Un accord-cadre pour l’édition numérique

Depuis 2009, les relations entre les éditeurs et les auteurs étaient pour le moins tendues. L’avènement du livre numérique a fortement contribué à entamer la confiance que les seconds accordent aux premiers, comme l’indique l’édition 2012 du baromètre annuel des relations auteurs-éditeurs publié par la SCAM. A l’heure d’Internet, le contrat d’édition devait être révisé puisque ses règles, inscrites dans le code de la propriété intellectuelle, datent de 1957.

Après l’échec en mai 2012 des négociations établies entre le Syndicat national du livre (SNE), d’un côté, qui regroupe 650 éditeurs et, de l’autre, le Conseil permanent des écrivains (CPE) qui compte 17 associations d’auteurs comme la Société des gens de lettres (SGDL) ou la Société civile des auteurs multimédias (SCAM), les professionnels du secteur de l’édition sont parvenus à s’entendre, et grâce à la mission de médiation conduite par Pierre Sirinelli, professeur de droit mandaté par le ministère de la culture et de la communication, ils ont signé, en mars 2013, un accord-cadre relatif au « contrat d’édition à l’ère du numérique ».

Les désaccords entre les éditeurs et leurs auteurs portaient sur au moins deux points importants, la réversibilité des droits et la reddition des comptes. Sur le premier point, les auteurs réclamaient la possibilité de récupérer, en même temps que les droits papier de leurs ouvrages, les droits numériques non exploités par leur éditeur. Ils n’ont pas obtenu gain de cause. Nombre d’éditeurs se sont lancés, à la faveur de partenariats, notamment avec Google, dans la numérisation et la commercialisation en ligne de leur catalogue (voir REM n°20, p.4). En revanche, concernant la reddition des comptes, les auteurs ont désormais la garantie que les éditeurs leur communiqueront, au moins une fois par an, les chiffres de vente de leurs livres, ayant la possibilité, le cas échéant, de récupérer l’ensemble de leurs droits auprès d’éditeurs malveillants. Si la durée de cession des droits reste calquée sur la temporalité de la propriété intellectuelle, avec toutefois une clause de réexamen prévue pour les droits d’exploitation numérique, un auteur peut dorénavant rompre unilatéralement le contrat qui le lie à son éditeur, en l’absence de recettes d’exploitation générées par son livre imprimé ou numérique. Ainsi ont été précisés les critères qui permettent de mesurer le respect de l’obligation d’exploitation permanente et suivie de l’œuvre imprimée à laquelle l’éditeur est tenu.

Le nouveau contrat d’édition unique comportant une partie réservée à l’exploitation numérique d’une œuvre – les auteurs militaient en faveur d’un contrat séparé pour les droits numériques, assorti d’une durée limitée – élargit l’assiette de rémunération des auteurs afin de tenir compte des nouveaux modes d’exploitation numérique ; il définit les conditions de signature par l’auteur d’un BADN (bon à diffuser numérique) à l’instar du BAT (bon à tirer) pour l’édition imprimée ; il instaure enfin un délai de publication numérique allant de pair avec une obligation d’exploitation permanente et suivie, dont le non-respect par l’éditeur aura pour conséquence la restitution des droits numériques à l’auteur.

L’accord de mars 2013 sera suivi d’un projet de loi modifiant le code de la propriété intellectuelle, ainsi que de la rédaction d’un « code des usages », sous l’égide du ministère de la culture, qui s’appliquera à l’ensemble des auteurs et des éditeurs.

Si certains se réjouissent de la conclusion de cet accord marquant la fin de quatre années de discussions, d’autres y voient une solution a minima pour les auteurs, alors que de jeunes maisons d’édition pure players (Versilio, Kero…) proposent de nouveaux modèles éditoriaux, avec des pratiques contractuelles plus favorables aux auteurs, sur le plan de la rémunération et sur celui de la durée limitée des contrats.

Le 21 mars 2013, une première liste a été rendue publique sur le site de la BNF, comprenant quelque 60 000 œuvres indisponibles encore sous droits d’auteur et publiées en France avant le 1er janvier 2001 – liste inscrite au Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE) et établie par un comité paritaire (éditeurs, auteurs) –, afin que leurs ayants droit puissent, le cas échéant, s’opposer à leur exploitation numérique, selon un mode de gestion collective, qui sera effectif à compter de septembre 2013, conformément à la loi promulguée le 1er mars 2012 (voir REM n°22-23, p.4). En l’absence de refus déclaré des auteurs, ces livres seront commercialisés sous forme numérique à partir de 2014.

En France, les livres numériques qui ne pèsent encore que 2 % sur le marché de l’édition en 2013, bénéficient d’une TVA réduite à 7 %, ce qui vaut à la France d’être prochainement traduite devant la Cour de justice européenne pour distorsion de concurrence, à l’initiative de la Commission européenne qui souhaite voir appliquer partout en Europe le taux normal de TVA (19,6 % en France) aux services en ligne, auxquels elle assimile les livres numériques.

Sources :

  • Registre des livres indisponibles en réédition électronique (ReLIRE), relire.bnf.fr
  • « Le numérique impose de nouvelles relations auteurs-éditeurs », Alain Beuve-Méry, Le Monde, 11 octobre 2012.
  • « Auteurs et éditeurs – un accord important et prometteur », communiqué de presse, CPE et SNE, sne.fr, 8 mars 2013.
  • « Accord signé sur le contrat d’édition numérique dans le livre », Alain Beuve-Méry, Le Monde, 10-11 mars 2013.
  • « Le contrat d’édition du XXIe siècle voit le jour », G.P., Les Echos, 22-23 mars 2013.

 

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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