Rapport au Premier ministre sur « l’économie collaborative »

Avec 276 plates-formes actives sur le marché français se réclamant de l’économie dite collaborative et près d’un Français sur deux ayant déjà acheté ou vendu à un autre particulier à travers ce type de plate-forme, la France a résolument une carte à jouer dans le domaine de l’économie collaborative. C’est dans ce sens que le député socialiste Pascal Terrasse a remis à Manuel Valls, Premier ministre, en février 2016 son rapport sur le sujet. Cependant, « si l’économie collaborative devient une alternative crédible à un modèle de consommation qui s’essouffle, elle doit elle-même prendre ses responsabilités ». Comme elle concerne de nombreux domaines de l’action publique – la fiscalité, le droit de la consommation, l’emploi, la protection sociale et bien sûr l’économie – le rapport Terrasse s’organise autour de cinq thématiques préconisant au total 19 propositions qui visent tout à la fois à encadrer, à développer et à accompagner le potentiel de l’économie collaborative, pour faire en sorte que la France conserve et transforme son titre de pionnière en la matière.

Le rapport s’attache à circonscrire et à expliquer ce qu’est l’économie collaborative, tant le terme, devenu à la mode, est utilisé dans de nombreuses acceptions. L’économie collaborative s’inspire de plusieurs courants de pensée, tout d’abord de « la mouvance du libre », dont l’esprit naît dans les années 1980 et dont la caractéristique est de conférer à son utilisateur des libertés qui n’existent pas dans une logique propriétaire. Elle s’appuie aussi sur « l’économie de la fonctionnalité », qui fait reposer la valeur non plus sur la possession du bien mais sur l’usage que l’on en fait. Enfin, elle est une « économie du don », qui promeut le travail en tant que don et une libre contrepartie entre producteur et consommateur, sans échange monétaire, dont l’encyclopédie en ligne Wikipedia est un exemple parmi les plus représentatifs.

Reprenant la définition de Rachel Botsman selon laquelle l’économie collaborative se définit comme « des réseaux d’individus et de communautés connectées, par opposition à des institutions centralisées, et qui transforment la manière dont nous produisons, consommons, finançons et apprenons », le rapport souligne que cette économie concerne tout à la fois la consommation collaborative, la réparation et la fabrication d’objets, le financement de projets, ainsi que l’éducation et le savoir. Et d’insister sur le fait que cette économie « renvoie à des modes alternatifs de consommation et de production, dont seule une minorité passe par internet. » Citée par le rapport Terrasse, une récente étude de l’ADEME recense 17 activités relevant de l’économie collaborative qui représentent, en France, un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros, 15 253 entreprises et 13 000 emplois salariés directs. Les dépenses réalisées par les particuliers dans le cadre d’initiatives de consommation collaborative ne représentent cependant qu’une part encore très minoritaire des dépenses de consommation finale des ménages, soit 0,3 %.

La diversité des acteurs est telle que les plates-formes qui se réclament d’être collaboratives peuvent être tout autant des associations sans but lucratif que des entreprises capitalistes. Il s’agit donc de différencier clairement ces acteurs selon « le type de transaction prévalant à la transaction entre utilisateurs, (don, échange, vente) mais également de la manière dont chaque plateforme organise le partage de valeur avec sa communauté d’usagers ». Le rapport distingue trois types d’initiatives : le premier concerne « les acteurs de l’économie du partage, dont les services reposent sur des échanges de particulier à particulier adossé à un actif ou un service préexistant », comme un appartement avec Guest to Guest, que les propriétaires laissent vide pendant leurs vacances, ou un trajet en voiture, avec BlaBlaCar, que le conducteur aurait de toute manière effectué ; le deuxième type d’initiatives regroupe les « services à la demande », qui, à travers un nouveau service, font la mise en relation entre professionnels et consommateurs, comme par exemple Uber ; et le troisième, « les places de marché qui peuvent mettre en relation des particuliers comme des professionnels », à l’instar du site de petites annonces Le Bon Coin ou encore le service d’achat direct aux producteurs locaux La ruche qui dit oui.

Le rapport s’attache ensuite à analyser « des facteurs clefs de succès de cette nouvelle forme d’économie du point de vue du consommateur et les mesures qui pourraient encore accroître sa confiance dans le système ». Parce que les « les plateformes numériques ont en commun le fait que leurs utilisateurs sont à l’origine de la création de valeur », le rapport recommande de fiabiliser « les conditions de référencement des offres », « les avis en ligne » afin d’offrir au consommateur une information claire et lisible, notamment quant aux « responsabilités de la plateforme, la qualité de l’offreur et les garanties associées à son statut ». Est également proposé un « espace de notation des plateformes », qui permettrait d’évaluer grâce aux utilisateurs « les engagements pris en matière de responsabilité sociale, la loyauté du référencement des offres, les pratiques d’exploitation des données personnelles, la fiabilité du système de notation, la clarté des conditions générales d’utilisation, le comportement fiscal de la plateforme », cela afin de permettre aux utilisateurs de comparer les offres, mais aussi « de permettre aux pouvoirs publics, in fine, de mieux les contrôler ».

Le rapport poursuit sur la nécessité de protéger non pas seulement les consommateurs, mais également les particuliers qui « travaillent » pour ces plates-formes, en améliorant les conditions de leur protection sociale, en favorisant des actions de formation, ou encore en prenant en compte les périodes d’activité dans le cadre de la procédure de la validation des acquis de l’expérience (VAE). Le rapport préconise également que les « plateformes pourraient proposer, dans le cadre de leur responsabilité sociale, des mesures d’accompagnement qui soient adaptées aux difficultés rencontrées par leurs utilisateurs : accès au crédit, accès au logement, couverture sociale complémentaire ».

D’un point de vue fiscal, le rapport propose de poursuivre les efforts visant à faire payer aux plates-formes leurs impôts pays par pays, notamment pour éviter les stratégies d’évitement de l’impôt alors que la création de valeur est circonscrite sur chaque territoire. Ces efforts devront notamment être conduits au niveau international, et tout particulièrement dans le cadre de l’initiative BEPS (Base Erosion and Profit Shifting) au sein de l’OCDE, projet de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices.

Le rapport recommande ensuite de clarifier la doctrine de l’administration fiscale sur la distinction entre les revenus (par exemple Uber) et le partage des frais (par exemple Blablacar) et repousse l’idée d’un seuil spécifique au-delà duquel tout le monde devrait être imposé (qui n’est d’ailleurs pas la voie privilégiée par d’autres pays européens). Cela, d’autant plus qu’à partir du 1er juillet 2016, les plates-formes devront clairement indiquer à leurs utilisateurs leurs obligations fiscales et sociales afin que soient distinguées les activités qualifiées de « pratiques amateurs » et celles nécessitant de s’enregistrer en tant que professionnel. Allant plus loin, le rapport souhaite automatiser la télétransmission des revenus générés sur chaque plate-forme à l’administration fiscale, à l’instar de la procédure de déclaration en ligne dont le montant des salaires et les revenus financiers sont déjà préremplis.

Enfin, concernant le volet numérique, le rapport souligne le manque de compétences informatiques et la difficulté de recrutement de professionnels dans ce domaine pour accompagner le développement de l’économie collaborative en France, et dont la « Grande Ecole du numérique », annoncée par le président de la République le 5 février 2015, pourrait être l’une des réponses aux besoins du secteur. Côté des utilisateurs, des efforts pourraient être entrepris pour inclure les personnes pour qui des gains de pouvoir d’achat et l’expression de nouvelles solidarités seraient les bienvenus : les seniors, les familles aux revenus modestes ou encore les demandeurs d’emploi. Alors que le plan très haut débit apporte une réponse technique à cette ambition, il s’agit maintenant d’accompagner le développement des usages, à travers des formations au numérique à destination de tous.

Si l’économie collaborative est vue comme une chance par certains, elle ne manque pas de susciter l’angoisse de certaines professions qui se sentent menacées. Le récent développement de ces plates-formes explique qu’il est encore difficile de mesurer son impact sur les activités traditionnelles et le poids de cette économie en termes d’emploi. Pour pallier ce déficit d’information, le rapport préconise de créer un « observatoire de l’économie collaborative », dont l’objectif serait à la fois de permettre à l’Etat d’en « mesurer les conséquences sociales, en matière de création d’emplois, ainsi que les nouveaux potentiels économiques », et d’être aussi un outil d’évaluation, de prospective et de médiation entre professionnels et pouvoirs publics.

Rapport au Premier ministre sur « l’économie collaborative », mission confiée à Pascal Terrasse, député de l’Ardèche, février 2016.

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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