Stimuler la créativité, gagner en efficacité, ouvrir de nouvelles possibilités
Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) a lancé un observatoire de l’intelligence artificielle (IA) pour en suivre les usages et les répercussions sur la filière de l’image. Afin d’apporter des éléments de contexte à cet observatoire, le CNC a missionné le cabinet de conseil BearingPoint pour dresser une cartographie des cas d’usage de l’IA, actuels ou potentiels, dans les métiers du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo, et d’analyser les conséquences de l’IA sur les métiers et l’emploi ainsi que sur les dynamiques de la filière. Si cette technologie est utilisée depuis longtemps dans ces industries, les nouvelles applications de l’IA générative, inaugurées avec le lancement en janvier 2021 du modèle de génération d’image DALL-E par OpenAI, puis de ChatGPT en novembre 2022, bousculent en profondeur les manières dont seront produites ces œuvres culturelles.
L’étude prospective s’intéresse tout particulièrement aux nouveaux usages de l’IA, à travers une soixantaine de cas détaillés, permettant de « stimuler la créativité, gagner en efficacité, ouvrir de nouvelles possibilités », en passant au crible les sept grandes étapes de la création et de l’exploitation d’une œuvre vidéographique. À chaque grande étape « développement, postproduction, effets visuels et animation, préparation de la sortie (distribution), diffusions linéaires & non-linéaires, gestion catalogue » sont listées entre trois et cinq « potentielles applications de l’IA », excepté pour l’étape « exploitation – salles », à propos de laquelle aucune offre ou idée n’a encore émergé. Les potentielles applications de l’IA sont partout ailleurs, y compris dès la phase de création d’une œuvre de l’esprit. Des outils fournissent une aide à la rédaction et à l’écriture de scénario pour « lutter contre la page blanche, susciter des idées, stimuler la créativité via des propositions d’idées, de variantes, d’illustrations… ».
Les IA génératives de textes ou d’images sont également utiles au scénariste pour « trouver l’inspiration dans le processus de création d’intrigues et de personnages d’un scénario ». Toujours à l’étape de création, l’IA peut offrir une « analyse sémantique de scénario, de script » mais aussi « l’assistance à la budgétisation ou à la réalisation de moodboard du projet », le moodboard étant une collection visuelle d’images et de textes qui représente le style, le ton et l’ambiance d’un projet cinématographique. Comme dans beaucoup d’autres domaines où elle est utilisée, l’IA vise à gagner en efficacité, c’est-à-dire à gagner du temps et à réduire les coûts. Par ailleurs, dans la phase de préproduction d’une œuvre vidéographique, la tenue d’un planning détaillé du tournage, qui implique à la fois les assistants réalisateurs, les producteurs, les assistants de production et les chefs décora- teurs, est une tâche particulièrement chronophage puisque ce planning doit être réadapté à chaque imprévu, ce qui arrive très souvent pendant un tournage. L’utilisation d’une IA automatiserait la tenue dynamique de ces plannings en informant chaque partie prenante au fur et à mesure de son évolution. Même si aucune offre n’existe encore sur le marché spécifique du cinéma et de l’audiovisuel, expliquent les auteurs, « de tels outils ont toutefois déjà été développés en interne par certains acteurs de la production ». Des outils d’IA peuvent également inaugurer de « nouvelles opportunités pour la filière », notamment dans le domaine de la restauration de films ou d’images, ou pour « faire rejouer des acteurs décédés dans de nouveaux films ou émissions », en s’appuyant sur des technologies de deepfake.
Certains logiciels comportant de l’IA, tout en posant la question du respect de l’œuvre originale, permettent d’ores et déjà de restaurer l’image de films anciens, tels les logiciels Deep Restore de Diamant, DeOldify ou PFClean, alors que d’autres serviront à réparer les pistes audios, comme Respeecher. Ces outils peuvent respectivement générer des pixels ou recolorier beaucoup plus rapidement qu’un opérateur manuel, ou encore supprimer le bruit indésirable et améliorer la clarté d’une parole étouffée ou déformée, ce qui, une fois de plus, réduit le coût des restaurations patrimoniales. D’autres logiciels comme Face Engine, développé par le studio d’effets visuels français Mac Guff, qui a d’ailleurs remporté le César de la meilleure innovation techno- logique en 2021, peuvent aller beaucoup plus loin. L’émission française de télévision « Hôtel du Temps », diffusée en 2022 et présentée par l’animateur Thierry Ardisson, a « ressuscité » la chanteuse Dalida le temps d’une interview, ce qui a suscité des réactions mitigées : autant certains téléspectateurs ont pu être fascinés par la technologie, autant d’autres ont trouvé cela troublant et même irrespectueux envers la mémoire de la chanteuse décédée ou ses proches.
Si l’étude dresse le portrait le plus exhaustif possible des potentielles applications de l’IA, le cabinet de conseil ne fait pas l’économie d’en dresser aussi les innombrables limites. Son adoption par le secteur dépendra de « la capacité à lever certains freins et réticences actuels, et à répondre aux risques identifiés par la filière ».
Quel impact de l’IA sur les filières du cinéma, de l’audiovisuel et du jeu vidéo ? Étude prospective, Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), BearingPoint, avril 2024.