Google cède du terrain face aux autorités chinoises

Alors que Google avait engagé un bras de fer avec les autorités chinoises sur la censure des résultats de son moteur de recherche, Pékin a saisi l’occasion du renouvellement de la licence du groupe américain pour l’obliger à infléchir sa stratégie. Acculé au compromis, Google a mis fin à la redirection systématique des internautes chinois vers son moteur de recherche hongkongais.

Après la fermeture de son moteur de recherche en Chine le 22 mars 2010 (voir le n°14-15 de La revue européenne des médias, printemps-été 2010), Google a dû renoncer à sa politique intransigeante vis-à-vis des autorités chinoises, auxquelles le groupe américain reproche une intrusion sur ses serveurs et des pratiques de censure – acceptées dans un premier temps – mais sur le fond contraires à la liberté d’expression. En effet, les autorités de Pékin ont profité du renouvellement annuel de la licence d’exploitation de Google pour obliger le groupe à revenir en partie sur sa politique de reroutage systématique des internautes chinois vers la version hongkongaise de son moteur de recherche, dont les résultats ne sont pas censurés.

Alors que les licences dites ICP (Internet Content Provider) sont en général automatiquement renouvelées par le ministère de l’Industrie et de l’Informatique, celle de Google ne l’était pas le jour de son expiration, le 30 juin 2010. Pour l’obtenir, Google a dû s’engager, le 29 juin, à rouvrir son moteur de recherche chinois en proposant, depuis celui-ci, plutôt qu’un accès direct, un lien vers sa version hongkongaise. Trois services sont en revanche accessibles directement depuis google.cn, l’écoute de musique en streaming, un service de commerce en ligne et un outil de traduction. Pour Google, cette concession s’imposait, sauf à se couper du plus important marché en nombre d’internautes (400 millions). Selon David Drummond, responsable juridique de Google, la politique de reroutage était inacceptable pour les autorités, prêtes à mettre fin aux activités du groupe en Chine, malgré la popularité de Google auprès de nombreux internautes chinois. Mais les choix stratégiques de Google en Chine pourraient à l’avenir ternir sa réputation : après le départ d’une partie de ses cadres et d’importants annonceurs, les chiffres d’audience du moteur de recherche font preuve de faiblesse, étant passés de 35,6 % fin 2009 à 30,9 % de part d’audience à la fin du premier trimestre 2010. Inversement, son concurrent chinois, le moteur de recherche Baidu, a vu sa part de marché grimper à 64 % au premier trimestre 2010.

Pour les internautes chinois qui prennent la peine de cliquer depuis google.cn vers le moteur de recherche hongkongais, la censure perdure, organisée par le gouvernement : des pare-feu empêchent d’ouvrir certains liens et d’accéder à certains sites. Pour David Drummond, ce changement de tactique en Chine permet à Google de « rester fidèle à [son] engagement de ne pas censurer les résultats obtenus sur google.cn ».

Si ce rebondissement dans les relations entre Google et les autorités chinoises témoigne des difficultés des entreprises occidentales sur un marché opaque, où la liberté d’expression et le libre marché sont à dimension variable, il reste que l’affaire aura permis à Google, contre toute attente, d’en profiter pour nuire au système d’exploitation Windows de son concurrent Microsoft. En effet, dans l’enquête interne sur les attaques chinoises de décembre 2009 contre les serveurs de Google, le groupe a identifié que la faille venait de l’un de ses employés utilisant Windows et le navigateur Internet Explorer de Microsoft. Google a donc recommandé dès janvier 2010 à l’ensemble de ses employés – soit 10 000 personnes dans le monde – d’abandonner le système d’exploitation Windows au profit du MacOS d’Apple ou de Linux. Windows comporterait des failles de sécurité, une information qui n’arrange pas Microsoft, lequel s’oppose à Google sur le marché de la recherche en ligne avec Bing, sur les systèmes d’exploitation mobile où Windows fait face à Android, sur le marché bureautique, sur celui des navigateurs, etc.

Sources :

  • « Les dessous de l’attaque contre Google révélés », N. Ra., Les Echos, 21 avril 2010.
  • « Windows banni des ordinateurs chez Google », Valérie Collet, Le Figaro, 2 juin 2010.
  • « Censure : Google recule face à Pékin pour garder sa licence en Chine », AFP, 29 juin 2010.
  • « Google commence à céder face à la Chine », G. de C., La Tribune, 30 juin 2010.
  • « Google décide d’arrêter la redirection de son site chinois vers la version de Hong-Kong qui permettait d’échapper à la censure », La Correspondance de la Presse, 30 juin 2010.
  • « Google change de stratégie face à la censure chinoise », Sandrine Cassini, La Tribune, 30 juin 2010.
  • « Le sort de Google suspendu au renouvellement de sa licence en Chine », Laurence Girard, Le Monde, 1er juillet 2010.
  • « Google trouve un compromis avec Pékin », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 11 juillet 2010.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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