Le régulateur britannique freine les ambitions d’ITV et de BSkyB, relançant ainsi le débat européen sur l’accès aux images des événements sportifs

Le régulateur britannique a décidé de ne pas modifier les contraintes pesant sur ITV pour la commercialisation des spots publicitaires. Il a également obligé BSkyB à diminuer sa participation dans ITV et à vendre à ses concurrents à des prix attrayants l’accès à ses chaînes sportives payantes. Si elles favorisent la concurrence entre les chaînes privées, ces mesures pourraient cependant entraîner une désaffection pour les droits sportifs et conduire la Premier League britannique à lancer sa propre chaîne de télévision, une solution envisagée dans plusieurs pays européens par les fédérations de football.

Alors qu’ITV, la première chaîne privée en clair du Royaume-Uni, militait pour une remise à plat du système de Contract rights renewal (CRR) qui permet aux annonceurs d’exiger des remises automatiques dès que l’audience de la chaîne baisse, la Competition Commission britannique a écarté le 12 mai 2010 toute modification du dispositif mis en place à la suite de la fusion de Carlton et Granada en 2003 pour donner naissance à ITV (voir le n°2-3 de La revue européenne des médias, printemps-été 2007).Selon Diana Guy, présidente du CRR Review Group, ITV1 reste un passage obligé pour les annonceurs malgré la montée en puissance des chaînes numériques. De ce point de vue, les raisons qui avaient poussé à la mise en place du CCR restent inchangées, à savoir la protection des annonceurs et des autres acteurs privés de la télévision face à la première chaîne britannique. Cette décision n’arrange pas ITV, qui sort d’une année 2008 difficile et qui a dû mettre en place un plan sévère de réduction des coûts pour renouer avec les bénéfices en 2009 (91 millions de livres de bénéfice net en 2009 contre une perte de 2,56 milliards de livres en 2008, perte liée à des dépréciations d’actifs).

Cette décision pénalise également BSkyB qui, après être entrée dans le capital d’ITV à hauteur de 17,9 % en novembre 2006, vient d’épuiser tous les recours possibles contre la décision rendue publique en janvier 2008 par le ministre de l’Industrie John Huton, décision qui oblige BSkyB à ramener sa participation dans ITV à 7,5 %, sans droit de participation au conseil d’administration (voir le n°6-7 de La revue européenne des médias, printemps-été 2008). Le 21 janvier 2010, BSkyB a en effet perdu son dernier recours en appel et se voit contraint de céder ses parts dans ITV au plus mauvais moment, la valorisation en Bourse de la société par rapport à 2006 ayant été divisée par plus de deux. Les 17,9 % de BSkyB dans ITV, payés 940 millions de livres en 2006, sont désormais estimés aux alentours de 404 millions de livres. L’action ITV remonte toutefois, le nouveau gouvernement conservateur devant lui être plus favorable et le groupe ayant obtenu l’autorisation de lancer non seulement des chaînes en HD mais également ITV1+1, qui propose les programmes d’ITV1 avec une heure de décalage et fait office de télévision de rattrapage.

BSkyB est en outre menacé dans ses activités de télévision payante. Le 31 mars 2010, l’Ofcom, l’autorité britannique de régulation des communications, a rendu une décision dans laquelle il considère que la position dominante de BSkyB dans la diffusion de films et d’événements sportifs nuit à la concurrence, décision qui a conduit l’Ofcom à obliger BSkyB à baisser le prix de revente de ses chaînes sportives Sky Sports 1 et Sky Sports 2 aux autres distributeurs, notamment ses deux principaux concurrents dans la télévision payante, Virgin TV sur le câble et BT Vision sur Internet. L’Ofcom a demandé une baisse de 10 à 20 % sur le prix de vente en gros de ses chaînes pour ramener le prix d’une chaîne à 10,63 livres par mois et par abonné et à 17,14 livres pour les deux chaînes. Bien qu’elle ait fait appel de la décision, BSkyB s’accordait avec l’Ofcom, fin avril 2010, pour proposer à ses concurrents ses deux chaînes sportives. Les chaînes sont proposées à prix réduit aux concurrents de BSkyB dès le 14 mai 2010, ce qui permettra à BT, Top Up TV et Virgin, d’offrir à un moindre coût à leurs clients les images de la nouvelle saison de la Premier League britannique, dont le championnat débute en août 2010.

Pour BskyB, la décision de l’Ofcom atténue l’intérêt stratégique des droits du football pour sa chaîne Sky Sports 1, qui pourra désormais se retrouver à des prix compétitifs dans les bouquets de chaînes de ses concurrents. Alors que BSkyB avait dépensé 1,9 milliard d’euros pour les droits du football britannique lors des enchères en 2006 pour les saisons 2007–2010, la Premier League s’inquiète de voir ses revenus baisser lors de la prochaine vente de ses droits. En effet, en 2006, la concurrence avec Setanta, devenue depuis ESPN, qui s’était emparée pour 600 millions d’euros des droits des matchs les moins prestigieux, avait fait monter les enchères (voir le n°4 de La revue européenne des médias, automne 2007). En étant disponibles partout, les images de la Premier League voient leur attrait diminuer pour BSkyB et ses 9,5 millions d’abonnés, à tel point que Richard Scudamore, le directeur général de la Premier League, a critiqué la décision de l’Ofcom qui va « immensément réduire l’incitation des diffuseurs à investir dans les droits sportifs ». La Premier League envisage désormais de lancer sa propre chaîne sportive pour se prémunir contre une baisse des droits lors des prochaines enchères.

En Europe, la décision de l’Ofcom pourrait annoncer une profonde réorganisation du marché des droits sportifs. En France, où l’arrivée d’Orange sur le marché des droits sportifs a permis à la ligue de football professionnel (LFP) de stabiliser le prix des droits de la Ligue 1, malgré les dépenses moins importantes de Canal+, le gouvernement a préféré, le 3 février 2010, ne pas légiférer sur les exclusivités de transport pour les chaînes sportives d’Orange. Il souhaite ainsi ménager le marché des droits sportifs, Orange menaçant tout simplement de se retirer s’il est obligé de mettre sa chaîne Orange Sport à la disposition de ses concurrents (voir le n°12 de La revue européenne des médias, automne 2009). Reste que les sommes importantes payées par les chaînes pour s’emparer des droits du football semblent de plus en plus menacées et obligent les fédérations à changer de stratégie. A l’instar de la Premier League britannique, la LFP, qui produit désormais les images des matchs de Ligue 1 et de Ligue 2, et envisage de créer sa propre chaîne pour la Ligue 2, si toutefois elle ne parvenait pas à en vendre les droits à un prix suffisant, aucune des propositions reçues concernant l’appel d’offres en cours n’ayant atteint le prix de réserve fixé par la LFP. Aux Pays-Bas, la Ligue de football professionnel a lancé sa propre chaîne Eredivisie Live avec Endemol, en 2009, et compte déjà 500 000 abonnés qui accèdent ainsi aux images de la ligue 1. En Allemagne, la Bundesliga envisage également le lancement de sa propre chaîne de football.

Sources :

  • « Le bouquet satellitaire BSkyB doit réduire sensiblement sa part dans ITV », La Correspondance de la Presse, 22 janvier 2010.
  • Le gouvernement n’envisage pas de légiférer sur les exclusivités dans la télévision payante », Nathalie Silbert, Les Echos, 3 février 2010.
  • « ITV a renoué avec les bénéfices en 2009 », Les Echos, 4 mars 2010.
  • « La Ligue de football réfléchit au lancement de sa propre chaîne », Philippe Bertrand, Les Echos, 29 mars 2010.
  • « BSkyB devra partager ses chaînes foot », C.V. et E.R., Le Figaro, 1er avril 2010.
  • « Le Canal+ britannique contraint de partager ses matchs de foot », Nicolas Madelaine, Les Echos, 1er avril 2010.
  • « La Ligue de football explore de nouvelles voies pour diffuser les matchs », Guy Dutheil, Le Monde, 8 avril 2010.
  • « BSkyB reaches pact with Ofcom on football for rival broadcasters », Alexei Mostrous, Rebecca O’Connor, Times Online, 30 avril 2010.
  • « CC publishes final decision on CRR », Competition Commission, press release, may 12, 2010.

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