De la directive « TSF » à la directive « SMA »

Le 3 octobre 1989, les Communautés européennes adoptaient une directive « visant la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires (…) des Etats membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle » (comprendre « télévision »), connue sous le nom de directive « Télévision sans frontières » ou « TSF ». Le principe de réformes successives y est posé. De premières modifications y ont été apportées en juin 1997. La présente révision fait mention de ce que « les nouvelles technologies de transmission de services de médias audiovisuels rendent nécessaire l’adaptation du cadre réglementaire » dont le champ d’application se trouve étendu, des seuls services de télévision, aux « services de médias audiovisuels » (SMA). Pour une plus juste compréhension, on commencera par rappeler les principales dispositions initiales, avant de considérer quelques-unes des dispositions nouvelles.

I. Dispositions initiales

De la directive d’octobre 1989, il convient de dégager les principes généraux ainsi que les éléments particuliers qui en assurent la mise en œuvre.

A. Principes généraux

La directive « TSF » applique, à la télévision, les principes du traité de Rome. Il y est mentionné que celui- ci « prévoit l’établissement d’un marché commun comportant l’abolition, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des services et l’établissement d’un régime assurant que la concurrence n’est pas faussée ». Doit-on considérer les émissions et les médias comme des « produits » ou des « services » soumis aux lois du marché ? Y a-t-il cohérence entre liberté d’expression et libéra- lisme économique ? Ne risque-t-on pas d’ouvrir ainsi la voie à des contenus extra-européens passant par le canal d’un pays membre peu soucieux de la nature des pro- grammes et de la préservation des « identités culturelles » ?
Au nom des principes de libre prestation de services et de libre concurrence, la directive considère qu’« il est nécessaire et suffisant que toutes les émissions respectent la législation de l’Etat membre dont elles émanent ». Elle détermine « les dispositions minimales nécessaires pour assurer la libre diffusion des émissions ». Ne s’aligne-t-on pas ainsi sur le plus petit commun dénominateur des législations nationales et le « moins disant culturel » ?
En 1997, il a été précisé que « les Etats membres assurent la liberté de réception et n’entravent pas la retransmission sur leur territoire d’émissions télévisées en provenance d’autres Etats membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonné ».

B. Eléments particuliers

La coordination porte notamment sur : la « promotion de la distribution et de la production de pro- grammes télévisés », instrument de la diversité culturelle ; l’« ordre public » ; le « droit de réponse ».

– Diversité culturelle

La directive consacre son chapitre III à la « promotion de la distribution et de la production de programmes télévisés », en énonçant des objectifs relatifs aux quotas d’œuvres européennes.

De façon peu contraignante, il y est posé que « les Etats membres veillent, chaque fois que cela est réalisable et par des moyens appropriés, à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent à des œuvres européennes (…) une proportion majoritaire de leur temps de diffusion » relatif à ce type de programmes. De la même manière, il est précisé que « les Etats membres veillent (…) à ce que les organismes de radiodiffusion télévisuelle réservent au moins 10 % de leur temps d’antenne » consacré à ces éléments de programme ou « 10 % de leur budget de programmation à des œuvres européennes émanant de producteurs indépendants ».

– Ordre public

La directive dispose que « les Etats membres prennent les mesures appropriées pour que les émissions des organismes » de télévision « qui relèvent de leur compétence ne comportent aucun programme susceptible de nuire gravement à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs ».

Par la première révision, il a été ajouté que « les Etats membres veillent à ce que les émissions ne contiennent aucune incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité ».

– Droit de réponse

La directive consacre un « droit de réponse » au profit de « toute personne (…) dont les droits légitimes, en ce qui concerne notamment son honneur et sa réputation, ont été lésés à la suite d’une allégation incorrecte faite au cours d’une émission télévisée ». La condition d’une atteinte à l’honneur ou à la réputation et la référence à une allégation incorrecte constituent des restrictions à ce que devrait être un véritable droit de réponse.

Toutes ces dispositions impliquent une responsabilité de programmation. Dès lors, elles ne s’appliquent qu’aux seules entreprises de télévision. Elles ne peuvent être transposées à d’autres services entrant dans la catégorie plus large des « services de médias audiovisuels », incluant notamment des services à la demande, pourtant visés par certaines dispositions de l’actuelle directive de révision.

II. Dispositions nouvelles

Les dispositions nouvelles sont relatives au champ d’application de la directive et à la détermination de quelques éléments particuliers destinés à assurer la mise en œuvre des principes fondamentaux.

A. Champ d’application

La directive « TSF » voit son champ d’application étendu. Cela entraîne une modification de son titre. Il y est désormais fait mention de la « fourniture de services de médias audiovisuels » (SMA) sans frontières.

L’expression de « service de média audiovisuel » désigne un service « dont l’objet principal est la fourniture d’images animées, combinées ou non à du son, dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public, par des réseaux de communication électronique ». Elle englobe la télévision et les services dits non linéaires, c’est-à-dire « tous les services audiovisuels, qu’ils soient programmés ou à la demande ».

L’expression « service non linéaire désigne un service de média audiovisuel pour lequel l’utilisateur décide du moment où un programme spécifique est transmis ». Il est également fait mention de « nouveaux services à la demande »… mais sont-ils encore « nouveaux » ou le resteront-ils longtemps ? S’agissant de la télévision à la de- mande, peut-on considérer que tels services ont la maîtrise d’une programmation et une responsabilité éditoriale ? Leur faire application des dispositions relatives à la « promotion de la distribution et de la production de programmes télévisés » a-t-il véritablement un sens ? Tout dépend des choix individuels des téléspectateurs ?

B. Eléments particuliers

Parmi les dispositions nouvelles, on retiendra celles concernant l’accès à l’information et les « communications commerciales ».

– Accès à l’information

Dans sa rédaction initiale, la directive « TSF » imposait déjà aux Etats de veiller à ce que les organismes de télévision ne se réservent pas l’exclusivité de la diffusion d’événements considérés comme d’ « importance majeure pour la société ».

A ces restrictions à l’exclusivité des droits des organismes de télévision, sont ajoutées des dispositions introduisant une dimension interétatique. Aux télévisions est accordée la possibilité d’« extraire librement leurs brefs reportages d’actualité à partir du signal de l’organisme de radiodiffusion télévisuelle qui assure la transmission, moyennant au minimum l’indication de leur source ». Il est suggéré que « la durée de ces courts extraits ne devrait pas dépasser 90 secondes ». Mais cela n’est pas expressément repris dans les articles de la nouvelle directive.

– Communications commerciales

Les « communications commerciales » englobent la publicité, le parrainage, le téléachat et les placements de produits. Elles constituent un des objets essentiels des dispositions nouvelles, les plus confuses et les plus controversées. Le texte d’origine comportait déjà nombre de mesures relatives à la publicité. Elles concernaient notamment sa nécessaire identification et divers produits pour lesquels elle est interdite ou réglementée.

Des assouplissements sont apportés aux conditions d’insertion de tels messages. Il est posé que, « pour rester proportionnée aux objectifs d’intérêt général, la réglementation doit ménager une certaine souplesse », et notamment que « le placement de produits devrait être autorisé dans certaines circonstances » et que « certaines restrictions quantitatives devraient être abolies ».

Le « placement de produits » n’est sans doute pas très différent de la publicité clandestine. La nouvelle directive considère que « lorsque le placement de produits est clandestin, il devrait être interdit » ! Pourtant, elle énonce que « l’interdiction frappant la publicité clandestine ne couvre pas le placement légitime de produits » défini comme « toute forme de communication commerciale audiovisuelle consistant à inclure ou à faire référence à un produit, un service, ou leur marque, en l’insérant dans un programme », en dehors des créneaux publicitaires et donc d’une façon qui, pour le spectateur, ne peut être que clandestine.

Les temps de transmission des messages publicitaires et les conditions de leur insertion font également l’objet de mesures assez incertaines. La directive modificatrice estime que « le maintien d’une réglementation détaillée en matière d’insertion des spots publicitaires (…) ne se justifie plus ». Elle ajoute que : « alors que la directive ne révise pas à la hausse le volume horaire admissible de publicité, elle donne la possibilité (…) de procéder à l’insertion des messages publicitaires lorsque cela ne porte pas préjudice à l’intégrité des programmes ». Elle trouve cependant justifié que « le nombre des interruptions autorisées pendant la diffusion des œuvres cinématographiques et des films conçus pour la télévision » soit limité.

Par la présente révision de la directive « TSF », devenant la directive « SMA », les aspects techniques et économiques paraissent privilégiés, au détriment de quelques éléments de spécificité du cadre européen. Pour répondre à la concurrence extra-européenne, l’Europe s’aligne sur ses méthodes. Quels arguments pourra-t-elle alors faire valoir, dans les négociations internationales, pour tenter de justifier un quelconque régime « d’exception culturelle » ?

N’est-on pas, avec cette directive, tant dans sa formulation d’origine que du fait de ses modifications successives, dans l’ère des renoncements ? Le libéralisme économique constitue le fondement de toute l’organisation européenne. L’audiovisuel n’y échappe pas. La liberté d’expression et le pluralisme ne servent-ils pas, en réalité, à couvrir des fins très différentes ? Bien plus qu’à la diversité, ne conduisent-ils pas à la banalisation et à la marchandisation des produits et des services culturels ? Un droit de l’audiovisuel spécifique et les préoccupations culturelles ne pèsent pas bien lourd face aux lois d’un marché très commun !

Professeur à l’Université Paris 2

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