Un ordinateur pour tous en période de pandémie

La pandémie de Covid-19 a accentué la fracture numérique entre les détenteurs de matériel informatique, permettant de travailler à distance, et ceux qui en sont dépourvus. Des associations et des organisations issues de l’économie sociale et solidaire recyclent des ordinateurs afin de les proposer à moindre coût ou de les donner aux foyers démunis.

Ateliers sans frontières, situé à Bonneuil-sur-Marne, dans le Val-de-Marne, est un chantier d’insertion créé en 2003 qui accueille chaque année plus de cent vingt jeunes et adultes fragilisés, en leur permettant « une insertion par des activités solidaires à forte portée sociale ou environnementale (recyclage, économie circulaire, don de matériel revalorisé) ». Ce ne sont pas moins de 5 000 tonnes de matériel informatique qui sont recyclées chaque année, récupérées principalement auprès de grandes entreprises et administrations françaises. « Nos salariés effectuent un premier tri pour distinguer le matériel obsolète et les ordinateurs réutilisables après reconditionnement », explique Thomas Wacogne, ancien directeur d’Ateliers sans frontières. Alors que les déchets électroniques à recycler sont confiés à des entreprises comme Veolia, les 40 % de matériels conservés sont reconditionnés. « Il y a plusieurs étapes pour réhabiliter un ordinateur : l’effacement des données, l’installation de nouveaux logiciels et le test de qualité avant la mise en emballage. Notre taux de retour n’est que de 4 % », poursuit Thomas Wacogne. Environ 6 000 ordinateurs sont ainsi revalorisés chaque année et revendus ensuite à des hôpitaux, des écoles, des ONG ou encore distribués gratuitement à d’autres associations.

En mars 2020, lors du premier confinement dû à la pandémie de Covid-19, « nous avions d’abord fermé l’atelier en raison des mesures sanitaires, mais nous avons dû le rouvrir presque aussitôt pour répondre à l’afflux de demandes » explique Brigitte Chanut, la directrice actuelle d’Ateliers sans frontières. En effet, ce confi­nement poussait les structures associatives à recher­cher encore davantage d’ordinateurs reconditionnés afin d’en équiper les familles isolées. Dans la plupart des foyers, l’école a pu se poursuivre à la maison, mais les plus démunis ont de facto été laissés de côté. D’autant qu’un ordinateur est désormais l’équipement requis pour faire toutes démarches administratives, faire ses courses en ligne, s’informer et rester en contact avec des proches. Ateliers sans frontières a fourni plusieurs centaines d’ordi­nateurs à des structures associatives, dont les foyers d’aide sociale à l’enfance de la Ville de Paris, la fondation Break Poverty ou encore Emmaüs Connect, association consacrée à l’inclusion numérique des personnes fragilisées, qui a soutenu près de 40 000 personnes en un an.

Un tissu important de petites structures de l’économie sociale et solidaire recycle des ordinateurs et des smartphones afin de leur donner une seconde vie. C’est nota­mment le cas de Recyclea ou Ecodair. Recyclea, « entreprise adaptée » localisée à Domérat dans le département de l’Allier, recycle chaque année 300 000 machines, tout en développant l’inclusion des personnes en situation de handicap. Établissement et Service d’aide par le travail (ESAT), Ecodair dispose de quatre structures d’accueil, ainsi que de trois sites de production à Paris, à Paris-Saclay et à Marseille, destinés aux personnes en situation de handicap psychi­que et éloignées de l’emploi. Le travail de celles-ci consistera à recycler du matériel informatique. Selon Ecodair, « chaque année, sur les 2,5 millions d’ordinateurs remplacés dans les entreprises, on estime à 50 % le nombre de PC encore fonctionnels. La remise à neuf de ces parcs professionnels est un acte écologique important puisqu’elle permet, entre autres, d’économiser les ressources nécessaires pour la fabrication d’un nouvel ordinateur dont la fabrication nécessite 1,8 tonne de ressources, 240 kg d’énergies fossiles, 22 kg de produits chimiques et 1 500 litres d’eau ».

Ces structures de l’économie sociale et solidaire sont confrontées à deux défis : le premier est de récupérer le matériel informatique et le second d’être en mesure de le réparer. De l’aveu de Brigitte Chanut, également directrice de ARES IT Services, entreprise de conseil en informatique fortement implantée dans les secteurs publics, parapublic et dans les domaines de la santé et du social, « trop de grands groupes et PME laissent dormir leur stock de vieux PC, au risque qu’ils deviennent obsolètes ». Une étude de BNP Paribas 3 Step IT estime que 39 % des entreprises françaises conservent un matériel informatique mis au rebut qui pourrait avoir une seconde vie ; que 1 million d’ordinateurs sont jetés chaque année par les entreprises françaises et que, sur plus de 50 millions de tonnes d’appareils électroniques remplacés chaque année dans le monde, seulement 20 % sont collectés pour être recyclés. Face à ce constat, Emmaüs Connect a lancé en novembre 2020 un appel aux dons – #StopAuGâchisNumérique – avec l’objectif d’inciter les entreprises à identifier les équipements inutilisés qui peuvent être donnés via LaCollecte.tech. Cinq mois après le lancement de cette campagne, 11 500 équipements informatiques ont déjà été récupérés.

Concernant le second défi tenant à la possibilité de réparer des équipements anciens, un indice de réparabilité a été introduit par une loi de février 2020, entrée en vigueur le 1er janvier 2021, portant sur « la lutte contre le gaspillage et pour l’économie circulaire ». La loi ne concerne que cinq produits électroniques, dont les smartphones et les ordinateurs portables, et visent à réparer 60 % des produits qui tombent en panne avant cinq ans, contre 40 % aujourd’hui. Laëtitia Vasseur, directrice générale de Halte à l’obsolescence programmée (HOP), estime que cet indice « a permis une réflexion de fond sur le sujet et d’entraîner l’ensemble des fabricants », même s’il reste encore des points à améliorer. Malgré la fin des confinements, la demande de matériels informatiques reconditionnés ne faiblit pas, notamment de la part des particuliers qui voient l’opportunité de s’équiper à moindre coût tout en réduisant leur impact environnemental.

Sources :

  • « 8 mois après, bilan mitigé pour l’indice de réparabilité », Raphaël Balenieri, Florian Dèbes, lesechos.fr, 4 août 2021.
  • « La pandémie de Covid-19 a dopé la demande d’ordinateurs reconditionnés », Marie Charrel, Le Monde, 8 septembre 2021.
Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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