Les géants américains viennent chercher la croissance en Europe

Aux Etats-Unis, les chaînes payantes perdent progressivement le monopole des offres élargies avec l’arrivée des Netflix et autres Amazon, ce qui conduit les acteurs historiques du marché américain à aller chercher la croissance hors de leurs frontières. A chaque fois, l’implantation locale est visée, pour intégrer ensuite les entreprises rachetées dans un réseau international de distribution. C’est la stratégiemenée par Discovery qui vient de prendre le contrôle d’Eurosport, ou encore de Warner Bros. qui s’impose progressivement dans la production audiovisuelle européenne.

Après s’être mis d’accord avec TF1 en décembre 2012 pour acquérir 20 % du capital du groupe Eurosport, l’américain Discovery a accéléré sa prise de contrôle du réseau international de chaînes sportives. En effet, l’accord prévoyait la possibilité pour Discovery d’augmenter sa participation dans Eurosport à 51 % au bout de deux ans (voir REM n°25, p.32). Finalement, dès janvier 2014, TF1 a cédé la majorité d’Eurosport à Discovery, c’est-à-dire avec un an d’avance sur le calendrier initialement prévu. Dans cette opération, la valeur d’Eurosport augmente encore. En ayant versé 170 millions d’euros pour 20 % du capital, Discovery avait valorisé Eurosport quelque 850 millions d’euros, soit près de 30 % de plus que les estimations des analystes. En ajoutant cette fois-ci une prime de contrôle, l’investissement de Discovery valorise désormais le groupe Eurosport à 902 millions d’euros, une valorisation qui pourra augmenter si Discovery s’empare des 49 % de capital qu’il ne détient pas encore, TF1 disposant d’une option pour vendre sa participation dès 2015. En effet, le capital détenu par TF1 pourrait gagner en valeur si les chaînes d’Eurosport voient leur croissance s’envoler grâce à leur inclusion dans le réseau international de Discovery, car tel est bien l’enjeu pour le groupe américain.

Né aux Etats-Unis, positionné sur les chaînes payantes, Discovery doit aujourd’hui aller chercher la croissance à l’échelle internationale, le marché étant saturé outre-Atlantique et même fragilisé par le succès des acteurs over the top comme Netflix.

L’Europe, avec son marché audiovisuel fragmenté, ses populations à fort pouvoir d’achat, est donc le lieu idéal pour le déploiement des géants américains, maîtrisant mieux que quiconque la production et la distribution de contenus destinés à des réseaux de chaînes payantes, modèle qui est le cœur du paysage audiovisuel américain. Ainsi, Discovery, qui s’était également emparé en décembre 2012 des chaînes de ProSiebenSat.1 en Europe du Nord (SBS Nordic) et de plusieurs chaînes en Italie, voit désormais sa couverture internationale s’étendre à 133 millions de foyers supplémentaires avec Eurosport, l’audience cumulée des chaînes de Discovery représentant 2,7 milliards d’abonnés à 200 chaînes, répartis dans 220 pays.

En intégrant Eurosport, Discovery, qui réalise déjà presque la moitié de son chiffre d’affaires en dehors des Etats-Unis, devrait franchir la barre des 50 % d’activité à l’échelle internationale. Pour Eurosport, chaîne diffusée aujourd’hui dans 54 pays, l’intégration dans Discovery lui donne accès aux distributeurs avec qui le groupe américain travaille sur la quasi-totalité de la planète, une garantie pour Eurosport d’être mieux mise en valeur dans les bouquets des pays où elle est déjà présente, mais aussi d’être distribuée rapidement dans de nouveaux territoires.

Pour TF1, la cession accélérée du contrôle d’Eurosport, doublée de la demande du passage en gratuit de LCI, traduit le désengagement du groupe du marché de la télévision payante. En effet, faute de bénéficier d’un effet de taille, les activités de télévision payante risquent d’être de plus en plus fragilisées par les concurrences nouvelles des acteurs OTT, mais surtout par l’explosion de l’offre gratuite, le succès de la TNT en clair ayant par exemple déjà condamné l’offre de TNT payante. D’ailleurs, si TF1 a conservé 80 % d’Eurosport France jusqu’à fin 2014, c’est très probablement pour préparer la disparition de la chaîne de la TNT payante, Discovery ne pouvant de toute façon pas, en vertu de la législation, prendre plus de 20 % du capital d’une chaîne disposant en France d’une fréquence. Autant dire que si TF1 se sépare de la pépite Eurosport, son activité la plus rentable, c’est d’abord pour consolider son activité dans la télévision en clair, les sommes récupérées risquant certes de donner lieu à un versement de dividende, mais également à des investissements. Dès lors, les chaînes payantes que TF1 détient encore (TVBreizh, Histoire, Ushuaï TV et Stylia, dont Discovery avait accepté de prendre 20 % du capital en 2012) risquent de ne plus avoir de véritable avenir au sein du groupe.

A la stratégie du développement en Europe de Discovery répond celle menée par un autre géant américain des médias, le groupe Time Warner.

Celui-ci, depuis qu’il s’est débarrassé d’AOL (voir REM n°12, p.35), se recentre sur ses activités les plus rentables, la production cinématographique et audiovisuelle, ainsi que l’édition de chaînes. Comme Discovery, il est obligé désormais d’aller chercher la croissance en dehors du territoire américain et l’Europe fait encore figure d’eldorado. A la différence de Discovery, Time Warner privilégie pourtant les activités de production audiovisuelle en Europe. Le contrôle d’un réseau internationalisé d’acteurs locaux est en effet nécessaire pour décliner le même concept localement, notamment pour les émissions de flux. Ainsi le groupe a fondé en 2009 Warner Bros. International Television Production (WBITVP), une filiale dédiée à l’achat de producteurs locaux afin de gérer son internationalisation. Après avoir racheté en 2010 le producteur britannique Shed Media Group, puis le producteur belgo- néerlandais BlazHoffski en 2011, la filiale de Warner Bros s’est emparée en février 2014 du groupe de production néerlandais Eyeworks, l’un des producteurs européens d’émissions de téléréalité (Le Grand Plongeon par exemple). Cette acquisition permet au groupe américain de s’implanter dans quinze pays, principalement en Europe, mais aussi en Amérique du Sud, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Enfin, le géant américain de la télévision, Viacom, a annoncé le 1er mai 2014 le rachat de la chaîne britannique Channel 5 pour 450 millions de livres. Avec ce rachat, Viacom entre de plain-pied dans la télévision en clair au Royaume-Uni, alors qu’il y était déjà présent avec ses chaînes payantes. Pour Channel 5, que ses dirigeants espéraient vendre jusqu’à 700 millions de livres, l’intégration dans un groupe géant de médias devrait lui permettre de résister à la concurrence sur le marché des programmes, féroce au Royaume-Uni, où s’affrontent désormais deux autres géants américains sur le marché de la télévision payante, 21st Century Fox avec le réseau BSkyB, et Liberty Global avec Virgin Media (voir REM n°26-27, p.27).

Sources :

  • « Discovery prend le contrôle d’Eurosport International », Grégoire Poussielgue, Le Figaro, 22 janvier 2014.
  • « TF1 cède à Discovery la majorité du capital de sa pépite Eurosport », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 22 janvier 2014.
  • « Warner Bros. Sets $273 Mil Deal To Buy Eyeworks’ International TV Operations », Cynthia Littleton, variety.com, 11 février 2014.
  • « Warner Bros pousse ses pions dans la téléréalité », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 12 février 2014.
  • « Viacom to buy Channel 5 for $450 m », www.bbc.com/news, 1er mai 2014.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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