En votant pour la neutralité d’Internet, les Pays-Bas font figure d’exception

Les députés néerlandais ont consacré la garantie de la neutralité et la liberté d’Internet en juin 2011. Les Pays-Bas deviennent ainsi le premier pays d’Europe et le deuxième pays au monde, après le Chili en juillet 2010, à réglementer ce principe. Les opérateurs de télécommunications européens, quant à eux, militent auprès de la Commission européenne pour pouvoir maîtriser la gestion du trafic.

Selon le principe de la neutralité d’Internet, les données circulent librement sur le réseau, sans discrimination de nature, ni d’origine ou de destination. En annonçant leur intention de hiérarchiser la transmission des contenus sur l’Internet mobile afin de rationaliser le trafic, notamment en bloquant ou en faisant payer l’usage de la téléphonie sur Internet (VoIP), les opérateurs de télécoms KPN, leader du marché, et Vodafone, ont obtenu l’inverse de ce qu’ils souhaitaient. La forte opposition des organisations de défense des droits sur Internet et d’une majorité de parlementaires, déclenchée par cette déclaration d’intention, aura finalement eu pour première conséquence de rendre la neutralité d’Internet obligatoire en l’inscrivant dans la loi sur les télécommunications (DTA), transposition du « paquet télécom » en droit néerlandais. « Tout le monde doit pouvoir accéder à toutes les informations sur Internet » a déclaré le ministre néerlandais des Affaires économiques, Maxime Verhagen, considérant en outre que « le blocage de services ou l’imposition d’une taxe est un frein à l’innovation ».

Selon le texte de loi adopté le 22 juin 2011 à une large majorité au Parlement, les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) ne peuvent ni bloquer ni retarder les applications ou services internet, « à moins qu’il ne soit nécessaire de bloquer ou retarder ces services :

– pour limiter les effets de congestion, un trafic similaire étant traité de la même façon ;

– pour l’intégrité et la sécurité du réseau et du service du fournisseur ;

– pour limiter le transfert de communications indésirables à l’utilisateur (par exemple, les spams), à condition que l’utilisateur ait accordé sa permission, ou

– pour donner suite à une exigence légale ou à l’ordonnance d’un tribunal… » (in IRIS 2011-7)

Cette nouvelle réglementation n’interdit pas aux opérateurs de facturer la quantité et la rapidité du transfert des données mais ne permet plus désormais d’appliquer des tarifs spéciaux réservés à l’usage de services internet gratuits. L’autorité de régulation des télécommunications, OPTA, pourrait infliger aux contrevenants des amendes équivalant à 10 % de leur chiffre d’affaires. Selon l’opérateur de télécommunications Vodafone, le principe de neutralité se traduira par l’impossibilité de proposer désormais des réductions de tarif aux consommateurs pour des offres d’accès limité. Cette mesure aura pour effet d’augmenter le prix des forfaits internet, confirme l’opérateur KPN, dont les revenus en provenance des SMS ont chuté de 13 % au premier semestre 2011, avec 85 % de ses clients équipés d’un téléphone sous Android ayant téléchargé l’application de VoIP WhatsApp entre août 2010 et avril 2011. Pour le député Bruno Braakhuis, membre du parti GreenLeft, qui est à l’origine du texte de loi, il s’agit au contraire d’une victoire pour les consommateurs néerlandais : « Pour nous, il s’agit réellement d’un droit fondamental. Nous considérons que la neutralité d’Internet est aussi importante que la liberté de la presse ou la liberté d’expression ». La modification de la loi néerlandaise sur les télécommunications prévoit également l’autorisation nécessaire des internautes avant de pouvoir placer des cookies (fichiers espions utilisés pour la publicité sur Internet) sur leur ordinateur.

Dans de nombreux pays européens, dont la France, les opérateurs de téléphonie mobile entravent l’accès à la VoIP (sauf option ou forfait spécifique). La Commission européenne menace régulièrement les opérateurs d’interdire cette pratique, mais elle ne leur impose, pour l’heure, que d’informer précisément leurs futurs clients sur les restrictions de services incluses dans les offres commerciales.

Dans un article intitulé « La neutralité du net a du plomb dans l’aile en France », publié en juin 2011 sur le blog Meta-Media, Eric Scherer, directeur de la prospective, de la stratégie numérique et des relations internationales liées aux nouveaux médias à France Télévisions, rapporte qu’Orange et SFR négocieraient actuellement avec Google et d’autres gros utilisateurs de bande passante des droits de passage sur leurs réseaux.

En juillet 2011, l’équipementier Alcatel-Lucent et les opérateurs de télécommunications Vivendi et Deutsche Telekom ont remis leurs propositions à la demande de la commissaire européenne à la stratégie numérique, Neelie Kroes, pour atteindre l’objectif à horizon 2020 de connecter la moitié des foyers européens à l’Internet très haut débit, soit 100 mégabits par seconde. Le montant de l’investissement requis pour la construction des réseaux en fibre optique est évalué entre 200 et 300 milliards d’euros. Parmi les onze mesures préconisées par les patrons européens des télécoms, qui ont recueilli les avis d’une quarantaine de chefs d’entreprise du secteur, figure la remise en cause du principe de la neutralité d’Internet rédigée en ces termes : « L’Europe doit encourager la différenciation en matière de gestion du trafic pour promouvoir l’innovation et les nouveaux services et répondre à la demande de niveaux de qualité différents ». Si la Commission européenne s’appuie sur ce rapport pour établir les conditions de la généralisation du très haut débit en Europe, les fournisseurs de contenus devront à l’avenir négocier les conditions d’acheminement de leurs services avec les opérateurs télécoms qui ne veulent pas être les seuls à financer les nouvelles infrastructures. Mais les géants de l’Internet Google et Facebook sont-ils peut-être déjà prêts à payer pour bénéficier d’un régime de faveur ? Paradoxalement, l’arrivée programmée du très haut débit en Europe risque de se faire au détriment des consommateurs européens qui ne bénéficieront pas d’une égalité d’accès aux services internet. Le comité des ministres du Conseil de l’Europe a adressé le 21 septembre 2011 une recommandation aux Etats membres sur la protection et la promotion de l’universalité, de l’intégrité et l’ouverture de l’Internet « comme moyen de garantir la liberté d’expression et l’accès à l’information ».

Sources :

  • « La neutralité du Net a du plomb dans l’aile », Eric Scherer, meta-media.fr, 16 juin 2011.
  • « Les députés néerlandais adoptent un texte sur la neutralité d’Internet », AFP, tv5.org, 22 juin 2011.
  • « Dutch lawmakers adopt Net neutrality law », Kevin J. O’Brien, The New York Times, nytimes.com, June 22, 2011.
  • « Les Pays-Bas prennent la pole position en matière de réglementation de la neutralité du réseau », Kevin van’t Klooster, IRIS, Observations juridiques de l’Observatoire européen de l’audiovisuel, merlin.obs.coe.int, juillet 2011.
  • « Les Pays-Bas inscrivent dans la loi le principe de la neutralité du Net », Erwan Le Gal, inaglobal.fr, 1er juillet 2011.
  • « Onze propositions pour l’Internet du futur en Europe », Marc Cherki, Le Figaro, 15 juillet 2011.
  • « Opérateurs et équipementiers remettent en question la neutralité du Net en Europe », R.G., Les Echos, 15-16 juillet 2011.
  • « Recommandation CM/Rec (2011) 8 du Comité des ministres aux Etats membres sur la protection et la promotion de l’universalité, de l’intégrité et de l’ouverture de l’Internet », Comité des ministres, Conseil de l’Europe, wcd.coe.int, 21 septembre 2011.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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