Abréviation du mot robot (en anglais), un bot désigne un programme informatique qui permet d’automatiser une tâche, comme les Googlebots qui indexent les pages web pour le moteur de recherche. Associant les mots chat (bavardage en anglais) et bot, un chatbot (ou chatterbot, chatterbox signifiant « moulin à paroles ») désigne un robot logiciel capable de simuler une conversation humaine.
Nés de l’émulation engendrée par la formulation en 1950 du test de Turing – capacité d’un ordinateur à se faire passer pour un humain lors d’échanges écrits – les premiers robots bavards, notamment le programme Eliza, datent de 1966. Grâce aux progrès réalisés dans le domaine de l’intelligence artificielle, les chatbots ont été introduits sur les sites web des entreprises pour automatiser certains outils marketing comme leur service client et leur forum de discussion.
Aujourd’hui, ces bots peuplent les services de messagerie instantanée (chat) tels que Messenger, Twitter, WeChat, Slack, Telegram, Kik, Line. Dialoguant par écrit en langage humain, le robot conversationnel répond aux requêtes formulées dans les messages des internautes. Sur les messageries internet, les chatbots ou agents conversationnels intelligents permettent d’obtenir des informations, d’assurer le suivi d’une commande, de réserver un billet, de fixer un rendez-vous, de faire des achats, etc. Les potentialités de ces logiciels de conversation paraissent infinies, sachant que les messageries les plus populaires que sont Messenger, WhatsApp, Snapchat et WeChat totalisent plus de 2,5 milliards d’utilisateurs actifs. En 2016, les chatbots sont au cœur de la stratégie des groupes internet. A l’instar de la réalité virtuelle (voir La rem, n°36, p.65), ils constituent l’un des axes majeurs de la recherche en intelligence artificielle (IA) et en deep learning (voir La rem n°30-31, p.75) conduite par les géants du Net qui développent des applications à l’usage du grand public. Les fonctionnalités des chatbots sont encore à un stade embryonnaire ; néanmoins, elles s’amélioreront assurément au rythme accéléré des performances de l’IA.
Nouvelles interfaces homme-machine favorisant l’éclosion de services opérés automatiquement, les chatbots vont remplacer peu à peu l’intervention humaine. Ils pourraient ainsi conduire à la disparition des centres d’appel téléphonique, par ailleurs grands pourvoyeurs d’emplois. Pour des entreprises dont les clients se comptent par millions, comme l’entreprise internet de VTC Uber, la compagnie aérienne KLM, l’assureur Axa et la SNCF, parmi les premières à utiliser ce nouveau mode de communication, l’automatisation des échanges sur des questions récurrentes va dans le sens d’une simplification pour les clients et d’une rationalisation pour l’entreprise.
Nombre de spécialistes prédisent « l’invasion des bots » : ces « invisible apps » se substitueraient aux applications mobiles, jugées dépassées (la majorité des mobinautes en utilisent trois et n’en téléchargent plus de nouvelles), ainsi qu’aux sites web, en transformant les plates-formes de communication que sont les messageries – applications parmi les plus utilisées depuis un smartphone – en plates-formes de conversation multiservices. Cette prophétie relaie les annonces faites par Facebook et Microsoft, en avril 2016, lors de leurs conférences annuelles respectives – baptisées F8 pour le premier et Build pour le second – destinées aux développeurs du monde entier.
Face à Google et Apple qui dominent le marché du téléchargement d’applications mobiles depuis leurs magasins en ligne (stores), les deux concurrents assurent la promotion des chatbots, à l’origine d’un nouvel écosystème construit autour des seules messageries instantanées. « Cette transition vers les bots est aussi importante que l’arrivée du web ou l’utilisation de l’écran tactile sur les smartphones. […] Les gens ne veulent plus aller d’application en application, de page web en page web. Ils veulent pouvoir tout faire au sein d’une même conversation », a annoncé Satya Nadella, PDG de Microsoft, lors de la conférence Build.
Même prédiction du côté de Facebook : « Communiquer avec une entreprise devrait être aussi simple que de discuter avec ses amis. », a déclaré Mark Zuckerberg aux développeurs réunis à la conférence F8. Et d’ajouter : « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui aime être pendu au téléphone avec une entreprise, ni télécharger une application pour chaque nouvelle chose. » C’est entendu : à l’avenir, les internautes converseront avec un robot au lieu de cliquer sur une page web ou de tapoter sur leur écran de smartphone afin d’obtenir une information ou un service.
Un mois plus tard, en mai 2016, c’est au tour de Google d’annoncer de quoi sera fait l’avenir lors de sa conférence I/O pour développeurs. Le groupe réplique à l’offensive des chatbots avec une nouvelle application de messagerie intelligente, baptisée Allo, capable de suggérer à l’utilisateur plusieurs réponses toutes prêtes au message reçu et de se connecter à d’autres applications, pour effectuer une réservation par exemple. Son lancement est prévu avant l’automne 2016.
En annonçant le succès programmé des chatbots, les géants de l’internet s’imposent une nouvelle fois comme les principaux acteurs d’un monde connecté. Afin de favoriser l’émergence de services robotisés accessibles depuis leurs messageries instantanées, Microsoft et Facebook ont annoncé leur intention de mettre à la disposition des développeurs les logiciels ad hoc issus de leur recherche en intelligence artificielle. Selon sa stratégie d’ouverture, Microsoft mise sur le déploiement des chatbots sur l’ensemble des messageries existantes, les siennes (Skype, Outlook) et les autres (Slack pour les professionnels, les asiatiques WeChat, Line et Kik plébiscitée par les adolescents).
Quant à Facebook, les perspectives de développement sont à la mesure du nombre d’utilisateurs actifs de ses messageries instantanées – 900 millions pour Messenger et un milliard pour WhatsApp, acquise en 2014 – où sont échangés plus de 60 milliards de messages par jour, trois fois le record battu par les SMS. Les entreprises installeront et utiliseront sans frais leurs chatbots sur Messenger. Facebook se rémunérera sur l’envoi de messages sponsorisés, ainsi que sur la création de campagnes marketing ciblées. Sur une publicité sera commercialisé l’ajout d’une fonction renvoyant au bot créé par l’annonceur. Un chatbot est accessible d’un simple clic – à l’avenir par un code QR à scanner – via l’ensemble des canaux de communication (courrier électronique, applications mobiles, sites web) et sur les produits eux-mêmes.
C’est certainement le succès des chatbots en Asie qui explique ce nouveau pari des géants du Net de renouveler leur offre aux entreprises, afin de consolider leur modèle économique. Plus qu’ailleurs, leur développement est très avancé pour la mise en relation des clients et des entreprises, par le biais des messageries WeChat en Chine, Line au Japon et Kakao en Corée du Sud. Lancée en Chine par le groupe chinois Tencent en 2011, puis dans le monde entier l’année suivante, WeChat est devenue une plate-forme depuis laquelle sont accessibles toutes sortes de services, sans autre installation préalable sur le terminal que l’application de messagerie.
Faisant office de navigateur web sur un terminal mobile, la messagerie instantanée WeChat est un véritable écosystème, avec 12 millions de comptes d’entreprises et d’organisations diverses, pour lesquelles elle permet notamment le paiement en ligne. Unique porte d’entrée, la messagerie offre à ses utilisateurs la possibilité de faire des recherches, écouter de la musique, s’informer, commander un taxi, acheter un billet d’avion, fixer un rendez-vous, sans jamais sortir de son application. Multilingue, WeChat dénombre 700 millions d’utilisateurs au premier trimestre 2016, dont 600 millions en Chine et 100 millions principalement en Asie du Sud-Est.
Certaines messageries, comme la canadienne Kik ou la russe Telegram, ont déjà leur bots store pour sélectionner des chatbots par mot clé ou par thématique. « Les applications de messagerie vont devenir les nouveaux navigateurs, et les bots, les nouveaux sites internet » selon Ted Livingston, fondateur de la messagerie Kik qui permet notamment d’envoyer des vidéos de Vine (l’application de Twitter) et de dialoguer avec les marques Sephora ou H&M.
Lancé aux Etats-Unis en septembre 2015, le chatbot Sensay compte déjà plus d’un million d’utilisateurs qui se connectent à sa plate-forme regroupant des centaines d’applications dont Le Bon Coin et Uber. Son objet est de mettre en relation des personnes, après les avoir interrogées pour définir avec précision leur profil, pour rendre un service, vendre un objet, recruter un collaborateur ou simplement répondre à une question. Contrairement aux autres chatbots, Sensay n’a pas été installé à son lancement sur une messagerie instantanée mais fonctionnait avec un numéro à contacter par SMS. Depuis, ce chatbot est accessible sur la messagerie Slack et le sera prochainement sur Messenger et Telegram.
Parmi la trentaine d’entreprises qui ont choisi de tester les chatbots sur Messenger, on trouve les médias d’information américains qui expérimentent ainsi une nouvelle façon de distribuer leurs contenus. Les pure players Quartz, TechCrunch, Business Insider, mais aussi les médias traditionnels comme CNN, NBC, le Wall Street Journal et la BBC, ont créé des agents conversationnels avec l’intention tout à la fois d’atteindre une audience mondiale et de mieux cibler la diffusion d’informations.
A un stade encore expérimental, le news bot de CNN sur Messenger ne propose encore rien de véritablement révolutionnaire. Etablie à partir des articles les plus populaires sur le site de CNN, la sélection « Stories for you » est personnalisée en fonction des choix antérieurs de l’utilisateur. Les « stories » peuvent être lues dans leur intégralité dans une fenêtre web mobile ou résumées par le bot en quelques paragraphes au sein de Messenger.
La fonction « Ask CNN » permet une recherche par mot clé sur un sujet particulier. A terme, le but est de créer une expérience personnelle en tenant compte du jour, de l’heure et de la localisation du lecteur. Le succès des chatbots dépendra des avantages réels qu’ils seront capables d’apporter aux utilisateurs, ce qui ne semble pas encore être le cas en matière d’informations. Les médias augmentent encore leur dépendance aux groupes internet pour toucher leur public, et plus particulièrement aux réseaux sociaux, Facebook en tête. Rattaché à l’école de journalisme de l’université Columbia, le Tow Center for Digital Journalism a édité un Guide to Chat Apps fin 2015.
Réelle prouesse technologique, le recours aux agents de conversation soulève néanmoins d’importantes questions d’ordre social et éthique, peu anticipées. Paradoxalement, plus les robots sont performants, c’est-à-dire autonomes, plus ils sont vulnérables. Apprenant par eux-mêmes, s’enrichissant des données qu’ils mémorisent, les bots restent incapables d’évaluer la pertinence ou la véracité de leurs réponses. Ce fut le cas du chatbot Tay, lancé par Microsoft en mars 2016, avec curieusement l’apparence d’une adolescente, pour participer à des conversations sur les réseaux sociaux. Se nourrissant des échanges sur Twitter d’un nombre suffisant d’internautes malintentionnés à son égard, il a tenu des propos néonazis et racistes. Ce n’est pas la première fois que les algorithmes fournissent des réponses inacceptables : Google a déjà dû à maintes reprises remédier à de graves incidents sémantiques de cette nature. Si Microsoft a arrêté l’expérience, cette perversion du système par des hackeurs amène à s’interroger à la fois sur l’éthique et la sécurité de l’analyse automatique des mégadonnées. A quelles règles, à quels principes devrait être soumise la programmation des machines qui vont fouiller dans d’immenses bases de données, afin d’éviter que l’intelligence artificielle reflète si parfaitement la bêtise humaine ?
En proposant désormais leurs technologies d’intelligence artificielle en open source, les groupes internet comme Microsoft et Facebook vont bénéficier des expériences menées par les utilisateurs de leurs outils pour perfectionner leur système. Lorsqu’il s’agit de commander une pizza par l’entremise d’un chatbot, l’évocation d’un risque d’erreur fait sourire, mais il en ira tout autrement lorsque les machines auto-apprenantes se substitueront aux hommes pour des tâches plus essentielles au bon déroulement de la vie en société.
Que penser des robots conversationnels qui pourront remplacer les conseillers clientèle dans les agences bancaires, comme le prévoit un partenariat conclu en avril 2016 entre Le Crédit Mutuel-CIC et IMB, concepteur de Watson, programme d’intelligence artificielle ? Ou encore des bots qui se mêleront un jour des entretiens d’embauche ou des négociations commerciales ? En cas de dérive, il ne sera peut-être pas toujours aussi facile de débrancher le système comme Microsoft vient de le faire.
« Nous ferons des machines qui raisonnent, pensent et font des choses mieux que nous ne le pouvons », a dit un jour Sergueï Brin, cofondateur de Google. « Apprenant eux aussi en faisant », les acteurs majeurs de l’internet ont avant tout une démarche pragmatique selon laquelle ils testent en permanence de nouveaux produits. Mais n’est-il pas opportun de réfléchir, au regard des progrès de l’intelligence artificielle, aux conséquences des bouleversements induits par les outils qu’ils inventent ? « Avec l’IA et les systèmes d’apprentissage embarqués, le programme va se modifier en fonction de l’expérience du robot. Du coup, on entre dans l’imprévisible. La machine va en effet être capable de s’améliorer et son efficience peut aller contre nos valeurs. Comment faire pour que cela n’outrepasse jamais des limites morales ou éthiques ? Comment et à quels niveaux placer des barrières ? », s’interroge Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique à l’université Pierre-et-Marie-Curie, spécialiste de l’intelligence artificielle, dans un article publié en décembre 2015 par LaTribune.fr.
Dans un autre registre non moins préoccupant, qu’en sera-t-il du respect de la vie privée et de la maîtrise des données personnelles lorsque les chatbots, nourris au traitement des habitudes quotidiennes des internautes, deviendront leurs interlocuteurs privilégiés ? Y compris sans demande expresse de leur part, quand les bots chercheront à anticiper leurs attentes. Souhaitant capter davantage encore l’attention des internautes sur un mode de plus en plus intrusif, Facebook s’est engagé à permettre un contrôle renforcé pour les utilisateurs, avec la possibilité de bloquer les messages de bots indésirables. A cela s’ajoutent les progrès des fonctionnalités, jusque-là limitées, des assistants numériques personnels – Siri d’Apple, Cortana de Microsoft, Google Assistant, M de Facebook et Alexa d’Amazon – avec lesquels les chatbots vont pouvoir dialoguer. Introduite au cœur de la vie quotidienne, l’intelligence artificielle constitue un nouveau défi pour la protection de la vie privée, auquel les autorités administratives chargées de cette question, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) en France, devront avoir les moyens de répondre.
La recherche en intelligence artificielle est le terrain sur lequel concourent tous les géants de l’internet. Ils y jouent leur avenir et le nôtre. Après la victoire, en mars 2016, d’AlphaGo – programme d’intelligence artificielle développé par Google DeepMind pour le jeu de go – sur le champion du monde sud-coréen Lee Sedol (quatre manches à une), le spécialiste Chris Garlock a commenté ainsi la partie : « A la moitié du jeu, on a oublié qu’on parlait d’un robot et on a commencé à parler de lui à la troisième personne », comme le relate Erwan Cario dans Libération du 11 mars 2016. Au rythme où vont les choses, il sera peut-être prochainement de moins en moins évident de penser dans nos interactions à faire la différence entre un robot et un être humain. Après l’ubérisation (voir La rem n°34-35, p.84), voici venir l’ère de la « botification », The Next Big Thing comme il est coutume de dire dans la Silicon Valley pour désigner la prochaine rupture technologique à ne pas manquer. Et la bataille industrielle entre les géants du Net ne fait que commencer.
Sources :
- « L’intelligence artificielle est partout dans nos vies », interview de Jean-Gabriel Ganascia, Jérôme Cohen, La Tribune.fr, 22 décembre 2015.
- « The Botification of News », Trushar Barot, Nieman Lab, niemanlab.org, décembre 2015.
- « « We curate, you query »: Inside CNN’s new Facebook Messenger chat bot », Madalina Ciobanu, Journalisme.co.uk, 13 April 2016.
- « Microsoft mise sur les « chatbots » pour remplacer les applications », Anaïs Moutot, Les Echos, 1er-2 avril 2016.
- « Les banques passent à l’intelligence artificielle pour assister leurs conseillers », Véronique Chocron, Les Echos, 4 avril 2016.
- « Les « chat bots« , ces nouveaux envahisseurs à l’assaut des smartphones », AFP, tv5monde.com, 14 avril 2016.
- « Facebook place le business au cœur de sa messagerie », Anaïs Moutot, Les Echos, 14 avril 2016.
- « Facebook fait le pari des « chatbots » », Jérôme Marin, Le Monde, 14 avril 2016.
- « Facebook Messenger : comment fonctionnent les bots ? », Anaelle Grondin, LesEchos.fr, 17 avril 2016.
- « C’est quoi, un bot, et ça sert à quoi ? », interview de Thomas Husson du cabinet Forrester, Delphine Cuny, Rue89, rue89.nouvelobs.com, 25 avril 2016.
- « Pourquoi l’intelligence artificielle est raciste », Laurent Alexandre, Science & médecine, Le Monde, 27 avril 2016.
- « Sensay, le chatbot qui a déjà un million d’utilisateurs », Raphaël Grably, 01net.com, 8 mai 2016.
- « Intelligence artificielle, assistants virtuels, messageries, interfaces vocales, robots conversationnels – Au-delà du mobile », Eric Scherer, Méta-Media, meta-media.fr, 15 mai 2016.
- « Les nouveaux terrains de jeu des géants du Net », Sarah Belouezzane et Sandrine Cassini, Le Monde, 22-23 mai 2016.