Déclarant « s’engager dans une logique forte de soutien à la création », le groupe internet Google, chantre du tout-gratuit, accepte non seulement de déprogrammer les œuvres postées illégalement sur sa plate-forme vidéo YouTube mais également d’en partager les revenus publicitaires avec les ayants droit, afin d’en collecter davantage, grâce à la promotion de contenus légaux.
Tandis qu’aux Etats-Unis le procès engagé en 2007 par Viacom à l’encontre de YouTube reprend, à la faveur d’une procédure d’appel (annoncée par le groupe de médias le 3 décembre 2010 de la décision prise par un tribunal américain en juin 2010) l’ayant débouté (voir le n°16 de La revue européenne des médias, automne 2010), Google poursuit sa politique de conciliation dans ses relations avec les auteurs.
Après l’aboutissement des premières négociations avec la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) en septembre 2010 (voir le n°16 de La revue européenne des médias, automne 2010), un accord a enfin été passé, en novembre 2010, avec la SACD (Société des auteurs et compositeurs dramatiques), la SCAM (Société civile des auteurs multimédias) et l’ADAGP (Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques). La confidentialité des modalités des versements a été respectée, comme précédemment avec la Sacem. Néanmoins, ces derniers devraient être calculés sur la base des recettes publicitaires collectées par Google sur YouTube, sur le modèle de l’accord passé en 2008 avec le site de partage de vidéos français Dailymotion, lequel reverse désormais 5 % de son chiffre d’affaires aux sociétés de gestion collective des droits d’auteur. Si le chiffre d’affaires mondial de YouTube est évalué à près d’un milliard de dollars en 2010, la somme reversée aux sociétés d’auteurs serait légèrement inférieure à 10 % des revenus du site en France. L’accord porte sur la période allant de juin 2007, date de lance- ment de YouTube en France, jusqu’en 2013. Google offre également la possibilité aux auteurs de toucher une partie des revenus publicitaires générés par la vente de l’audience de leurs vidéos aux annonceurs. Du côté des auteurs, la mise en œuvre de cet accord pourrait durer environ un an. En effet, tout ne semble pas se régler rapidement, puisque les ayants droit se plaignent de n’avoir rien perçu depuis les premiers accords signés entre les plates-formes vidéo et les sociétés de gestion collective des droits d’auteur.
Les chiffres annoncés par Google sont vertigineux. Avec une accélération du nombre de vidéos mises en ligne depuis le début de l’année 2010 et son doublement au cours des deux dernières années, YouTube dénombre quelque 35 heures de vidéos postées par minute en novembre 2010. La plate-forme a d’ailleurs invité ses 500 millions d’utilisateurs mensuels dans le monde à faire plus encore en diffusant jusqu’à 48 heures de vidéos par minute, le cap de l’équivalent d’une journée (24 heures) de vidéos par minute ayant été franchi en mars 2010. Selon Hunter Walk, directeur de la gestion de produit de YouTube, à raison de 50 400 heures de vidéos mises en ligne par jour, la plate-forme diffuse plus de programmes en 30 jours que trois grandes chaînes de télévision émettant 365 jours par an et 24 heures sur 24 depuis 60 ans.
Plus de deux milliards de vidéos sont visionnées chaque jour sur YouTube, parmi lesquelles une grande majorité de créations d’amateurs au format court et de qualité passablement médiocre. En acceptant de rémunérer des contenus professionnels, Google, dont l’essentiel du chiffre d’affaires provient des annonceurs, pourra leur proposer en toute légalité des contenus au format long et de qualité, susceptibles par conséquent de générer une audience haut de gamme. D’autant plus que le visionnage de vidéos rémunérées par la publicité a augmenté de 50 % en un an, soit 2,5 milliards de contenus par semaine en octobre 2010.
Selon cette nouvelle stratégie « payante », Google a passé des accords avec certaines chaînes de télévision dont les programmes sont en libre accès sur YouTube, comme Channel 4 au Royaume-Uni, France 24 et Arte en France.
Pour parfaire sa nouvelle politique d’entente avec les sociétés d’auteurs, le groupe Google s’est engagé à lutter contre le piratage sur Internet. En décembre 2010, quatre mesures ont été annoncées sur un blog de Google pour accroître la protection des droits d’auteur sur ses sites. Elles devraient prendre effet dans les prochains mois. Première mesure : réduire à moins de 24 heures le temps de réponse nécessaire à l’exécution des demandes de retrait des contenus illégalement postés, grâce notamment à des outils permettant de mieux les signaler. Jusqu’ici, les ayants droit se plaignaient d’un temps de latence trop long. Deuxième mesure : rendre les contenus légaux plus directement accessibles dans les pages de résultats en améliorant leur indexation par le moteur de recherche. Troisième mesure : supprimer de son option de saisie automatique des requêtes les termes qui sont liés au piratage des œuvres protégées par le droit d’auteur (Torrent, Megaupload…). Enfin, quatrième mesure : améliorer le repérage, notamment avec l’aide des ayants droit, des sites pirates clients d’AdSense, la régie publicitaire de Google, afin de fermer leur compte.
Début décembre 2010, les organisations représentatives des producteurs de cinéma et de télévision ont manifesté leur mécontentement pour avoir été tenues à l’écart des négociations entre les auteurs et Google. La Société civile des auteurs réalisateurs producteurs (ARP), le Syndicat des producteurs indépendants (SPI), l’Union des producteurs de films (UPF) ainsi que la Confédération des producteurs audiovisuels (CPA rassemblant 200 adhérents des syndicats SPECT, SPFA et USPA) ont rappelé dans un communiqué qu’en tant que producteurs, ils sont les cessionnaires exclusifs des droits d’exploitation des œuvres, comme il est stipulé dans les contrats qu’ils concluent avec les auteurs et conformément aux dispositions légales. Selon la CPA, les accords annoncés ne peuvent s’appliquer, le cas échéant, qu’aux seuls programmes que Google aurait été autorisé à diffuser par le producteur, et sous réserve que les contrats d’auteurs afférents stipulent une rémunération directe des auteurs selon ce type d’exploitation. En tant que titulaires du droit d’autoriser ou d’interdire l’exploitation de leurs œuvres, les producteurs demandent que cet accord leur soit communiqué dans les plus brefs délais : « N’ayant nullement été contactés par Google préalablement à la signature de cet accord, ils entendent faire toutes réserves sur les suites à lui donner ».
Les producteurs cinématographiques et audiovisuels s’inquiètent particulièrement du contenu de cet accord qui pourrait concerner la vidéo à la demande (voir infra). Les sociétés de gestion collective des droits d’auteur signataires auraient ainsi indiqué à leurs membres qu’une rémunération leur serait versée lorsque des distributeurs ou des producteurs exploiteront leurs œuvres sur YouTube. La CPA dénonce « la confusion entretenue par certaines sociétés d’auteurs entre un mécanisme d’organisation de la rémunération des auteurs et une licitation collective », laquelle aurait pour conséquence « de mettre en péril toute l’économie du financement de la production de tous les programmes audiovisuels, en compromettant notamment les exclusivités accordées aux diffuseurs ayant permis ce financement… ». Pour conclure et suivant le titre du communiqué du CPA daté du 6 décembre 2010, « Accords entre YouTube et les sociétés d’auteurs : rien n’est réglé ! ».
Le 15 décembre 2010, le tribunal de grande instance de Créteil a condamné YouTube à payer 150 000 euros d’amende « pour contrefaçon » à la suite d’une plainte de l’Institut national de l’audiovisuel (INA). « La société YouTube a diffusé sur son site des contenus INA sans l’accord de ce dernier et n’a pas mis en place un dispositif empêchant leur remise en ligne. Par ailleurs, le tribunal fait injonction à YouTube d’installer sur son site un système de filtrage efficace et immédiat des vidéos dont la diffusion a été ou sera constatée par l’INA », indique le communiqué de l’INA. L’affaire remonte à la fin 2006 et porte sur 3 000 contenus signalés par l’INA à YouTube, principalement des émissions de variété. A cette époque YouTube ne proposait pas encore la technologie Content ID permettant d’identifier facilement les contenus protégés afin de les retirer. L’INA est propriétaire d’une technologie concurrente Signature, utilisée notamment par le site de partage vidéo français Dailymotion.
Sources :
- « YouTube : chaque minute, 35 heures de vidéo sont mises en ligne », AFP, tv5.org, 11 novembre 2010.
- « YouTube signe avec trois sociétés de droits d’auteur », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 26 novembre 2010.
- « YouTube normalise ses relations avec les auteurs », Nicolas Rauline, Les Echos, 26-27 novembre 2010.
- « Google veut se refaire une image auprès des ayants droit », Benoît Méli, journaldunet.com, 3 décembre 2010.
- « Piratage sur YouTube : Viacom fait appel », Baptiste Rubat du Mérac, journaldunet.com, 6 décembre 2010.
- « Accords entre YouTube et les sociétés d’auteurs : rien n’est réglé ! », communiqué de presse de la CPA, uspa.fr, 6 décembre 2010.
- « Accord entre YouTube et les auteurs : les producteurs de cinéma protestent », AFP, tv5.org, 7 décembre 2010.
- « YouTube condamné à verser 150 000 euros à l’INA », Alexandre Hervaud, ecrans.fr, 16 décembre 2010.