Confrontées à un marché publicitaire en fort repli, les chaînes privées espagnoles demandent des assouplissements réglementaires qu’elles sont en passe d’obtenir. Un premier décret a amorcé en Espagne la réforme du paysage audiovisuel en assouplissant fortement le dispositif anticoncentration, alors que José Luis Zapatero a annoncé une réduction drastique de la publicité sur les chaînes publiques espagnoles.
Le marché publicitaire finance de moins en moins bien les chaînes espagnoles, qui appellent à une refonte de la réglementation dans l’audiovisuel
Le paysage audiovisuel espagnol a prospéré depuis 2000 grâce à la croissance forte du marché publicitaire, dans un contexte économique porteur orienté par l’immobilier et les banques. L’Espagne fait partie des pays les plus touchés par la crise économique et financière mondiale, ses deux leviers de croissance ayant été touchés de plein fouet. Aussi, après une hausse du marché publicitaire espagnol de 10% en 2005, de 8% en 2006 et de 9% en 2007, le choc est brutal depuis le milieu de l’année 2008, avec un recul sur un an de 11 % des dépenses publicitaires, fortement marqué en fin d’année, celui-ci étant de 23 % au dernier trimestre. En 2009, le recul du marché publicitaire espagnol pourrait être supérieur à 20 %. Pour les chaînes nationales de télévision financées par la publicité, les chaînes publiques TVE1 et TVE2, qui bénéficient toutefois d’un financement complémentaire direct sur le budget de l’Etat, comme pour les quatre grandes chaînes privées, Telecinco, Antena 3, Cuatro et La Sexta, cet effondrement des recettes publicitaires se traduit directement sur leur chiffre d’affaires et menace à terme le passage au tout numérique dans la péninsule espagnole, prévu pour fin 2010, qui impose aux chaînes de lourds investissements.
A l’occasion de la publication de leurs résultats, les chaînes privées espagnoles ont donc demandé au gouvernement une modification de la réglementation qui leur permette de mieux résister à la conjoncture, soit par des concentrations, soit, en s’inspirant du modèle français, par la suppression de la publicité sur les chaînes publiques espagnoles. Pour Telecinco, leader avec 18,1 % de part d’audience, le recul du chiffre d’affaires en 2008 s’est élevé à 9,2 % par rapport à 2007. Pour Antena 3 qui, avec 16 % de part d’audience, talonne TVE1 et ses 16,9 % de part d’audience, le recul du chiffre d’affaires en 2008 est encore plus marqué, à hauteur de 18 % par rapport à 2007. Les difficultés des chaînes privées comme leur lobbying ont eu raison du gouvernement socialiste de José Luis Zapatero qui a réformé profondément la réglementation espagnole relative à l’audiovisuel.
Un assouplissement des dispositifs anti-concentration dans l’audiovisuel
Le 23 février 2009, le gouvernement espagnol adoptait le premier décret de la réforme du paysage audiovisuel. Ce décret pour des « mesures urgentes en matière de télécommunications » (Real Decretoley 1/2009, de 23 de febrero, de medidas urgentes en materia de telecomunicaciones), comme son nom l’indique, s’inscrit dans le contexte de crise pour les médias espagnols. Sur le plan réglementaire, il autorise une plus grande concentration du paysage audiovisuel afin de renforcer le poids des chaînes face aux annonceurs. Sa principale mesure consiste en la suppression du seuil maximal autorisé de 5 % qu’un groupe de télévision pouvait détenir dans une autre société de télévision. Désormais, une chaîne pourra prendre le contrôle d’une autre si le total des audiences cumulées ne dépasse pas 27 % de part d’audience nationale. Afin de garantir le pluralisme des opinions, trois opérateurs privés de télévision devront subsister, faute de quoi les fusions seront interdites. Dans la mesure où Telecinco et Antenna 3 détiennent à elles deux plus du tiers de l’audience nationale, leur rapprochement est de fait interdit. Ce sont donc les deux autres chaînes nationales privées, Cuatro et la Sexta, qui sont potentiellement visées par une fusion. Le 26 mars 2009, la Sexta (5,5 % de part d’audience) confirmait être ouverte à une fusion. A la suite de ce décret, Telecinco et Antena 3 se sont déclarées disposées à une fusion, qui vise à l’évidence la Sexta, à la condition que cette fusion soit source de synergies entre les chaînes.
Vers la suppression de la publicité sur les chaînes publiques espagnoles ?
Le deuxième grand chantier de la réforme de l’audiovisuel espagnol concerne la suppression de la publicité sur les chaînes publiques, s’inspirant de l’exemple français, sauf qu’il n’y a pas de redevance en Espagne. La RTVE, le service public audiovisuel, est financé, outre par la publicité, directement par le budget de l’Etat. Le 14 avril 2009, José Luis Zapatero a confirmé travailler sur une nouvelle loi audiovisuelle, qui transposera en Espagne la directive européenne Services de médias audiovisuels (SMA), plus souple en matière de réglementation publicitaire que la directive Télévision sans frontières (TVSF) qu’elle remplace. La nouvelle loi conduira également à une « réduction drastique » de la publicité sur les chaînes publiques espagnoles. A ce jour, les chaînes publiques espagnoles sont autorisées à diffuser 10 minutes de publicité par heure et 9 minutes à partir de 2010.
L’objectif assumé de la nouvelle loi consiste à anticiper un transfert des budgets publicitaires des chaînes publiques vers les chaînes privées, tout en diminuant l’exposition publicitaire à la télévision. Outre les chaînes privées, ces nouvelles dispositions satisferont sans aucun doute les téléspectateurs et l’Association espagnole des annonceurs qui dénoncent le trop-plein de publicité à la télévision, la saturation promotionnelle affectant, selon les annonceurs, l’efficacité de leur communication commerciale. En même temps, la transposition en droit espagnol de la direction SMA devrait satisfaire la Commission européenne, qui a entamé une procédure contre l’Espagne auprès de la Cour de justice des Communautés européennes pour son application trop souple de la directive TVSF (voir le n°9 de La revue européenne des médias, hiver 2008-2009).
Rien n’a été précisé, en revanche, sur le financement de la RTVE, qui repose pour moitié sur ses recettes publicitaires, à hauteur de 500 millions d’euros par an. José Luis Zapatero s’est toutefois engagé à ne pas créer de redevance pour financer le manque à gagner lié à la suppression de la publicité. De même, le Premier ministre espagnol a refusé de faire porter sur le budget de l’Etat la charge de la compensation financière du manque à gagner publicitaire de la RTVE. Pour financer la RTVE, des solutions s’inspirant de l’exemple français sont envisagées : taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires des chaînes privées, taxe de 0,9 % sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications proposant des services audiovisuels, affectation au budget de la RTVE d’une partie des taxes payées pour l’utilisation des fréquences par les télévisions, les radios et les opérateurs de télécommunications.
Sources :
- « Madrid ouvre la porte aux concentrations dans les chaînes de télévision », G.S., Les Echos, 24 février 2009.
- « Espagne : mesures urgentes favorisant le passage au tout numérique », Flash NPA, 18 mars 2009.
- « Espagne : Zapatero annonce une réduction de la publicité sur la TV publique », AFP, tv5.org, 14 avril 2009.
- « L’Espagne va réduire « drastiquement » la publicité sur les chaînes publiques », G.P., Les Echos, 15 avril 2009.
- « Espagne : la télé privée Antena 3 disposée à fusionner, mais sans urgence », AFP, tv5.org, 16 avril 2009.
- « La télévision publique espagnole se prépare à la suppression de la publicité », Jean-Jacques Bozonnet, Le Monde, 2 mai 2009.