Après sa condamnation en France par le tribunal de grande instance de Paris, le 18 décembre 2009 (voir le n°13 de La revue européenne des médias, hiver 2009-2010), le projet Google Books affronte désormais les tribunaux américains. En effet, l’accord revu le 9 novembre 2009 entre Google et l’Association des éditeurs américains (AAP), qui prévoyait notamment de limiter aux pays anglo-saxons les conditions de numérisation et de mise à disposition des livres numériques par Google et précisait les modalités de rémunération des ayants droit, n’a pas été approuvé, le 18 février 2010 par le juge new-yorkais. Celui-ci a repoussé sa décision, estimant que les positions de Google comme celle des plaignants, Amazon, Microsoft et Yahoo! notamment, n’étaient pas suffisamment précises. Cette décision fait suite à l’avis rendu le 4 février 2010 par le ministère américain de la Justice qui considère que le projet d’accord « confère toujours à Google des avantages significatifs et potentiellement anticoncurrentiels ».
Plutôt que de créer « une grande bibliothèque numérique », Google est soupçonné par les plaignants de vouloir ouvrir « un grand magasin », motif jamais avancé dans la plainte initiale et qui relève du procès d’intention sur les agissements à venir de Google. En même temps, l’accord permet à Google de mettre à disposition les ouvrages orphelins, puisque seuls les auteurs faisant jouer la clause d’opt-out sont retirés de Google Books, ce que le juge considère comme suspect. Autant dire que le statu quo entre Google et les éditeurs prévaut sur les conditions de numérisation aux Etats-Unis, en attendant une décision de la justice. Ces incertitudes n’empêchent pas Google de poursuivre son ambitieux programme de numérisation des livres puisque le groupe a déclaré à la justice avoir numérisé 12 millions d’ouvrages le 11 février 2010, deux millions de plus qu’en septembre 2009. Et Google se concentre sur les pays anglo-saxons, pour qui l’accord a été élaboré : sur ces 12 millions d’ouvrages, 10 millions seraient concernés par l’accord. Enfin, près de 7 000 auteurs ont fait jouer la clause d’opt-out le 28 janvier 2010, date prévue par l’accord avec l’APP, au-delà de laquelle Google peut compter sur un accord tacite des autres auteurs. Finalement, au regard du nombre de livres numérisés, la clause d’opt-out ne modifiera pas en profondeur l’offre de Google Books.
A l’incertitude juridique américaine s’ajoutent de nouveaux procès. Après la condamnation française, les éditions Gallimard et Albin Michel se sont déclarées prêtes, le 29 mars 2010, à attaquer à leur tour Google Books en justice faute d’être parvenues à un accord avec Google sur les conditions de mise à disposition des livres numérisés. Le 5 avril 2010, l’American Society of Media Photographers a indiqué à son tour qu’elle comptait porter plainte contre Google Books, les livres numérisés incluant des images protégées. Pour régler ces conflits, Google devra trouver avec les éditeurs un modus vivendi qui permette notamment de garantir le respect des droits d’auteur et la juste rémunération des éditeurs et des auteurs. Si la question est loin d’être réglée pour les œuvres orphelines, dont le fonds de 125 millions de dollars proposé par Google ne satisfait pas la justice américaine, un compromis profitable aux éditeurs et à Google paraît probable dans le droit fil de l’accord signé avec l’AAP.
En effet, Google a annoncé, le 4 mai 2010, qu’il allait lancer aux Etats-Unis, avant la fin juillet, son service Google Editions. Comme l’iBook Store d’Apple, Google Editions prévoit un partage des revenus avec les éditeurs (63 % du prix de vente pour les éditeurs et les auteurs selon l’accord de novembre 2009, contre 70 % sur l’iBook Store). De ce point de vue, Google Books pourrait devenir un puissant outil de marketing qui, en proposant des extraits des livres, rabattrait les clients vers Google Editions au plus grand bénéfice des éditeurs. Cette incursion de Google dans le domaine du payant, alors que ses ressources dépendent pour l’instant essentiellement de la publicité, est peut-être la condition d’un accord avec les éditeurs. Google Editions présente en effet l’avantage, par rapport aux offres d’Apple et d’Amazon, d’être une offre universelle, accessible en ligne sans dépendre d’une application ou d’un terminal en particulier. Reste à Google à convaincre les éditeurs de le suivre dans ce projet.
En ce qui concerne le développement de Google Books, Google a également signé un premier grand accord en Europe qui pourrait ouvrir la voie d’un partenariat public-privé avec les différentes bibliothèques nationales du continent. Le 10 mars 2010, Google a signé un accord avec le ministère italien de la Culture par lequel il s’engage à numériser et à mettre en ligne un million d’ouvrages des bibliothèques de Rome et Florence, publiés avant 1860, c’est-à-dire tombés dans le domaine public. Pour ce premier accord avec un Etat, Google s’est par ailleurs engagé à remettre un exemplaire des fichiers numérisés aux bibliothèques, qui pourront le proposer à d’autres plates-formes, y compris la bibliothèque européenne Europeana (voir le n°9 de La revue européenne des médias, hiver 2008-2009 et le n°13, hiver 2009-2010).
Sources :
- « Edition : Washington inflige un nouveau revers à Google », Nathalie Silbert, Les Echos, 8 février 2010.
- « Et pendant ce temps … Google numérise des livres », Jean-Baptiste Jacquin, La Tribune, 18 février 2010.
- « Google – éditeurs, un accord en suspens », Frédérique Roussel, Libération, 19 février 2010.
- « Numérisation des livres : report de la décision de justice dans l’affaire Google », S.C., Le Monde, 20 février 2010.
- « Thousands of authors reject Google service », Richard Waters, Financial Times, 24 février 2010.
- « Google signe un accord avec l’Italie pour numériser un million d’ouvrages », Philippe Ridet, Le Monde, 12 mars 2010.
- « Gallimard et Albin Michel prêts à attaquer Google », Nathalie Silbert, Les Echos, 31 mars 2010.
- « Photographers to launch case against Google », Maija Palmer, Financial Times, 6 avril 2010.
- « Google va se lancer dans la vente de livres en ligne d’ici à la fin de juillet », N.S., Les Echos, 6 mai 2010.