Pour être indépendant, un média doit être rentable
En tant « qu’organisation représentative majoritaire de la branche », l’Alliance de la presse d’information générale (APIG) créée en 2018, qui rassemble 285 titres de presse d’information politique et générale et qui emploie près de la moitié des journalistes en France, a présenté ce livre blanc en mars 2024 afin de contribuer aux États généraux de l’information. Cette contribution compte trente et une propositions autour de six axes stratégiques « pour soutenir la production d’une information professionnelle, indépendante et pluraliste ».
Publié initialement en janvier 2023 par KPMG, et mis à jour en fin d’année, le livre blanc publié par le cabinet de conseil est un « dossier de benchmarking sur la liberté, l’indépendance journalistique et le pluralisme en Europe ». À partir des critères de liberté, d’indépendance et de pluralisme de la presse, il compare sept pays sélectionnés sur 180 figurant au classement mondial de Reporters sans frontières : la Suède (4e), la Suisse (12e), l’Allemagne (21e), la France (24e), l’Espagne (36e), l’Italie (41e) et la Hongrie (72e). L’étude, particulièrement fouillée, identifie, pour chacun de ces pays, les bonnes pratiques et les axes d’amélioration, en se basant sur une série d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs, tels que le cadre légal et réglementaire, la propriété et le financement des médias, l’accès à l’information et l’autorégulation.
Le livre blanc rédigé par KPMG présente la France comme « un bon élève », que ce soit en termes de pluralisme et d’indépendance des médias, comme en termes d’indépendance, de déontologie et de protection économique des journalistes.
Le livre blanc montre à quel point un objectif commun, « la liberté et l’indépendance de la presse », fait l’objet d’un traitement culturel et économique très différent selon les pays. En Allemagne, le plus grand marché de la presse écrite en Europe et le cinquième au monde, la presse ne bénéficie pas d’aide directe au financement, mais uniquement d’aides indirectes, comme un taux de TVA réduit, ainsi que des aides spécifiques, propres à chaque Länder. En 2020, sur fond de crise sanitaire mondiale, le gouvernement de la chancelière Angela Merkel avait souhaité, pour la première fois en Allemagne, accorder une aide de 220 millions aux médias allemands pour les accompagner dans leur transition numérique.
Le journal de gauche alternatif Taz, « qui a passé la majeure partie de ses 42 ans d’existence au bord de la faillite financière », rapporte Derek Scally, correspondant irlandais à Berlin pour le média Irish Times, « a dénoncé le financement comme étant « de l’argent sale de l’État » ». Professeur, spécialiste des médias, à l’université de Weimar, Christopher Buschow estime, quant à lui, que de telles subventions « mettent les maisons d’édition sous perfusion et ne créent aucune incitation pour elles à changer ». Le dispositif n’aura finalement pas abouti. Si, pour les uns, un système de soutien économique au secteur de la presse participe à l’indépendance des médias, leur permettant de mieux résister aux pressions commerciales, il sera vu par d’autres comme une dépendance aux pouvoirs poli- tiques et perçu comme une entrave à la liberté de la presse. La question à poser serait de savoir si les aides directes à la presse influent sur leur indépendance. En effet, la presse suédoise reçoit des subventions publiques depuis 1969, tout comme en Autriche ou en France, les aides directes pour cette dernière s’élevant à 110,5 millions d’euros en 2022.
Toujours est-il que, selon l’APIG, « le cadre juridique français est solide, éprouvé et l’un des plus protecteurs d’Europe, et la première menace au pluralisme et à l’indépendance de l’information est avant tout économique ». Selon le livre blanc, les journalistes français jouissent, en outre, d’une protection juridique et économique nettement supérieure à celle de certains de leurs confrères européens. Cette protection comprend notamment la protection des sources, des clauses de conscience et de cession, un régime social spécifique à la profession, ainsi que des garanties pénales adaptées, en particulier la responsabilité en cascade prévue par la loi de 1881, entre le journaliste, le directeur de la publication, l’imprimeur et enfin le distributeur.
La liberté et l’indépendance de la presse en Europe, livre blanc, Alliance de la presse d’information générale (APIG), KPMG, janvier 2023, publié en mars 2024.