Microsoft : condamnation européenne confirmée

Le 17 septembre 2007, le tribunal de première instance de la Cour de justice des Communautés européennes de Luxembourg a rejeté la plainte déposée par Microsoft, en juin 2004, suite à sa condamnation par la Commission européenne en mars 2004.

L’affaire remonte en fait à 1993, date à laquelle la société Novell, spécialisée dans la vente de logiciels, dépose une première plainte contre Microsoft pour rétention d’informations sur ses protocoles informatiques. Le 10 décembre 1998, Sun Microsystems dépose à son tour une plainte contre Microsoft pour refus de fournir les informations nécessaires à l’interopérabilité des serveurs. Cette dimension retiendra l’attention de la Commission européenne qui adressera à Microsoft, le 1er août 2000, une première communication de griefs pour abus de position dominante. Un an plus tard, le 30 août 2001, la Commission européenne transmet à Microsoft une deuxième communication de griefs incluant cette fois-ci le lecteur multimédia Windows Media Player. Elle reproche alors à Microsoft de l’intégrer dans son système d’exploitation Windows, en position dominante sur le marché avec 95 % des ordinateurs vendus dans le monde, décourageant ainsi les utilisateurs de Windows de se procurer des lecteurs multimédias édités par les concurrents de Microsoft, notamment QuickTime et RealPlayer. Le 6 août 2003, la Commission européenne enverra une troisième communication de griefs à Microsoft, assortie cette fois-ci de « mesures correctives », pour mettre un terme à l’abus de position dominante du groupe américain concernant tout à la fois l’interopérabilité entre les serveurs Windows et les systèmes concurrents ainsi que la vente liée de Windows Media Player avec le système d’exploitation Windows.

Alors même que la Commission européenne et Microsoft étaient sur le point de parvenir à un accord début mars 2004, Mario Monti, alors commissaire à la concurrence, décide de prendre une décision formelle et de créer un précédent en matière de lutte contre les abus de position dominante. Le 22 mars 2004, la Commission européenne déclare Microsoft coupable d’abus de position dominante pour refus de communiquer la documentation technique permettant de rendre compatibles les serveurs Windows avec ceux de ses concurrents et pour la vente liée de Windows Media Player avec le système d’exploitation Windows. Elle inflige à Microsoft une amende record de 497 millions d’euros et demande de nouveau des mesures coercitives. En juin 2004, Microsoft se tourne vers la Cour de justice des Communautés européennes et demande l’annulation de la condamnation ainsi que la suspension des mesures coercitives.

Avant que le tribunal de première instance de la Cour de justice européenne de Luxembourg rejette la demande d’annulation de Microsoft, le 17 septembre 2007, la Commission et l’éditeur de logiciels auront toutefois multiplié les menaces et les compromis. En mai 2005, la Commission fixe un ultimatum à Microsoft pour se conformer à ses exigences, sous peine d’une nouvelle amende. Microsoft, qui transmet alors des premiers éléments de documentation technique à ses concurrents sur le marché des serveurs, obtient un sursis. Le 21 décembre 2005, la Commission estime que la documentation technique fournie par Microsoft reste insuffisante et menace une fois encore le groupe de nouvelles amendes. Le 12 juillet 2006, la Commission européenne passe à l’acte et inflige une nouvelle amende de 280,5 millions d’euros à Microsoft pour refus d’obtempérer, notamment en ne fournissant pas une information « précise et complète » permettant l’interopérabilité de son système avec celui des serveurs concurrents. Le 1er mars 2007, la Commission européenne retransmet une nouvelle communication de griefs a Microsoft demandant au groupe de transmettre ses informations techniques à ses concurrents « dans des conditions raisonnables et non discriminatoires », la documentation technique étant jugée encore insuffisante et les prix pratiqués par Microsoft « excessifs ».

Concernant Media Player, Microsoft fait suite aux de- mandes de la Commission en commercialisant, en décembre 2005, une version de Windows expurgée du lecteur multimédia. Celle-ci ne représentera toutefois que 1 % des ventes du système d’exploitation en Europe, de quoi mettre en évidence, selon les avocats de Microsoft, le fait que les lecteurs audio et vidéo sur PC ne constituent pas un enjeu pour les consommateurs, ces lecteurs étant compatibles entre eux et l’intégration de Media Player avec Windows n’interdisant pas aux utilisateurs de se procurer d’autres lecteurs multimédias.

Malgré toutes ces concessions, le verdict du tribunal de première instance (TPI) de la Cour de justice des Communautés européennes a donné raison à la Commission européenne sur la quasi-totalité des demandes qu’elle a formulées. L’arrêt du TPI confirme l’abus de position dominante : « selon la jurisprudence, bien que les entreprises soient, en principe, libres de choisir leurs partenaires commerciaux, un refus de livrer émanant d’une entreprise en position dominante peut, dans certaines circonstances, constituer un abus de position dominante ». De ce point de vue, « la Commission n’a pas commis d’erreur en estimant que ces circonstances étaient bien réunies ». Alors que Microsoft opposait aux demandes de la Commission le fait que la transmission d’informations techniques s’assimilait à une atteinte aux droits de propriété intellectuelle, l’arrêt du TPI précise à l’inverse que la demande de la Commission ne porte que sur « des spécifications de certains protocoles » et non des « éléments de code source ».

Concernant l’amende infligée par la Commission européenne à Microsoft, le TPI en confirme la légitimité : « Bruxelles n’a pas apprécié de manière erronée la gravité et la durée de l’infraction ni commis une erreur dans la fixation du montant de l’amende ».

Concernant Windows Media Player, le TPI a également confirmé que Microsoft pratiquait « une vente liée abusive » : « Le fait que Microsoft ne proposait aux équipementiers que la version de Windows couplée avec Media Player a eu pour conséquence inévitable d’affecter les relations sur le marché entre Microsoft, les équipementiers et les fournisseurs de lecteurs multimédias tiers ».

Les arguments des avocats de Microsoft ont donc été rejetés : « Microsoft n’a pas démontré l’existence d’une justification objective à la vente liée » alors qu’un « nombre non négligeable de consommateurs continuaient d’acquérir séparément des lecteurs multi- médias concurrents ».

Le seul point sur lequel le TPI n’a pas suivi la Commission européenne consiste en la désignation d’un expert indépendant, payé par Microsoft et ayant accès aux codes sources, pour veiller à la mise en œuvre de la condamnation de mars 2004. Le TPI a estimé qu’« aucune disposition du droit communautaire n’habilite la Commission à imposer aux entreprises de supporter les coûts qu’elle-même encourt en conséquence de la surveillance de l’exécution de mesures coercitives ».

Si la décision du TPI est une défaite pour Microsoft, elle augure également de nouveaux procès en Europe. Cette décision fait en effet jurisprudence et place l’Europe en tête de la lutte contre les abus de position dominante dans le domaine des hautes technologies, au risque de remettre en question l’innovation en Europe. Car c’est là tout l’enjeu de l’arrêt du TPI, résumé par l’avocat Michel Dubroux, cité par La Tribune : « Le tribunal a considéré qu’il n’avait pas à statuer sur les questions de propriété intellectuelle comme le craignait Microsoft. Mais il a posé le principe de la licence obligatoire chaque fois qu’un produit s’impose comme un standard ». Un arrêt interprété différemment Outre-Atlantique où le Département américain de la Justice (DoJ), dans un communiqué, s’est déclaré « inquiet » de la décision du TPI qui « porte tort [aux consommateurs] en inhibant l’innovation et en décourageant la concurrence », rappelant en outre qu’« aux Etats-Unis les lois antitrusts sont appliquées pour protéger la concurrence, pas les concurrents ».

A l’inverse, en France, les associations de consommateurs se sont réjouies de la confirmation de la condamnation de Microsoft, rappelant à cette occasion que les questions d’interopérabilité se posent dans bien d’autres domaines. Ainsi, l’association de consommateurs UFC-Que choisir? indiquait, le jour du verdict, que « la situation est encore plus préoccupante sur le marché des fichiers audio et vidéo payants (vidéo à la demande) où les fichiers sont verrouillés par un DRM. Or, une grande partie de l’offre audio (Neuf Télécom, NRJ, MSN Music, etc.) et la quasi-totalité de l’offre vidéo fait appel au DRM de Microsoft ».

Enfin, l’UFC-Que choisir? précisait également que les consommateurs restent « pieds et poings liés » par Microsoft du fait des accords du groupe avec les distributeurs de contenus numériques : « Les médias numériques en libre accès (TF1, France Télévisions, iTélévision, Radio France, etc. …) sont en grande majorité au format du lecteur de Microsoft ». L’association demandait alors une véritable interopérabilité de tous les fichiers numériques et annonçait son intention de saisir Luc Chatel, secrétaire d’Etat chargé de la consommation.

A plus court terme, la décision du TPI devrait avoir un impact certain dans les procès en cours à Bruxelles, notamment celui à l’encontre du groupe américain Intel, soupçonné de vouloir exclure du marché des microprocesseurs son concurrent AMD en incitant les vendeurs et fabricants d’ordinateurs à proposer les puces Intel en exclusivité. Des enquêtes du même ordre visent également l’équipementier en télécommunications Qualcomm et le fabricant de mémoires vives Rambus. L’arrêt du TPI peut également s’interpréter comme un avertissement fort à l’égard d’autres entreprises en position dominante, à l’instar de Google, qui a demandé, le 24 septembre 2007, à la Commission européenne de valider le rachat de DoubleClick, ou encore d’Apple et de son site de télé- chargement de musique iTunes Music Store, qui soulève les interrogations de la Commission quant à sa politique de prix (voir le n° 2-3 de La revue européenne des médias, printemps – été 2007).

Sources :

  • « Bruxelles menace encore Microsoft », Les Echos, 2-3 mars 2007.
  • « Microsoft et la Commission européenne dans l’attente d’un arrêt historique », Karl de Meyer, Les Echos, 10 septembre 2007.
  • « Bruxelles contre Microsoft, plus de sept ans de saga », AFP in tv5.org, 17 septembre 2007.
  • « Microsoft garde une longueur d’avance sur la justice », Claude Chendjou, Reuters in 01net.com, 17 septembre 2007.
  • « Le consommateur toujours pieds et poings liés », Communiqué de presse UFC-Que choisir ?, 17 septembre 2007.
  • « La justice européenne confirme la condamnation de Microsoft », Philippe Ricard et Cécile Ducourtieux, Le Monde, 18 septembre 2007.
  • « Sanctions confirmées contre Microsoft », Aude Carasco, La Croix, 18 septembre 2007.
  • « La justice européenne confirme la sanction de Microsoft pour abus de position dominante », Karl de Meyer, Les Echos, 18 septembre 2007.
  • « L’Europe inflige un camouflet à Microsoft », Pierre Avril, Le Figaro, 18 septembre 2007.
  • « La justice européenne inflige un camouflet à Microsoft », Florence Puybareau, La Tribune, 18 septembre 2007.
  • « Les autorités américaines prennent la défense de Microsoft », Laetitia Mailhes, Les Echos, 19 septembre 2007.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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