, en principe, avoir été précédées d’une « mise en demeure » qui en constitue le préalable. Celle-ci peut déjà, en tant que telle, être contestée devant le Conseil d’État.
C’est pour « manquements aux exigences de rigueur […] d’honnêteté dans la présentation de l’information » et à l’obligation d’avoir à assurer « le pluralisme de l’expression des courants de pensée et d’opinion » et de veiller à la « distinction entre la présentation des faits et leur commentaire et à l’expression de points de vue différents », dans des reportages et dans la traduction d’entretiens, que le CSA a adressé, à la chaîne RT France, la « mise en demeure » de se conformer à ses engagements conventionnels et de ne pas réitérer ces faits de violation qui entraîneraient le prononcé d’une des sanctions prévues par la loi. Contestant avoir commis les manquements reprochés, la société RT France a sollicité du Conseil d’État l’annulation de la « mise en demeure » prononcée contre elle.
Considérant que les manquements étaient établis, le Conseil d’État estime que « la décision attaquée ne peut être regardée comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression protégée par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, du 26 août 1789, et par l’article 10, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».
En dépit des garanties offertes à la liberté d’expression, par la possibilité d’un recours devant le Conseil d’État, le développement des techniques de diffusion par voie hertzienne, la multiplication et la diversification des canaux disponibles, qui ne constituent plus un bien aussi rare qu’il l’a été dans le passé, justifient-ils encore le maintien d’un contrôle étroit des entreprises et des activités de télévision, par le Conseil supérieur de l’audiovisuel qui, d’une manière créant une forme de confusion des pouvoirs, en détermine, même si c’est par voie de convention avec l’exploitant concerné, les obligations particulières et en sanctionne les manquements ? Au nom de l’exigence fondamentale de liberté, ne suffirait-il pas désormais de soumettre les médias audiovisuels au droit commun des médias, tel que déterminé par la loi et dont les faits de violation ne devraient être sanctionnés que par le juge judiciaire ?