Grande-Bretagne : la première chaîne commerciale ITV fragilisée

Au cœur d’une bataille entre Rupert Murdoch (News Corp.) et Richard Branson (Virgin), après que le premier, en rachetant 17,9 % du capital d’ITV le 17 novembre 2006, a empêché au second de finaliser la fusion d’ITV avec NTL qu’il détient (voir Revue européenne des médiasn°1), la première chaîne commerciale britannique semble fragilisée tant sur le plan économique, juridique que politique.

Sur le plan commercial, le groupe ITV a annoncé, pour 2006, un recul de son bénéfice net de 1,4 %, à 219 millions de livres (322 millions d’euros), ainsi qu’un chiffre d’affaires en baisse de 1 %, à 2,18 milliards de livres (3,2 milliards d’euros). Ces résultats masquent en fait les contre-performances de la chaîne ITV 1, dont les revenus publicitaires ont chuté de 12 %, cette baisse étant compensée en grande partie par les revenus issus des activités Internet et de production. Or la santé d’ITV 1 est décisive pour le groupe, les recettes publicitaires d’ITV 1 représentant près de 60 % des revenus du groupe.

Et ces recettes sont directement corrélées à l’audience de la chaîne issue de la fusion de Carlton et Granada début 2004. Alors qu’ITV truste à elle seule plus de 40 % du marché publicitaire télévisé britannique, et pour qu’elle n’abuse pas de sa position dominante (la BBC n’a pas recours à la publicité, ce qui laisse le champ libre aux chaînes nationales hertziennes), la fusion avait été accordée en contrepartie de la mise en place d’un mécanisme complexe, baptisé CRR (Contracts Rights Renewal), qui autorise les annonceurs et les agences médias à demander des baisses de prix sur les écrans publicitaires d’ITV dès que l’audience de cette dernière recule. Mis en place depuis la fin de l’année 2003, ce mécanisme est piloté par un adjudicateur indépendant, placé sous l’autorité de l’OFCOM, qui s’assure ainsi que la fusion de Carlton et Granada dans ITV ne perturbe pas les équilibres publicitaires britanniques Basé sur les chiffres d’audience annuels, ce mécanisme a des conséquences lourdes en cas de recul d’ITV, celle-ci voyant ses recettes publicitaires diminuer automatiquement l’année suivante, l’impact sur le chiffre d’affaires annuel étant évalué à plusieurs dizaines de millions de livres. Or, en 2006, l’audience d’ITV est en baisse, étant passée de 32 % à 30 % entre 2005 et 2006. Aussi, les recettes publicitaires de la chaîne devraient-elles baisser automatiquement en 2007, de l’ordre de 10 %. Ce dispositif, à l’évidence, fragilise ITV 1 qui, avec la chaîne française TF1, est la seule chaîne européenne privée à bénéficier d’une telle audience grâce à un investissement massif dans sa grille de programmation : à titre d’exemple, TF1 et ITV1 dépensent chaque année près d’un milliard d’euros dans leur grille de programmes, trois fois plus que M6 et presque l’équivalent de ce que Mediaset dépense en Italie pour ses trois chaînes.

En conséquence, le nouveau patron d’ITV, Michael Grade, a d’ores et déjà dénoncé le CRR auprès de l’Office of Fair Trading, l’autorité de la concurrence britannique, lequel avait imposé ce dispositif lors de la fusion. Michael Grade dénonce un cercle vicieux où la baisse de l’audience, alors même que le groupe reste leader en la matière, entraîne une baisse automatique des recettes publicitaires, qui conduit alors à moins investir dans la grille de programmes, ce qui nuit, toujours selon Michael Grade, à la qualité des pro- grammes. C’est d’ailleurs sur cet aspect du modèle économique d’ITV1 que le nouveau patron du groupe compte agir pour inverser la tendance, à budget de programmation égal pour 2007, une manière d’adresser un signal aux autorités en liant la santé de la chaîne à celle des investissements dans la production britannique.

Sur le plan juridique, le groupe ITV doit faire face aux procédures lancées par Richard Branson, qui a saisi l’OFCOM et l’Office of Fair Trading, depuis que Rupert Murdoch est entré au capital du groupe. Enfin, les sujets de discorde se multiplient tout en se déplaçant sur d’autres fronts. Début mars 2007, le câblo-opérateur NTL, propriété de Virgin Media, déprogrammait plusieurs chaînes du bouquet BSkyB, contrôlé par Rupert Murdoch, privant les 3,3 millions d’abonnés de NTL de leurs chaînes de télévision, remplacées par un service de vidéo à la demande (Virgin Central). Selon Richard Branson, cette déprogrammation s’explique par les tarifs demandés par Rupert Murdoch dans le cadre des discussions de renouvellement du contrat de diffusion des chaînes de BSkyB – « plus du double » -, quand Rupert Murdoch explique l’échec des négociations par le refus en bloc de ses propositions par NTL.

Considérant ces désaccords comme une conséquence directe de l’entrée au capital d’ITV par Rupert Murdoch, le gouvernement britannique ouvrait, le1er mars2007,une enquête sur l’influence de Rupert Murdoch sur les médias en Grande-Bretagne.

Rupert Murdoch, qui possède deux quotidiens en Grande-Bretagne, The Times et The Sun, deux hebdomadaires dominicaux (Sunday Times, News of the World), contrôle de fait 31,5 % du lectorat de la presse quotidienne britannique, position dans le paysage médiatique à laquelle il faut ajouter la participation de 38 % dans BSkyB. Mais Rupert Murdoch a refusé de voir dans son entrée au capital d’ITV une entorse aux règles de la concurrence, le Communication Act de 2003 autorisant effectivement, pour les groupes contrôlant plus de 20 % du marché national de la presse, les participations dans les chaînes de type III, dont ITV, à condition que cette participation soit inférieure à 20 %. Mais l’enquête lancée par le gouvernement s’appuie sur une clause, jusqu’ici jamais utilisée, du Communication Act de 2003 qui autorise le ministre du commerce et de l’industrie à examiner toute fusion ou acquisition soulevant des « problèmes d’intérêt public ». Si l’OFCOM et l’Office of Fair Trading contestent l’acquisition d’ITV par Rupert Murdoch, le ministre du commerce pourra saisir la Competition Commission, l’instance suprême de la concurrence, pour une enquête approfondie. Michael Grade, le parton d’ITV, leur a d’ores et déjà fait savoir que la participation de Rupert Murdoch au capital d’ITV pouvait nuire aux autres actionnaires, empêchant des rapprochements avec d’autres entreprises médias – ce que voulait Richard Branson en proposant la fusion ITV – NTL.

Sur le plan politique, l’agitation autour de l’entrée de Rupert Murdoch au capital d’ITV a également des conséquences qui fragilisent le groupe. Alors que celui-ci, traditionnellement conservateur, a apporté son soutien aux travaillistes de Tony Blair à chacune des élections victorieuses de 1997, 2001 et 2005, la position actuelle du gouvernement pourrait l’inciter à défendre David Cameron, le leader du parti conservateur,nuisant ainsi au successeur de Tony Blair, Gordon Brown, l’actuel ministre des finances, proche de Richard Branson et plus à gauche que ne l’est Tony Blair.

Sources :

  • « Le ciel londonien s’assombrit pour Rupert Murdoch », Andrea Morawski, La Tribune, 1er mars 2007.
  • « Virgin Media déprogramme plusieurs chaînes de BSkyB », Les Echos, 2-3 mars 2007.
  • « ITV subit un plongeon de ses recettes publicitaires », I. C., Les Echos, 8 mars 2007.
  • « Le duel politique entre M. Murdoch et M. Branson », Marc Roche, Le Monde, 13 mars 2007.
  • « ITV : la rentabilité de la chaîne britannique prise en étau », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 2 avril 2007.

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