Programmatique

Employé comme substantif (le programmatique) et comme adjectif (la publicité programmatique ou l’achat programmatique), ce terme désigne l’automatisation de la commercialisation des espaces publicitaires sur le web.

Le programmatique est né du développement des outils informatiques permettant l’automatisation de la commercialisation des espaces publicitaires sur l’internet. A l’instar du secteur de la finance avec ses places boursières, le négoce des espaces publicitaires en ligne s’est dématérialisé. Acheteurs et vendeurs opèrent désormais par l’intermédiaire de plates-formes automatisées, inventées aux Etats-Unis et baptisées ad exchanges. Sur ces places de marché électroniques, un mode d’achat d’espaces dit programmatique, entièrement automatisé, permet d’atteindre en temps réel une audience précise grâce aux algorithmes brassant toutes sortes de données sociodémographiques, comportementales et géographiques. Encore marginal au début de la décennie 2010, le recours à cette technologie s’étend aux autres écrans (téléphone portable et tablette) et dépasse peu à peu son objectif premier, qui est d’améliorer la performance des bannières et des publicités vidéo (display) sur les sites web, pour s’intéresser à des formes de communication publicitaire qualitatives (campagne d’image) comme le native advertising (déclinaison numérique du publireportage). Le programmatique réinvente par conséquent les pratiques commerciales entre annonceurs et médias, en conviant ingénieurs, développeurs en informatique et spécialistes de l’exploitation des données (data scientist, chief data officer) au négoce des espaces publicitaires.

Sur les bourses d’échange, ad exchanges, dont l’activité tend à se généraliser depuis 2010, médias numériques et agences médias mandatées par les annonceurs concrétisent la vente et l’achat « d’inventaires » – espaces publicitaires disponibles – à un moment donné et pour une période déterminée, à prix fixe (CPM – coût pour mille) ou aux enchères (RTB – Real Time Bidding). Enchérir sur les offres publicitaires est une pratique popularisée par le moteur de recherche Google pour l’achat de mots-clés en fonction de requêtes déterminées. Le RTB est une des formes de l’automatisation des transactions que permet le programmatique.

Face aux premières plates-formes lancées par les géants américains de l’internet, DoubleClick Ad Ex-change de Google, Microsoft Advertising Exchange, Yahoo Ad Exchange, puis celles des acteurs français comme Orange AdMarket et Adexchange.com du groupe HiMedia, les médias traditionnels se sont alliés en créant leurs propres structures : La Place Média (les groupes Amaury, Lagardère, TF1, Le Figaro, France Télévisions, Sud-Ouest, Mondadori…) et Audience Square (les groupes M6, Prisma Media, Nouvel Observateur, Le Monde, Les Echos, Express Roularta, Libération, NextRadioTV …). Start-up française lancée en 2005, devenue un spécialiste mondial du ciblage publicitaire sur le web, et cotée au Nasdaq depuis octobre 2013, Criteo est un autre acteur majeur du programmatique, grâce à son algorithme, capable d’afficher des publicités en concordance avec les intentions d’achat des internautes. Activité émergente, le programmatique représente moins de 4 % de l’achat d’espaces en France mais il a connu une forte progression en 2013 (+125 %), totalisant 117 millions d’euros, selon l’Observatoire de l’E-Pub SRI-Udecam-PwC. Le marché publicitaire programmatique devrait connaître un taux de croissance annuel de 50 % d’ici à 2017.

Associant la mise en vente en temps réel de chaque « impression publicitaire » (nombre d’apparitions à l’écran, et donc d’opportunités de contact, d’un message publicitaire – sous la forme d’une bannière par exemple – dans un espace déterminé) à un profil d’internaute déterminé, le programmatique offre une optimisation sans précédent de l’achat d’espaces sur les canaux numériques. Face à une audience qui se disperse d’un média à l’autre et adepte de l’usage de plusieurs écrans à la fois (multi-tasking), la finalité d’une campagne publicitaire ne se résume plus à viser une cible déterminée de consommateurs, sans pouvoir de surcroît en évaluer véritablement l’efficacité. Le programmatique – l’automatisation de la commercialisation d’espaces – est la réponse technique pour une meilleure performance des investissements publicitaires sur l’internet. Utilisées au départ pour la commercialisation des espaces à faible audience ou bien celle des invendus, les ad exchanges ont prouvé leur efficacité et se sont rapidement vu confier la vente d’espaces dits premium. En une fraction de seconde, le programmatique en temps réel permet d’adresser le bon message, au bon moment et à la bonne personne. Le quotidien britannique The Guardian, dont les deux tiers de l’audience proviennent de l’international, parvient ainsi à commercialiser, par ad exchanges, ses inventaires auprès de son public anglophone en dehors du Royaume-Uni.

Grâce à une parfaite connaissance des comportements des consommateurs internautes (navigation, recherche, activité sur les réseaux sociaux…), les algorithmes font correspondre le message publicitaire avec un profil de consommateur. Le programmatique assure la pertinence de l’exposition d’un consommateur à un message : « Avec cette technologie, on n’achète plus du média, on achète une audience, dans un environnement contextuel donné. Ce n’est donc plus de l’achat d’espaces à proprement parler – l’endroit de diffusion importe moins que le contexte éditorial ou que le profil de l’internaute – et la valeur du contact publicitaire dépend en fait de la meilleure conversion que l’hyperciblage confère », explique le président de l’Udecam (Union des entreprises de conseil et d’achat média), Bertrand Beaudichon (L’Opinion, 5 mai 2014).

Le programmatique est appelé à se généraliser à l’ensemble du marché de l’achat d’espaces publicitaires. Grâce à un ciblage d’une précision jusqu’alors inédite et une plus grande efficacité opérationnelle des agences médias, le programmatique est la promesse faite aux annonceurs d’un meilleur ROI (return on investment). Si les algorithmes n’ont pas remplacé le travail humain de conseils et de recommandations, les tâches au sein des agences médias se font de plus en plus techniques. Le programmatique a séduit l’ensemble des grands annonceurs, certains y consacrent déjà 20 % de leur budget publicitaire. A courte échéance, avec la numérisation de tous les supports, c’est tout le marché de l’achat d’espaces – télévision, radio et même affichage – qui serait confié à des plates-formes électroniques afin de programmer en temps réel la diffusion des messages publicitaires à une audience caractérisée.

En 1999, la régie publicitaire de France Télévisions innova avec la mise aux enchères de ses écrans publicitaires, sans diffusion en temps réel toutefois. En 2014, l’achat programmatique des inventaires TV est testé par les chaînes du câble et du satellite aux Etats-Unis. « L’enjeu est de taille si l’on considère que l’achat programmatique permettra de synchroniser les investissements digitaux et TV, primordial aujourd’hui à l’heure du second écran », explique Pierre Naggar, directeur général Europe de Turn, spécialiste des solutions technologiques appliquées au marketing, « D’ici deux ans, le marché aura pris forme outre-Atlantique. En Europe, les tests ne devraient réellement commencer qu’en 2017 » (Stratégie.fr, 28 août 2014). L’achat programmatique représenterait 20 % du marché publicitaire de la télévision aux Etats-Unis d’ici à 2018, selon la société d’études Strategy Analytics.

En France, la transposition à l’ère numérique de la loi Sapin datant de 1993, qui garantit la transparence des transactions entre les différents acteurs sur le marché de la publicité, est actuellement en débat. Les principales organisations représentatives des annonceurs, des agences et des médias (UDA, Udecam, SRI, SNPTV, Bureau de la radio, SPQN, UPR, SEPM, Geste) mènent des discussions avec les pouvoirs publics. S’inquiétant des conséquences du double rôle d’acheteur et de vendeur d’espaces (proscrit par la loi Sapin) des nouveaux acteurs comme les trading desks qui valorisent les espaces revendus par l’exploitation de données, les médias et les annonceurs militent pour l’application stricte de la législation existante quel que soit le support. L’Udecam (Union des entreprises de conseil et achat média), quant à elle, prône l’auto-régulation et souhaite la création d’un statut ad hoc pour ces « transformateurs d’espaces ».

Le développement de la télévision connectée et l’essor du big data promettent de beaux jours au programmatique. De plus en plus performants, les algorithmes régissent désormais l’intégralité des activités d’information et de communication en ligne. Ces formules mathématiques aux résultats de plus en plus sophistiqués agissent sur l’offre et la demande de contenus, quels qu’ils soient, et poussent ainsi à la conversion numérique des métiers de l’industrie des médias. En outre, leur omniprésence n’est pas sans poser la question fondamentale de la protection des données personnelles, enjeu majeur pour le respect de la vie en ligne, en toute liberté de choix et donc en entière confiance.

Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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