Le numérique « réinitialise » la presse

1. Remise en cause des fondamentaux
2. Paris économiques numériques
3. Génération de l’instantanéité
4. Breaking News versus Op-Ed

Pour la presse d’information, c’est déjà demain. Remise en cause des « fondamentaux », bouleversements technologiques, attentes nouvelles du lectorat : il ne suffit plus cette fois pour les éditeurs d’ajuster les paramètres à la énième phase d’une crise qui perdure depuis des décennies. La presse d’information fait sa révolution numérique à marche forcée, gérant les acquis tout en basculant définitivement sur le Web 2.0.

En cet hiver 2011-2012, de nombreux événements illustrent la tourmente dans laquelle la presse d’information est entraînée. Pour preuve, la multitude de rencontres et de colloques1,2,3 invitant journalistes, éditeurs, chercheurs et universitaires à se pencher sur son avenir. Quinze ans après le lancement grand public d’Internet, des journaux imprimés disparaissent tandis que de nouveaux pure players se lancent.

Deux quotidiens nationaux français, France Soir et La Tribune, cessent de paraître en version imprimée. Le premier, généraliste, fleuron de la presse au tournant des années 1960 avec une diffusion millionnaire et le second, né en 1985, spécialisé en économie et finance, ont tous les deux changé maintes fois de propriétaire. Le numérique sera peut-être leur planche de salut. Du côté de la presse quotidienne régionale, la dernière vague de concentration, en 2010, (voir La REM n°17, p.70), a entraîné des plans de réduction d’effectifs et la crainte de dépôts de bilan.

Dans le même temps, les initiatives se multiplient sur le Net. La plus attendue est assurément le lancement en janvier 2012 de la version française du site Huffington Post (voir REM n°17, p.54), détenue par l’américain AOL (51 %), Le Monde Interactif (34 %) et Les Nouvelles Editions Indépendantes dirigées par Matthieu Pigasse (15 %), entraînant la disparition du site LePost.fr. En Europe, présent au Royaume-Uni depuis juillet 2011, le HuffPo sera lancé en Espagne en mars 2012 en collaboration avec El País, en Italie en avril 2012 grâce à un partenariat avec L’Espresso, éditeur notamment de La Repubblica. D’autres lancements suivront en Allemagne, au Brésil, en Turquie puis en Grèce. La version américaine du HuffPo revendique 37 millions de visiteurs uniques par mois, la version britannique 3,8 millions. En France, trois nouveaux médias d’information en ligne ont été lancés au même moment, fin 2011 : le site de débats Newsring, le site participatif Quoi.info et la plate-forme d’information en temps réel, France TV Info, du groupe France Télévisons, accessible en version mobile et en version web.

Étudier le marché de la presse quotidienne en France équivaut depuis des lustres à constater des coûts de fabrication (notamment la hausse récurrente du prix du papier) et des coûts de distribution trop élevés face au déclin continu des recettes de ventes de moins en moins compensées par celles émanant de la publicité. Le prix de vente du journal n’a jamais couvert son prix de revient, les recettes publicitaires comblant le manque à gagner. La plupart des maux dont souffre la presse écrite quotidienne, – manque de ressources, surcoûts de fabrication dus notamment à des acquis syndicaux historiques, défaut de crédibilité, concurrence des autres médias, – ne sont pas nés avec Internet. Selon les enquêtes sur les pratiques culturelles des Français conduites par le ministère de la culture depuis le début des années 1970, la lecture des journaux n’a cessé de reculer. En 1973, 55 % des Français déclaraient lire un quotidien tous les jours ou presque, ils étaient 46 % en 1981, 43 % en 1988, 36 % en 1997 et 29 % en 2008. En outre, la presse quotidienne perd des lecteurs d’une génération à l’autre et son lectorat est vieillissant (voir supra). Pourtant, aujourd’hui comme hier, le prix facial des journaux reste la principale variable d’ajustement à la crise. Justifiant le nécessaire maintien de leur qualité rédactionnelle, Le Figaro et Libération annoncent une augmentation de leur prix de vente de 1,40 à 1,50 euro en janvier 2012, s’alignant ainsi sur leurs concurrents Le Monde, Les Echos et La Tribune, lesquels avaient déjà franchi ce cap depuis 2010. Dans le même temps, La Croix passe de 1,30 à 1,40 euro et Le Parisien, le moins cher, augmente de 1 euro à 1,05 euro.

L’érosion continue de la diffusion des quotidiens en France, -13 % depuis 2000 selon l’OJD et la crise économique entraînant un manque de recettes publicitaires, -8,6 % en 2009 et à peine +1 % en 2010 selon l’IREP, ont eu raison du modèle de gestion de la presse quotidienne, au moment même où l’information gratuite domine sur Internet.

En portant les difficultés de la presse à leur paroxysme, le numérique s’apparente à un ultimatum pour les professionnels de la presse quotidienne qui n’ont pas d’autre choix que de reconnaître que la gestion de crise menée ces dernières décennies doit faire place à une restructuration radicale de leurs entreprises. Pas plus que la radio ou la télévision n’ont tué les journaux, pas plus que la vidéo n’a définitivement remplacé le film en salle, Internet ne condamne pas la presse écrite à une mort certaine ; il ouvre au contraire de nouvelles perspectives à cette industrie vieillissante à la production quelque peu ronronnante. Le passage de l’ancien au nouveau monde est risqué, d’autant que l’équation d’avenir reste à trouver, notamment pour les quotidiens généralistes.

Deux points semblent mettre tout le monde d’accord. Le premier : l’information étant un des piliers du débat démocratique, la presse quotidienne nationale est un acteur incontournable de la diffusion de l’information. Le second : personne n’a encore trouvé la martingale numérique. A la question de savoir comment Internet relancera la presse, il n’y a assurément pas qu’une seule réponse. Pour le directeur du quotidien Libération, Nicolas Demorand1, « La valeur économique de l’information met en danger sa valeur symbolique, démocratique. […] Il faut réfléchir à une nouvelle redéfinition des outils législatifs et théoriques nous permettant de faire au mieux notre métier ».

La crise structurelle de la presse quotidienne appartiendra bientôt au passé, en tout cas telle qu’elle est vécue depuis des décennies et aujourd’hui encore. « Le modèle des grands journaux de 1945 est en bout de course » selon Patrick de Saint-Exupéry1, ex-grand reporter au Figaro et éditeur de la revue XXI. Le numérique pousse les entreprises de presse traditionnelles à bouleverser, voire à abandonner, à terme, les structures et les modèles qui les ont façonnées depuis longtemps. Ce que les gestionnaires appellent de leurs vœux depuis longtemps, Internet l’a fait : revoir et redéfinir les fondements de l’économie de la presse, certains datant de l’après-guerre.

 

 

1. Remise en cause des fondamentaux

Haut de la page

Le dispositif, en partie basé sur le principe de mutualisation, sur lequel repose l’économie de la presse quotidienne d’information est en train de se briser, à tous les niveaux, fourniture de l’information, fabrication et distribution. Internet bat en brèche les présupposés historiques qui fondent l’exception française. Au niveau des rédactions, la mutation numérique en cours se traduit par une véritable métamorphose, tant sur le plan de leur organisation que sur celui de leurs pratiques journalistiques.

Grossistes de l’information et Internet

La crise de la presse et le développement du marché du numérique ont conjointement poussé les grossistes de l’information à élargir leur clientèle. Les grandes agences d’information que sont l’Associated Press (AP), Reuters et l’Agence France-Presse (AFP) se sont ouvertes aux « non-médias », agrégateurs de news, entreprises de télécommunications, banques et autres acteurs devenus à leur tour des diffuseurs d’information. La diversification de leur activité est un enjeu crucial pour les grandes agences. D’un millier auparavant, l’AFP est passée à 5 000 clients aujourd’hui. Plus de 250 sites web français sont abonnés à l’AFP. Alors que la presse quotidienne dans son ensemble constituait traditionnellement 80 % de son chiffre d’affaires, elle n’en apporte plus que 8,5 %. Cette diversification a un impact important sur les contenus. Aux 5 000 dépêches quotidiennes, s’ajoutent plus de 3 000 photos et 150 vidéos diffusées chaque jour, au lieu de 30 auparavant. En outre, la baisse des effectifs des correspondants étrangers dans les rédactions des grands médias par souci d’économie renforce le rôle des agences pour la couverture mondiale de l’information.

Néanmoins, l’AFP n’en demeure pas moins fragilisée, d’une part, par les exigences de réduction des coûts de sa clientèle et, d’autre part, par la remise en cause de son statut, unique en son genre (société de droit privé sans capital), défini par une loi de 1957.

Au cours des cinq dernières années, plusieurs titres de presse quotidienne régionale (Nice Matin, L’Union, Paris Normandie, La Nouvelle République du Centre-Ouest, La Dépêche du Midi, La Provence) avaient décidé d’interrompre leur contrat avec l’AFP afin de réaliser des économies. Ils ont renoué avec l’agence depuis que celle-ci a mis en œuvre une offre mieux adaptée à leur demande, un fil allégé (350 dépêches au lieu de 1 000) baptisé L’Essentiel-PQR.

Une proposition de loi, toujours à l’étude, vise à réformer le mode de gouvernance de l’agence selon lequel les éditeurs de presse, clients de l’agence, sont majoritaires au conseil d’administration, composé de 16 membres, et continuent à fixer les tarifs d’abonnements aux différents services de l’AFP, alors qu’ils ne constituent plus sa principale source de revenus. Le nombre des représentants des médias passerait de 10 à 4 (3 pour la presse, y compris la presse en ligne et 1 pour l’audiovisuel, désigné par le CSA), plus 2 représentants du personnel et 6 personnalités indépendantes qualifiées, dont le PDG de l’agence. Le nombre des représentants de l’Etat, dont les abonnements représentent encore 40 % du chiffre d’affaires de l’agence (280 millions d’euros en 2011), serait maintenu au nombre de 3. Cette nouvelle configuration avec un renforcement du poids de l’Etat dans la gestion de l’AFP risquerait d’entraîner une perte de son indépendance selon certains syndicats, au premier rang desquels le Syndicat général du Livre, FO, Sud et la CGT, majoritaires chez le personnel technique, qui se sont mis en grève en septembre 2011. Par cette réforme, il s’agit avant tout de sécuriser le financement de l’AFP selon son PDG. En effet, à la suite d’une plainte déposée par l’agence de presse allemande DAPD pour atteinte aux règles de la concurrence, l’Etat a dû répondre à une demande d’information de la part de la Commission européenne afin de démontrer que ses abonnements à l’AFP ne constituaient pas une aide illégale mais bien une « mission d’intérêt général ».

En outre, le président de l’AFP, Emmanuel Hoog, n’a pas réussi à convaincre son conseil d’administration de la nécessité de développer une stratégie « B to C », s’agissant de proposer des contenus directement au grand public, projet auquel ses clients, journaux, radios et télévisions, administrateurs sont farouche- ment opposés. Ils s’appuient notamment sur le texte de l’ordonnance du 2 novembre 1945 portant réglementation des agences de presse selon laquelle ces dernières sont « des organismes qui fournissent aux journaux et périodiques des articles » (et non au grand public). Ce texte fait d’ailleurs l’objet d’une révision afin de l’adapter aux mutations techniques et économiques. Il redéfinit les agences de presse comme des « entreprises commerciales » fournissant « à titre professionnel » des éléments d’information ayant fait l’objet « d’un traitement journalistique », les clients médias étant tout aussi bien la presse écrite (y compris les titres non inscrits à la Commission paritaire des publications et agences de presse – CPPAP-), la radio, la télévision que la presse en ligne. Devraient également y être inscrites les missions d’intérêt général de l’AFP afin d’éviter un conflit juridique avec Bruxelles. Pour l’heure, l’AFP propose donc au grand public des contenus exclusivement en langues étrangères, une application iPhone en cinq langues (anglais, allemand, arabe, espagnol, portugais), lancée en janvier 2010 et une autre pour l’iPad en trois langues (anglais, espagnol, portugais), proposant une sélection de textes, vidéos, photos et infographies, avec une partie magazine depuis novembre 2011.

La plupart des agences de presse, nationales ou internationales, sont déjà présentes sur Internet. Reuters développe un fil d’information alimenté par de grandes signatures à destination du grand public. Proposant dix programmes thématiques (politique, finance, technologie…), l’agence Reuters a lancé une chaîne d’information sur YouTube, baptisée Reuters TV, et également accessible depuis le site reuters.com aux 40 millions de visiteurs uniques par mois. Quant à Associated Press, elle a conclu un accord avec les agrégateurs de news, Pulse et Flipboard, en janvier 2012. Néanmoins, ces grandes agences veulent que la primeur des informations soit accordée aux fils et aux services commercialisés. Ainsi, dans le guide d’utilisation des réseaux sociaux rédigé à leur intention, les journalistes ont pour consigne de réserver leurs exclusivités aux « fils » plutôt qu’à Twitter ou à Facebook.

Impression numérique

La crise structurelle dont souffre la presse depuis des décennies s’apparente pour Louis Dreyfus1, président du directoire du groupe Le Monde, à « une catastrophe industrielle » avec « la presse la plus subventionnée, la moins paginée, la moins lue et la plus chère au numéro ». Les pertes cumulées du groupe Le Monde s’élèvent à 280 millions d’euros en dix ans. « La presse est dans deux logiques », selon Patrick de Saint-Exupéry1, cofondateur de la revue XXI, « l’industrialisation et l’artisanat. La logique industrielle s’est renforcée ces dernières années. […] Il y a un glissement de la notion de « titre » à celle de « marque » ».

Président de Ringier France et président de la Compagnie financière de communication, Jean-Clément Texier1 confirme : « Trop d’erreurs de gestion ont été commises. Que ceux qui font de l’information, apprennent à compter et pas seulement à dépenser ». Les actionnaires des groupes de presse ont, selon lui, une part importante de responsabilité : « Les fossoyeurs ce sont eux, ces capitalistes qui recherchent de la vanité plutôt que du profit, qui un contrat, qui une Légion d’honneur. Les industriels de la presse en France ne font pas que du média, contrairement aux Springer et Murdoch qui sont des hommes de presse. Nous avons la seule industrie du luxe qui ne gagne pas d’argent ». Pour le président du groupe Ringier France, il est impossible de s’abstraire des règles économiques alors qu’il faut investir sur de nouveaux fronts technologiques : « Ce qui est important, c’est que les entreprises soient rentables ». Les patrons de presse ne sont pas parvenus à faire évoluer leur entreprise. La généralisation du numérique les somme de procéder à des restructurations d’envergure dans leurs activités d’impression et de distribution des journaux.

Le mauvais exemple du Monde

Le groupe Le Monde, qui compte encore 245 salariés pour son site d’impression en cours de restructuration, contre une centaine au Figaro, 45 au quotidien régional La Montagne et une trentaine au quotidien suisse Le Temps. Avec le groupe Amaury (Le Parisien et L’Equipe), Le Monde est le seul éditeur de presse quotidienne parisienne à posséder encore sa propre imprimerie. Au terme de plusieurs mois de négociations et une série de conflits qui a empêché la sortie du journal, un accord a finalement été signé début décembre 2011 entre la direction et les salariés de LMI (Le Monde Imprimerie) prévoyant de réduire les effectifs à 85 salariés. A la suite du départ de ses clients Direct Matin, Le Journal du Dimanche, The Guardian auxquels s’ajoutera celui des Echos prévu en novembre 2012, l’imprimerie du Monde ne tournera plus qu’avec une seule rotative au lieu de trois, celle-ci devant être modernisée. Si un nouveau plan de charge ne vient pas suppléer le départ des Echos, 70 postes au maximum seront conservés. En outre, le groupe Le Monde revient sur la stratégie de centralisation des lieux d’impression qui primait à la fin des années 1980, choisissant d’imprimer sur place ses exemplaires pour la province, dans les villes de Rennes, Mulhouse, Grenoble, Marseille et Toulouse grâce à des accords en cours avec les groupes Ebra, Ouest France, La Provence et La Dépêche du Midi. En janvier 2012, pour la première fois dans l’histoire du journal, les cadres de l’imprimerie étaient à l’origine d’un nouveau blocage pour désaccord sur la répartition des postes d’encadrement, entraînant à nouveau sa non-parution. En l’absence de restructuration, les pertes d’exploitation de l’imprimerie du Monde auraient plus que triplé passant de 3 millions en 2011 à 10 millions en 2012.

Il aura fallu longtemps aux entreprises de presse quotidienne nationale pour parvenir à abandonner le principe, hérité des années d’après-guerre, selon lequel à chaque journal correspond une imprimerie. Le marché, désormais, est dominé par l’imprimeur Riccobono (voir REM n°20, p.20).

Encore au stade de projet, de nouveaux modes d’impression numérique à jet d’encre (au lieu de l’offset), nécessitant moins de personnel (1 sur 5), sont en cours de développement, afin d’imprimer de petites quantités d’exemplaires de quotidien (3 000 à 4 000 à l’heure contre 75 000). D’un investisse- ment moins élevé (3 millions d’euros contre 8 millions pour un équipement offset), ces nouvelles rotatives numériques sont destinées à imprimer les quotidiens dans des zones géographiques, notamment insulaires, pour lesquelles le transport aérien est particulièrement onéreux. Le quotidien Le Monde est déjà distribué ainsi sur l’île de La Réunion, dans les mêmes délais qu’à Paris. En 2012, le procédé devrait être testé en Corse où la diffusion totale des quotidiens nationaux s’établit en moyenne à 12 000 exemplaires par jour (hors période estivale). Afin d’ajuster l’offre à la demande, des centres locaux d’impression numérique remplaceront peut-être progressivement les « cathédrales », ces équipements industriels surdimensionnés dont les quotidiens s’étaient dotés.

Impression à la demande

La société Rivet Presse Edition (RPE) projette les journaux encore plus loin dans l’avenir en ouvrant, fin 2012, la première installation d’impression numérique de la presse quotidienne équipée d’un procédé inédit baptisé SyNAPse (Système numérique appliqué à la presse et aux solutions d’édition) pour un investissement total de 10 millions d’euros. En collaboration avec le quotidien régional L’Echo édité à Limoges, RPE prévoit d’imprimer un maximum de 40 000 exemplaires, soit la quantité de quotidiens nationaux et régionaux distribués dans sa région, à l’ouest du Massif central. Outre l’impression numérique et la quadrichromie, RPE ambitionne de proposer « un nouveau modèle économique éditorial » en implantant un centre d’impression au cœur de la zone de distribution des quotidiens afin de repousser le délai de bouclage des éditions et réduire les coûts de 15 %. Mais la nouveauté réside surtout dans un système d’impression à la demande, créant ainsi « le premier quotidien à contenu variable qui ressemblera à son lecteur », les abonnés ayant la possibilité de personnaliser leur journal en sélectionnant leurs rubriques et les éditeurs, le cas échéant, d’affiner leurs éditions locales. Aucun partenariat n’est encore conclu avec les éditeurs mais les négociations sont engagées avec le Syndicat de la presse quotidienne nationale. Futuriste, l’idée du modèle de presse à la demande (PAD) n’est pas nouvelle mais elle pourrait faire son chemin. Océ, filiale du groupe Canon, spécialisée dans l’impression numérique et partenaire du projet, est également à l’origine du lancement de Niiu, journal à la carte créé en 2009 à Berlin (voir REM n°13, p.19), interrompu depuis.

L’impression à la demande a déjà séduit le marché du livre, elle pourrait conquérir un jour celui de la presse quotidienne. Nommé aux Trophées de l’innovation du salon professionnel La Presse au Futur3, le trimestriel Otograff a été lancé sur cette même idée en septembre 2011. Ce news magazine haut de gamme se définit comme « interactif » et « sur-mesure ». Il comporte une partie fixe avec des articles de fond et une partie variable composée par l’internaute lui-même en sélectionnant sur le site du magazine les articles qui l’intéressent. Distribué par abonnement postal au prix de 15 euros, Otograff est doté d’un budget de 100 000 euros avec des subventions à l’innovation et son seuil de rentabilité est fixé à 9 000 exemplaires.

La révolution en cours de la presse quotidienne d’information réside donc aussi dans un changement radical de stratégie : les éditeurs ne sont plus des imprimeurs.

Distribution : messageries de presse contre tablettes

Au cours d’un débat au salon « La Presse au Futur »3, la polémique semble presque appartenir à un autre âge. A l’heure des tablettes et des réseaux sociaux, la concurrence bat son plein entre les différentes messageries, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) et Presstalis (ex-NMPP -Nouvelles messageries de la presse parisienne- rebaptisées en 2010) qui se disputent au sujet de la distribution de la presse quotidienne nationale, catégorie la plus coûteuse à servir.

Depuis toujours, la presse quotidienne régionale fait cavalier seul en matière de distribution ; les journaux édités à Paris sont clients des ex-NMPP, gérant de la distribution de 80 % de la presse en France, environ 3 500 titres français et étrangers ; tandis que les MLP distribuent exclusivement des magazines, détenant 20 % du marché. Le système base sur cette répartition des rôles jusque-là bien rodée se trouve bouleversé par les impératifs économiques. Là encore, les conséquences de l’arrivée d’Internet sur l’économie de la presse provoquent une véritable révolution, jusque-là bien contenue, après plus d’un demi-siècle de règne des ex-NMPP sur la distribution des quotidiens. Né du système coopératif voulu par la loi Bichet datant du 2 avril 1947, le principe de péréquation selon lequel les journaux à faible diffusion bénéficient des mêmes tarifs que ceux à large diffusion, est mis à mal. Au cours de l’année 2011, les signes d’un bouleversement sans précédent du secteur se sont multipliés.

A commencer par le désengagement de l’opérateur historique des ex-NMPP/Presstalis, le groupe Lagardère, qui a cédé pour un euro symbolique les 49 % de parts dans la structure coopérative qu’il avait accepté de recapitaliser à hauteur de 42,5 millions d’euros un an plus tôt. Du statut de société anonyme (SA), Presstalis devient une société par actions simplifiée (SAS), détenue par deux coopératives, contre cinq auparavant, une pour les magazines avec 75 % des parts et une autre pour les quotidiens, avec 25 %, répartition faite au prorata du chiffre d’affaires de leurs ventes au numéro. Largement déficitaire, la société Presstalis connaît un avenir incertain.

Promulguée en juillet 2011, une loi modifie pour la première fois le cadre instauré par la loi Bichet, réformant notamment l’instance de régulation des messageries de presse, le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP), dans sa composition et ses missions et instituant une deuxième instance baptisée Autorité de régulation de la distribution de la presse (ARDP), indépendante du CSMP et composée de trois magistrats (Conseil d’Etat, Cour de Cassation, Cour des comptes) ayant compétence pour régler les différends. Et ceux-ci, sans nul doute, ne manqueront pas.

En effet, le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN) étudie la possibilité de quitter un jour Presstalis pour confier sa distribution à la presse quotidienne régionale. Si les éditeurs de presse quotidienne nationale ont finalement entériné, en novembre 2011, la décision de rester clients de Presstalis, des tests de faisabilité logistique ont quand même été menés. Mais l’affaire ne s’arrête pas là.

Ces dernières années, de nombreux magazines, notamment des titres appartenant au groupe Mondadori, ont abandonné Presstalis au profit des MLP aux tarifs plus attractifs. Le phénomène devrait se poursuivre.

Principe de péréquation entre messageries

En janvier 2012, la toute nouvelle Autorité de régulation de la distribution a invalidé une décision du Conseil supérieur des messageries rendue en décembre 2011 de geler pour neuf mois le transfert d’une messagerie à l’autre à la suite de la décision de l’hebdomadaire Le Point, le mensuel Marie Claire et du groupe Mondadori, avec ses titres Grazia, Biba et Top Santé, de passer aux MLP. Selon l’Autorité de régulation, le gel du transfert « apporte des restrictions graves à la liberté contractuelle de l’ensemble des éditeurs de presse » et « restreint la libre concurrence ». Néanmoins, dans sa décision de décembre 2011, le Conseil supérieur des messageries de presse a également plaidé pour la mise en œuvre d’un système de péréquation étendu à l’ensemble des messageries de presse afin de pérenniser le financement de la distribution de la presse quotidienne nationale, à l’origine des pertes financières de Presstalis. Ce principe a été approuvé par l’Autorité de régulation. Ne distribuant pas de quotidiens et n’appliquant donc pas de prix de péréquation, les MLP, quant à elles, s’opposent à un éventuel partage des charges afférentes aux quotidiens avec sa concurrente Presstalis, qui proposera son plan de financement en février 2012. En revanche, les MLP se sont déclarées disposer à distribuer aussi des quotidiens nationaux.

La guerre des messageries est donc déclarée en ce début d’année 2012. Les menaces qui pèsent sur Presstalis pourraient avoir des répercussions sur l’ensemble du secteur de la presse et notamment, sur les mécanismes d’aide sur lesquels il s’appuie fortement. Une crise latente que le recul de la diffusion, suivi de l’impact du numérique sur les quotidiens, ont fini par faire éclater, avec en toile de fond la fin présumée des principes de solidarité qui fondent le système.

De solidarité, à l’ère du numérique, il n’en est pas question en matière de distribution, si l’on s’en réfère aux conditions offertes par les acteurs d’Internet devenus les nouveaux distributeurs de presse. Le principe instauré par la loi de 1947 d’une rigoureuse égalité de traitement des titres de presse au bénéfice de tous n’a pas son équivalent sur Internet, où dominent les règles du libre marché au profit des opérateurs numériques.

S’il est un domaine dans lequel le numérique n’a pas encore supplanté le réel, c’est bien celui des kiosques à journaux, leurs avatars étant loin de compenser la diminution du nombre de points de vente en France. Des kiosques numériques, Relay.com ou Lekiosque.fr ont été lancés en 2008, avec une offre essentiellement magazine, quelque 500 titres grand public et des quotidiens turfistes ou étrangers, au format numérique. Outre la fonction de bibliothèque permettant de stocker ses achats de presse, l’ergonomie de ces plates-formes de vente n’est en rien comparable avec celle offerte désormais par les tablettes numériques. Avec tout juste 1 % de part de marché, ces kiosques numériques ont vu leurs ventes décupler depuis qu’ils ont lancé leur application sur tablette. Le nombre de magazines téléchargés sur Relay.com est passé de 80 000 en juillet 2010 à 250 000 en juillet 2011. Avec sa présentation en 3D, l’application iPad lancée en janvier 2011 par Lekiosque.fr a fait l’objet de 130 000 téléchargements en huit mois, soit par une personne sur cinq détentrices d’une tablette d’Apple en France. En outre, en plus de la vente au numéro ou par abonnement, ces kiosques numériques innovent en proposant un forfait multi-titres pour 9,90 euros par mois. Un mode de distribution qui n’est pas tout bénéfice pour les éditeurs avec des commissions de 40 à 50 % sur des prix de vente déjà réduits de 30 à 50 %. L’arrivée des tablettes relance la distribution numérique.

Dès lors, les principaux concurrents des éditeurs de journaux sur Internet n’appartiennent pas au marché de l’information. Ils vendent notamment des logiciels et du matériel électronique. Ce sont des moteurs de recherche, des agrégateurs ou des fabricants de matériel électronique qui viennent peu à peu s’intercaler entre la presse et ses lecteurs en proposant de nouveaux usages. Face à eux, les entreprises de presse peinent à faire valoir leurs droits sur les conditions d’exploitation de leurs contenus et sur le partage des revenus. Après avoir bataillé pendant des années contre l’utilisation sauvage de leurs articles par le moteur de recherche Google (voir REM n°18-19, p.10), les éditeurs espéraient trouver une nouvelle planche de salut avec les tablettes numériques, au premier rang desquelles l’appareil haut de gamme d’Apple, l’iPad. Sélection à l’entrée, prix imposés, mode de paiement exclusif, interdiction de vendre des abonnements web à partir d’une application, exploitation sous contrat des fichiers clients et enfin censure de certains contenus : le tout pour une commission de 30 % prélevée sur chaque transaction, voici le cocktail d’exigences qu’Apple impose aux éditeurs pour les distribuer dans sa boutique en ligne App Store. Si la plupart des éditeurs se plient sans discussion à la politique commerciale d’Apple ou encore s’en accommodent en lui confiant exclusivement la vente au numéro et non les abonnements, plus rares sont ceux qui s’y sont fermement opposés en misant sur une autre technologie, à l’instar du Financial Times (voir infra).

En France, les éditeurs enterrent à cette occasion la hache de guerre avec Google. Le groupement d’intérêt économique (GIE), ePresse Premium associant cinq quotidiens et trois news magazines, qui a lancé en juin 2010 un kiosque numérique, certes à l’offre restreinte, sur iPhone et iPad, a annoncé en novembre 2011 un partenariat avec Google afin d’utiliser son système de paiement One Pass, avec des conditions de commercialisation nettement moins drastiques que celles d’Apple, à commencer par un prélèvement trois fois moins élevé (voir supra). La résistance s’organise, en attendant que le marché s’ouvre à la concurrence grâce au lancement de nouvelles tablettes par d’autres constructeurs fonctionnant notamment avec le système d’exploitation Android, ouvert aux développeurs. Le distributeur Amazon commercialisera prochainement en France son Kindle Fire avec un écran tactile en couleur à un prix inférieur de 60 % à celui de l’iPad. Sans interopérabilité des systèmes, c’est encore une fois le consommateur qui se retrouvera « pieds et poings liés ». Néanmoins, quelles que soient les évolutions à venir de la distribution de la presse au format numérique, ce secteur restera dominé par les géants américains d’Internet, Facebook venant d’y faire son entrée (voir infra). La loi Bichet de 1947 et son principe d’indépendance vont entrer dans l’histoire, à moins qu’une politique d’accompagnement des pouvoirs publics ne permette de transposer à cette période de mutation numérique, les idéaux d’après-guerre.

Rédaction centrée sur l’utilisateur (user-centric)

Ce sont dans les rédactions que l’impact du passage de l’ancien au nouveau monde se fait encore davantage sentir : « Web first » et rédaction 2.0.

« Web first »

Souvent plus par obligation que par choix, les rédactions se plient à la logique bimédia. L’intégration des rédactions print et web est un phénomène très récent en France et il se généralise lentement, loin de faire l’unanimité au sein de la communauté journalistique. Le Figaro, Le Monde, 20 Minutes ont franchi le pas en 2011 seulement. Les journaux anglo-saxons ont parié plus rapidement sur une nouvelle organisation de la rédaction à l’instar des pionniers, The New York Times et The Daily Telegraph, sans oublier le modèle de la rédaction du futur promu par le groupe suisse Ringier au sein du quotidien Blick (voir REM n°17, p.54).

 Bimédia

Au Monde, le passage à une rédaction bimédia est prévu de se faire progressivement. A l’occasion des élections présidentielles, une newsroom d’une cinquantaine des personnes est mise en place associant les services politiques du quotidien et du site web que viennent renforcer une cellule d’investigation et le service société. Le travail de cette newsroom empruntera toutes les formes d’expression journalistique, du tweet à la double page papier, la vidéo, le data journalisme (journalisme de données), le temps réel, le web documentaire, le serious game, un décrypteur de discours politiques, etc. S’ajoute un projet baptisé « L’Année en France » sur les Français et la politique, à partir de huit blogs tenus par des journalistes envoyés aux quatre coins du pays. Une offre publicitaire ad hoc est proposée aux annonceurs. Selon une stratégie web first, priorité au Web, souhaitée par la direction, cette première expérience de fusion des rédactions devrait être étendue aux autres services du journal.

A Libération, un « hub politique » travaillant à la fois pour le journal et pour le Web a été spécialement mis en place pour suivre les élections présidentielles.

Au Figaro, la rédaction web composée d’une cinquantaine de journalistes, sans être démantelée, a déménagé pour s’installer au centre de la rédaction papier qui en compte 250. La stratégie bimédia passe ici par la volonté de rendre systématique la collaboration des uns avec les autres et de faire que chacun puisse s’initier aux nouvelles technologies. Les différences de statut ont été harmonisées.

A La Croix, l’expérimentation du bimédia est en cours depuis le second semestre 2011. Les journalistes sont appelés à travailler d’abord pour le Web, plutôt que pour la version imprimée du journal. L’ensemble des effectifs ont suivi une formation minimale pour permettre l’adhésion au changement, dont un tiers de façon plus complète.

Au sein du groupe Amaury, la fusion du Web et du papier est effective à L’Equipe, depuis septembre 2011, après le déménagement de L’Equipe 24/24, société éditrice du site web avec une dizaine de journalistes, au siège du journal à Boulogne, où un desk web et la rédaction papier sont désormais installés sur un même plateau regroupant 350 journalistes. Au Parisien-Aujourd’hui en France, la réorganisation, présentée en octobre 2011 par la direction et prévue pour le 1er juin 2012, passe par le remplacement des services traditionnels en six grands pôles (informations générales, sports, loisirs, enquêtes, images et éditions locales), la création d’un desk multimédia et un processus de réalisation du journal modernisé. Les rédacteurs fourniront des contenus indifféremment au papier, au site web et aux applications mobiles. Le nombre de journalistes de terrain passera de 213 à 219 et de nouveaux postes seront créés aux pôles enquêtes, images et éditions locales ainsi qu’au desk multimédia.

A La Nouvelle République du Centre-Ouest, la fusion en cours des rédactions est « une question de survie », selon son rédacteur en chef, Bruno Bécard. Sur les 195 journalistes, 190 y ont été formés.

 

Intégration rime avec rationalisation. Les journalistes et la rédaction tout entière ne doivent pas seulement travailler autrement, mais travailler plus. Pour les journalistes, des rédactions intégrées découlent effectivement une surcharge de travail et souvent un changement de politique éditoriale auquel ils n’adhèrent pas forcément. A l’image des nouvelles applications qu’ils utilisent, les journalistes doivent être « multitâches ». Il leur est demandé de faire davantage, notamment à la suite de la disparition progressive de certains métiers, des correcteurs par exemple chargés de chasser les fautes de syntaxe, d’orthographe ou de ponctuation, des secrétaires de rédaction responsables de la mise en page ou des photographes, par ailleurs priés de se convertir à la vidéo. Par conséquent, l’esprit de collaboration print et web n’est pas toujours spontané. En l’absence d’accord sur les droits d’auteur autorisant la réutilisation sur n’importe quel support des contenus produits au sein d’un même groupe (loi Hadopi, voir REM n°10-11, p.6 et n°12, p.10), les journalistes papier, volontaires pour écrire sur le Web, sont minoritaires. En outre, le rapproche- ment des rédactions papier et numérique provoque au sein des rédactions un véritable choc « culturel » entre les journalistes « maison » et les nouveaux venus, avec des différences importantes d’âge, d’expérience et de rémunération

Quant à la gestion des ressources humaines, le temps de travail en particulier, la responsabilité de dirigeants est pleine et entière, reconnaît Louis Dreyfus1 : « Au Monde, les journalistes travaillent 193 jours par an, l’équivalent d’un jour sur deux. Difficile de créer une dynamique d’entreprise dans ces conditions. La rédaction est blanche, masculine et âgée. Si vous voulez parler à vos lecteurs, il faut que la rédaction corresponde au profil de ces lecteurs. L’un des enjeux est le renouvellement de ce profil ». En janvier 2012, le président du directoire a prévenu les salariés du Monde, dont 290 journalistes, de son intention de « remettre à plat les accords sur le temps de travail » en 2012.

Sur la voie du tout numérique, le secteur des médias en France voit ses effectifs journalistiques baisser progressivement (37 007 cartes professionnelles en 2010) et s’installer la précarisation, évaluée au nombre de CDD. Aux Etats-Unis, plus de 13 500 emplois de journalistes ont été supprimés entre 2007 et 2010. A Paris comme en province, la rationalisation économique se traduit par des plans sociaux. L’hypothétique survie numérique des quotidiens France Soir et La Tribune ne sera assurée qu’à la faveur d’une rédaction réduite au strict minimum.

Le vaste plan de relance du Parisien-Aujourd’hui en France annoncé en octobre 2011 se soldera par la suppression d’une cinquantaine d’emplois, dont 27 journalistes, sur un effectif total de 537 personnes. Au sein du groupe Est Républicain qui édite les trois quotidiens Dernières Nouvelles d’Alsace, L’Est Républicain et Vosges Matin, 110 journalistes vont faire valoir la clause de cession après le rachat des titres par le Crédit Mutuel en novembre 2010, devant entraîner la « mutualisation » des contenus et le rapprochement des services. En juillet 2011, l’Autorité de la concurrence a donné son accord à l’opération de rachat sous condition du maintien de rédactions en chef propres aux Dernières Nouvelles d’Alsace et à L’Est Républicain. Afin d’économiser 8 millions d’euros sur la masse salariale, près de la moitié des charges du groupe, la direction des Journaux du Midi a annoncé, en octobre 2011, sous couvert de « refondation numérique », la suppression de 158 postes au Midi Libre, à L’Indépendant et à Centre Presse, quotidiens entrés dans le périmètre du groupe Sud Ouest en 2007. Près de 67 postes seront supprimés dans les trois rédactions, soit 411 journalistes sur un effectif total du groupe de 1 055 personnes.

Rédactions 2.0

Les entreprises de presse ne peuvent plus se contenter de faire ce qu’elles savent faire. Elles ont déjà perdu trop de temps à se protéger d’Internet. Pour les Américains Madhav Chinnappa2, directeur des partenariats Europe pour Google Actualités, et David Klatell2, responsable du développement international à la Graduate School of Journalism of Columbia, tous les deux présents à la conférence organisée, le 2 décembre 2011, par Sciences Po Paris sur les nouvelles pratiques du journalisme, il faut se débarrasser de la peur de l’échec. Les médias prennent trop de temps pour innover. Selon Gabriel Dance2, éditeur interactif pour l’édition américaine du Gardian, pour qui « la technologie, c’est tout », les innovations en cours dans les rédactions sont le temps réel et le social. Et pourtant, la journaliste au Monde et auteur du blog Chroniques Judiciaires, Pascale Robert-Diard2 explique qu’elle continue à faire le même métier et que cet exercice de la chronique judiciaire serait mort sans Internet, par manque de place dans la version papier. Elle « twitte » désormais les audiences au tribunal et publie 80 % de ses notes contre 20 % auparavant.

Si l’usage du réseau Twitter se répand dans les médias, sa fonction se limite généralement à assurer la promotion de leurs contenus, comme le démontre une étude réalisée auprès de treize grands médias américains (presse quotidienne, TV, radio, média en ligne) en 2011, publiée par le PewResearch Center. Ainsi, la quasi-totalité des tweets émanant des comptes médias renvoient vers le site du média lui-même, seul un très faible pourcentage (2 %) des tweets servent à la recherche d’information ou à la curation (voir REM n°18-19, p.51). De même, seuls 3 % des journalistes sollicitent le réseau dans leur recherche d’information. La presse écrite est celui des médias qui utilise le plus Twitter, à la fois par le nombre de tweets envoyés et aussi par la plus grande diversité des informations fournies, notamment sous la forme de listes axées sur des centres d’intérêt grâce au système des hashtags (voir supra), à l’instar des quotidiens nationaux américains. Au regard de la forte augmentation du nombre d’utilisateurs, l’étude confirme que « Twitter est devenu un canal régulier de transmission de l’information quotidienne ». Sur 175 millions d’abonnés, seulement 50 millions de comptes Twitter seraient véritablement actifs, une fois retranchés les doublons, les inactifs et surtout les robots, selon Business Insider. Seulement 5 % des membres sont à l’origine de 75 % du contenu. Twitter cherche à améliorer la remontée d’information en triant notamment les 200 millions de tweets quotidiens en fonction du degré « d’influence » de ses utilisateurs. Un jour prochain vraisemblablement sera décerné un prix Pulitzer Twitter, le conseil de ce prix journalistique ayant récemment annoncé la révision de la définition des quatorze catégories qu’il distingue, notamment celle du « reportage d’information de dernière minute » en mettant l’accent sur la couverture en temps réel.

Si les journalistes ont adopté en priorité Twitter, ils s’intéresseront peut-être de plus près à Facebook à l’avenir. Afin de concurrencer Twitter, le réseau social propose depuis septembre 2011 une nouvelle fonction, « Subscribe », grâce à laquelle les internautes suivent l’actualité de personnalités ne faisant pas partie de leur cercle d’amis, notamment des journalistes. En outre, depuis 2010, Facebook collabore avec des journalistes afin que les potentialités du réseau social soient mieux utilisées par les médias traditionnels. En avril 2011, une page « Journalists on Facebook » a été créée spécialement pour aider les journalistes à mieux se servir du réseau comme source d’information et à mieux y intégrer leur travail. Des ateliers aideront les journalistes à utiliser Facebook comme outil de reportage. A cet égard, le suivi de l’affaire Woerth-Bettencourt avec le faux Facebook d’Eric Woerth est un exercice de journalisme innovant pour lequel ses auteurs Cécile Dehesdin, Gregoire Fleurot, journalistes à Slate.fr, et François Pottier ont reçu, le 2 décembre 2011, le premier prix professionnel de l’innovation en journalisme Ecole de journalisme de Sciences Po-Google2.

L’impact des réseaux sociaux sur l’audience des sites de presse, désormais, est crucial, les lecteurs Facebookers faisant l’impasse sur leur page d’accueil pour se rendre, soit directement sur le mur officiel du journal, soit en passant par le fil d’actualité qui s’affiche sur la page personnelle de chaque internaute. L’attention grandissante portée à ces nouveaux usages « sociaux » au sein des rédactions entraîne les journalistes à s’adapter quant au style et aux mots choisis, tout comme l’optimisation pour les moteurs de recherche (SEO) avec l’usage de mots clés les y avait déjà contraints (voir REM n°17, p.24). En outre, sur Facebook, les journalistes se retrouvent en concurrence avec les sites des entreprises qui diffusent de plus en plus leurs propres informations.

La presse quotidienne se « socialise » de plus en plus (voir REM n°20, p.36 et p.37). Depuis le lancement du nouvel Open Graph en septembre 2011, système qui permet de développer des applications sur Facebook, le quotidien britannique The Guardian a gagné un million supplémentaire de pages vues par jour, son application ayant été téléchargée 4 millions de fois au cours des trois premiers mois, notamment par des lecteurs qui, dans leur grande majorité, ne l’avaient sans doute jamais lu. De même, la stratégie du Wall Street Journal apporte la preuve du crédit accordé par certains éditeurs aux réseaux sociaux. Le prestigieux quotidien du monde de la finance a lancé WSJ Social sur Facebook en septembre 2011, une application sur mesure, payante, qui permet aux internautes de lire ses articles classés par thème, sans quitter leur page Facebook.

En France, les outils marketing et techniques manquent aux entreprises de presse pour inventer l’avenir, comme le déplorent Nicolas Demorand et Louis Dreyfus1. Les divisions marketing et les budgets en recherche-développement sont inexistants au sein des entreprises. Ce constat est confirmé par Julien Codorniou1, directeur des partenariats Facebook Europe, qui remarque qu’en France les rédactions s’appuient sur des sociétés de service pour développer leurs applications, contrairement au quotidien américain The New York Times qui a ses développeurs maison.

Pour le directeur des partenariats Facebook Europe, le réseau social n’est rien d’autre qu’une nouvelle plate-forme de distribution pour la presse comme pour les jeux ou la musique : « Pour nous, The Guardian qui a lancé une application sur Facebook est un éditeur de logiciels. Il a ainsi conquis 100 000 nouveaux lecteurs qui ne lisaient pas ce journal avant. Les articles sont gratuits, monétisés par la publicité ». La presse écrite est une « application comme une autre » sur le réseau social. Les journaux y sont envisagés de la même façon que les jeux en ligne gratuits. Mais « la bonne info va gagner » assure Julien Codorniou.

Internet bouleverse de fond en comble le monde des contenus d’information. Tous les blogueurs et tous les Twitteurs ne sont pas journalistes. Cependant les citoyens internautes participent désormais, d’une certaine façon, à la tenue de l’agenda médiatique. Par leurs posts, leurs tweets, le partage d’articles sur Facebook, ils font circuler l’information, contribuent à sa popularité et par là-même assurent ainsi un feed-back aux journalistes sur leur travail. Cet « effet retour » spontané de la part des lecteurs confronte de façon inédite les journalistes à leur audience, jusqu’ici assez méconnue. Contrairement à la télévision, la presse écrite dispose de peu de moyens pour connaître son public, hormis sa diffusion, son nombre d’abonnés, les études d’audience annuelles basées sur des entretiens, ou encore le traditionnel courrier des lecteurs. Sur Internet, tout change. Avec la collaboration d’entreprises de presse comme Forbes, Time magazine et Wall Street Journal, la société américaine Chartbeat2, spécialisée dans l’analyse en temps réel des audiences sur Internet, a conçu un nouvel outil statistique spécialement pour les sites d’information qui pourrait bien révolutionner le secteur. Lancé en juillet 2011, Newsbeat permet d’analyser en direct l’évolution du trafic d’un site d’information. Il fournit une représentation graphique de la fréquentation du site en suivant le comportement des lecteurs, leur parcours sur le site.

La recherche peut être affinée par sujet ou par auteur. Ainsi, ce tableau de bord (dashboard) décrit par exemple quels sont les sujets les plus suivis par les internautes à un instant précis, y compris sur les réseaux sociaux, comment évolue leur audience minute par minute, à quel moment l’information est relayée sur Twitter, etc. Pour Tony Haile, directeur général de Chartbeat, « Newsbeat dispose de plus de données que les éditeurs ne souhaiteraient en avoir ». (A titre de comparaison, l’outil d’analyse d’audience Google Analytics, qui domine largement le marché avec la régie publicitaire AdWords, n’a que très récemment été doté de l’option « temps réel », à l’automne 2011, et n’inclura plus largement l’interaction avec les réseaux sociaux qu’au cours de l’année 2012).

Avec Newsbeat, chaque journaliste suit en direct l’audience des sujets qu’il a proposés et s’adapte, le cas échéant, à ces résultats. Un tel outil peut à la fois pousser les éditeurs à choisir le plus petit dénominateur commun comme il peut aussi démontrer que les journalistes ont tendance parfois à délaisser des sujets qui intéressent pourtant leurs lecteurs. Aujourd’hui adopté par de grands médias d’information américains comme la chaîne Fox News ou The New York Times, Newsbeat oriente encore un peu plus les rédactions vers un modèle 2.0.

D’autres exemples illustrent cette intrusion de l’internaute dans la hiérarchisation de l’information sur le Web. Ainsi, avec l’application WSJ Social lancée par le Wall Street Journal sur Facebook, les auteurs des articles bénéficiant du plus grand nombre de recommandations acquièrent le statut de « top editors » et leurs contributions sont mises en exergue dans une fenêtre dédiée, sorte de tableau d’honneur des meilleurs contributeurs. Dépassant largement les 200 000 fans sur leurs pages Facebook respectives, les quotidiens Le Monde et L’Equipe encouragent leurs lecteurs internautes à mettre en avant les articles de leur choix à l’aide d’une barre de recommandation.

Dans le même esprit, The Guardian a commencé, depuis octobre 2011, à inscrire sur son blog « Inside the Guardian » le sommaire de l’édition du lendemain, une newslist (à l’exception des exclusivités et des informations sous embargo) que, jusqu’alors, les rédacteurs en chef se gardaient bien de dévoiler. Par l’intermédiaire de Twitter, les internautes sont invités à réagir en envoyant leurs suggestions, leurs commentaires ou des informations complémentaires auprès du rédacteur de chacun des sujets retenus. Au deuxième rang des sites britanniques les plus visibles sur les réseaux sociaux, le guardian.co.uk compte plus de 2,5 millions de liens partagés par semaine. Le journal peut ainsi, d’une part, mieux appréhender les attentes de ses lecteurs et, d’autre part, accroître le trafic sur son site grâce aux recommandations des internautes et donc augmenter ses tarifs publicitaires. En France, le pure player Rue 89 ouvre déjà chaque jour sa conférence de rédaction aux internautes sur son site. Cependant, l’intérêt des lecteurs ne correspond pas forcément à la logique des journalistes. Le risque existe de privilégier le quantitatif au qualitatif, de faire parler les chiffres avant les mots, de proposer ce que les lecteurs attendent, plutôt que de les alerter sur ce qu’ils ignorent.

Enfin, le principe collaboratif franchira peut-être le seuil des rédactions grâce à un nouvel outil baptisé Live blogging tool. Cette application, promue par le Global Editors Network, sera présentée au prochain News World Summit 2012. Ce logiciel permet aux journalistes de différentes rédactions, plutôt enclins à ne pas partager leurs informations, de travailler ensemble sur un événement particulier afin d’en assurer la couverture la plus complète possible.

En France, le prototype de la salle de rédaction du futur ou Newsplex s’installera en région Rhône-Alpes à Saint-Etienne dans le cadre d’un projet intitulé « International Rhône-Alpes Media » soutenu par l’Association mondiale des journaux (WAN-IFRA), l’Université Jean Monnet de Saint-Etienne et l’Université Lyon 2. Pendant l’automne 2012, il ouvrira une plate-forme de recherche et de formation pour les médias. L’IFRA a déjà mis en œuvre deux Newsplex, le premier aux Etats-Unis (Caroline du Sud) en 2002 et le second en Allemagne (Darmstadt) en 2005.

Management numérique

Les temps changent, y compris à la tête des journaux. Longtemps dirigées par des journalistes de métier, les entreprises de presse ont ensuite été confiées aux gestionnaires, bien souvent à l’occasion de l’ouverture de leur capital. A l’heure d’Internet, c’est une petite révolution qui se prépare. Les spécialistes du numérique sont en train de prendre les rênes des journaux, expérience que mène le groupe de presse quotidienne régionale Sud Ouest qui a nommé à sa tête l’ex-directeur général du GIP France Télé Numérique en décembre 2011.

Aux Etats-Unis, le chief executive officer (CEO) est accompagné d’un chief culture officer (CCO), chargé d’assurer « l’adaptation culturelle » de l’entreprise aux nouvelles tendances des consommateurs, son rôle étant de parvenir à faire travailler ensemble les différentes directions.

Sources :

1. « L’information, un produit comme les autres », débat organisé par le CFPJ et INA Expert, Palais Brongniart, 6 janvier 2012.

2. « Les nouvelles pratiques du journalisme », 3e conférence internationale, Ecole de journalisme de Sciences Po et Graduate  School of Journalism of Columbia, Sciences Po Paris, 2 décembre 2011.

3. « La Presse au futur », Ateliers, salon, conférences, 5e édition organisée par la société Dotevents, Centre des Congrès Cap 15,  Paris, 30 novembre au 1er décembre 2011.

  • « Presse : une rotative numérique va être testée en Corse », Xavier Ternisien, Le Monde, 2 avril 2011.
  • « Facebook lance une page « pro » pour les journalistes », AFP, tv5.org, 6 avril 2011.
  • « Facebook devient un passage obligé pour les sites d’information », Xavier Ternisien, Le Monde, 9 avril 2011.
  • « « Le Figaro » marie ses rédactions Web et papier et accélère ses diversifications », Anne Feitz, Les Echos, 3 mai 2011.
  • « Le groupe Lagardère a quitté Presstalis », Caroline Constant, L’Humanité, 31 mai 2011.
  • « L’AFP adapte son offre aux quotidiens régionaux », A.F., Les Echos, 28 juin 2001.
  • « La fusion des rédactions web et papier de « L’Equipe » sera effective début septembre », La Correspondance de la Presse, 20 juillet 2011.
  • « Facebook veut permettre la lecture d’articles de presse sur ses pages », Nicolas Rauline, Les Echos, 20 juillet 2011.
  • « La loi sur la régulation du système de distribution de la presse a été promulguée », La Correspondance de la Presse, 22 juillet 2011.
  • « La proposition de loi de simplification du droit du député UMP Jean- Luc Warsmann propose de réformer le statut des agences de presse », La Correspondance de la Presse, 2 août 2011.
  • « Débuts encourageants pour les kiosques numériques », C.C., Les Echos, 23 août 2011.
  • « Otograff, un news magazine haut de gamme et personnalisé par l’internaute », AFP, 7 septembre 2011.
  • « Grève de 24 heures à l’Agence France-Presse », Xavier Ternisien, Le Monde, 16 septembre 2011.
  • « Le « Wall Street Journal » lance WSJ Social, une application Facebook dédiée à l’information », La Correspondance de la Presse, 23 septembre 2011.
  • « Journaux du Midi : la direction annonce 158 suppressions de postes, dont 123 en CDI », AFP, tv5.org, 3 octobre 2011.
  • « Le grand malaise de l’AFP », Anne Feitz, Les Echos, 10 octobre 2011.
  • « La restructuration du « Parisien-Aujourd’hui en France » rencontre une vive résistance », Anne Feitz, Les Echos, 13 octobre 2011.
  • « La presse quotidienne veut croire en son avenir », Aude Carasco, La Croix, 15 octobre 2011.
  • « « France-Soir », premier quotidien français à passer au tout numérique », Anne Feitz, Les Echos, 17 octobre 2011.
  • « Le journalisme se dématérialise », Grégory Marin, L’Humanité, 10 novembre 2011.
  • « Rapprochement entre Google et les éditeurs de presse française avec la signature de deux accords dans l’information numérique », La Correspondance de la Presse, 10 novembre 2011.
  • « « The Guardian » teste ses sujets du jour sur Twitter », Rose Claverie, Le Figaro, 11 novembre 2011.
  • « Etats-Unis : Twitter, outil de recommandation à l’usage limité et disparate dans les médias dominants, selon le PewResearch Center », La Correspondance de la Presse, 15 novembre 2011.
  • « Rivet Presse Edition voit la toute la presse en numérique », Corinne Mérigaud, usinenouvelle.com, 25 novembre 2011.
  • « Twitter serait-il trop gros pour réussir », Joe Hagan, New York Magazine in Courrier international, n° 1099, 24 au 30 novembre 2011.
  • « Le Monde met en place sa Newsroom print/web pour les élections présidentielles », La Correspondance de la Presse, 30 novembre 2011.
  • « La presse à l’ère numérique : comment ajouter de la valeur à l’information ? », Centre d’analyse stratégique, Premier ministre, La note d’analyse, Questions sociales, n° 253, novembre 2011.
  • « Accord sur les effectifs à l’imprimerie du Monde », Anne Feitz, Les Echos, 2 décembre 2011.
  • « Apple et la presse. Pas si compatibles », Yves Eudes, Le Monde, 14 décembre 2011.
  • « Un nouveau mode d’impression numérique pour révolutionner la presse ? », Aude Konan, inaglobal.fr, 15 décembre 2011.
  • « Les médias en 2011 : un tournant pour la presse française », Jean- Marie Charon, observatoiredesmedias.com, 29 décembre 2011.
  • « L’impression du Monde bloquée par des cadres de l’imprimerie », AFP, tv5.org, 6 janvier 2012.
  • « Distribution de la presse : les éditeurs peuvent quitter Presstalis pour les MLP », Xavier Ternisien, Le Monde, 13 janvier 2012.
  • « Est Républicain, Vosges Matin, DNA : nombreux départs et incertitude après le rachat », AFP, tv5.org, 14 janvier 2012.
  • « « Le Monde » veut revoir les accords sur le temps de travail », S.B. et S.C., La Tribune, 16 janvier 2012.
  • « Facebook lance de nouveaux services », Nicolas Rauline, lesechos.fr, 19 janvier 2012.
  • « Reprise de La Tribune : trois candidats, dont deux proposent seulement un site », AFP, tv5.org, 19 janvier 2012.
  • « MLP : l’assemblée générale s’oppose « au principe de péréquation entre les messageries » tel qu’il résulte de la décision du Conseil supérieur des messageries de presse », La Correspondance de la Presse, 19 janvier 2012.

 

2. Paris économiques numériques

 

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Pour financer la fabrication de l’information, pour donner les moyens suffisants à leurs rédactions, tous les éditeurs reviennent sur la gratuité, principe dominant sur le Web qu’à vrai dire ils ne maîtrisaient pas. Ils misent désormais sur le paiement des contenus en ligne en érigeant des murs payants, prenant exemple sur le New York Times. L’expérimentation prévaut pour parvenir à transformer l’essai du passage au numérique, « test, learn, adapt » selon la formule des managers américains. Chacun cherche sa méthode.

Un modèle composite

Moitié payant-moitié gratuit. En France, la plupart des quotidiens nationaux d’information générale, notamment Le Monde, Les Echos, Libération, Le Figaro, ont adopté une formule freemium, à mi-chemin entre le tout gratuit et le tout payant. Le Monde et Les Echos ont été les premiers à tenter de faire payer leurs lecteurs. Pour mettre fin en douceur au réflexe de gratuité des internautes, Libération est le premier en 2009 à verrouiller l’accès numérique aux articles du journal imprimé jusque-là mis en ligne gratuitement. Il sera suivi par Le Figaro et Le Monde en 2010. Ainsi, au troisième trimestre 2011, Le Monde totalise 40 000 abonnés numériques auxquels s’ajoutent plus de 100 000 abonnés papier ayant un accès au site web tandis que Le Figaro et Libération en ont respectivement autour de 7 000 et environ 20 000.

Tout payant. Dès juillet 2010, le quotidien britannique The Times de Rupert Murdoch a opté pour la stratégie du tout payant avec pour conséquence une forte baisse des revenus publicitaires due notamment à la perte de près de 90 % de son audience sur le Net. Néanmoins, il compte 100 000 abonnés numériques en juin 2011 acceptant de payer 2 livres l’abonnement hebdomadaire : ses revenus dépassent alors le montant des recettes publicitaires engendrées auparavant par l’accès libre. Le titre a lancé une application iPad à 9,99 livres par mois (10,99 euros) en mai 2010.

Payant pour les « non-résidents », c’est l’idée pour le moins originale du quotidien The Independent qui a décidé de réserver l’accès gratuit de son site d’information aux internautes britanniques, espérant ainsi engranger des revenus en provenance de ceux qui vivent à l’étranger, soit entre 40 % et 50 % de son audience.

Aux Etats-Unis, The Wall Street Journal a érigé un mur payant pour l’ensemble de ses contenus d’information économique et financière en ligne dès 1997. Cependant, afin d’attirer de nouveaux lecteurs vers l’abonnement, il propose depuis quelques années certaines informations notamment politiques en accès libre, afin de montrer aux internautes ce dont ils pourraient disposer en payant.

Payant et ouvert. C’est de loin la formule la plus répandue. Le quotidien économique britannique Financial Times a été le premier à tester cette formule de la consultation payante mais ouverte, proposant initialement 30 articles gratuits contre 10 seulement aujourd’hui, laissant ainsi une porte ouverte au référencement des moteurs de recherche et autres agrégateurs d’information sur Internet. Au troisième trimestre 2011, il compte 229 000 abonnés payants aux offres numériques sur le mobile ou sur le Web, dont plus de 100 000 entreprises, et près de 332 000 acheteurs du journal. Malgré un prix élevé de 233 livres par an, le nombre de nouveaux abonnés numériques par semaine a été multiplié par cinq en dix-huit mois. En outre, la consultation gratuite des articles est subordonnée à l’inscription des internautes sur le site du quotidien, permettant à celui-ci de récolter les données marketing utiles à sa promotion. C’est d’ailleurs pour rester maître de ces informations sur ses clients que le Financial Times a conçu sa propre application mobile (au format HTML 5 compatible avec toutes les tablettes), afin de ne plus dépendre de l’App Store d’Apple dont la règle est de ne pas communiquer les coordonnées des abonnés (voir supra). Alors que la publicité assurait encore 70 % des recettes du journal il y a cinq ans, les ventes de contenus numériques et papier rapportent autant que la publicité sur papier en 2011, en tenant compte que le prix du journal a doublé depuis 2006, passant à 2 livres.

L’expérience phare du NYT

Après un premier essai en 2005 baptisé TimesSelect abandonné en 2007 faute de clients, le New York Times propose depuis mars 2011 une formule freemium sur Internet tout en limitant la consultation gratuite à la page d’accueil et à un quota de vingt articles par mois. Les tarifs d’abonnement varient de 15 à 35 dollars mensuels en fonction du terminal choisi, Web, smartphone ou tablette. Seuls les abonnés au journal imprimé ont un accès gratuit à l’ensemble du site et les trois quart d’entre eux utilisent cette opportunité, soit 756 000. En juin 2011, le New York Times compte 281 000 abonnés à une version numérique, 224 000 pour le Web et 57 000 pour les applications mobiles. En septembre 2011, le site compte déjà 324 000 abonnés et plus de 1,2 million d’internautes payants. La part de l’international est d’environ 12 %. Une opération de sponsoring avec un constructeur automobile a permis de collecter environ 100 000 abonnements. Cette nouvelle limitation à l’accès n’a pas entraîné une chute de l’audience du site web totalisant près de 44,8 millions de visiteurs uniques en décembre 2011, au premier rang mondial des sites de journaux.

En outre, restent accessibles gratuitement tous les articles faisant l’objet de liens postés sur les réseaux sociaux et sur les blogs, y compris ceux proposés par les moteurs de recherche dans la limite de cinq par jour. L’accès au site redevient même gratuit et illimité à l’occasion de sujets d’actualité d’importance majeure.

Enfin, une autre technique commerciale du New York Times réside dans le prix de l’abonnement exclusif à l’édition imprimée de fin de semaine, donnant accès au Web, fixé à 30 dollars, soit 5 dollars de moins que l’offre tout numérique, afin d’une part, de convertir les lecteurs occasionnels au numérique et, d’autre part, de promouvoir les suppléments du week-end auprès des lecteurs et donc des annonceurs, comme l’explique Ken Doctor, blogueur américain, spécialiste des médias.

Le groupe New York Times, par ailleurs éditeur du Boston Globe, de l’International Herald Tribune et de 15 autres quotidiens ainsi que du site About.com, a vu son bénéfice net chuter de 57,6 % au premier trimestre 2011, à 5,4 millions de dollars pour un chiffre d’affaires en repli de 3,6 % à 566,5 millions de dollars, résultats dus au manque de recettes publicitaires. La nouvelle stratégie choisie se révèle encourageante. Sept mois après son lancement, le journal annonçait un retour aux bénéfices pour le troisième trimestre 2011, malgré une baisse des recettes publicitaires.

Quant au Boston Globe, sa solution hybride gratuit-payant passe par la cohabitation de deux sites différents. Le site d’origine boston.com reste gratuit avec des contenus restreints, tandis qu’un nouveau site Boston-Globe.com, ouvert en septembre 2011, propose un contenu plus riche pour un prix de 3,99 dollars par semaine.

Au début de l’année 2011, le quotidien Le Temps, propriété du groupe suisse Ringier, a lui aussi choisi d’ériger un mur payant sur son site offrant tout de même l’accès gratuit à un quota de 50 articles, ramené à 20 depuis. La fréquentation du site a chuté de près de 20 % en nombre de visiteurs uniques mais, contre toute attente, les recettes publicitaires ont augmenté de 67 % sur les quatre premiers mois de l’année 2011. Le nombre d’abonnés a même doublé, passant à 1 800 en avril 2011.

Tout gratuit sur le Web, payant sur tablette. L’arrivée des tablettes ouvre une brèche dans le modèle du tout gratuit. Le groupe allemand Springer, éditeur du quotidien Bild, se distingue, en Europe, par le choix d’une politique commerciale originale. Le site internet du tabloïd est gratuit, mais son accès via l’iPad est payant. Partant du principe que les consommateurs sont habitués à payer pour des services mobiles, Springer est le premier éditeur allemand à avoir fait ce choix au moment du lancement de l’application iPad de son titre phare en décembre 2010. Le prix au numéro est de 0,79 euros, tarif minimum imposé par Apple, soit 9 centimes de plus que l’exemplaire papier. L’abonnement est fixé à 35 euros par mois ou 130 euros par an. Le principe est le même pour l’ensemble des journaux et des magazines du groupe. L’offre numérique tous supports confondus est enrichie de photos, de vidéos, de liens vers les réseaux sociaux et vers les sites de petites annonces détenus par le groupe.

Le quotidien britannique The Guardian marche également à contre-courant en laissant l’accès libre à ses contenus diffusés sur le Net. Son audience numérique exceptionnelle, dépassant les 3 millions de visiteurs uniques par jour, ne compense pas une diffusion papier et des revenus publicitaires en chute libre. En 2011, il a choisi de faire payer la version numérique du journal papier aux détenteurs de supports numériques mobiles, avec une offre à 9,99 livres mensuels (10,99 euros) pour l’iPad et pour le Kindle d’Amazon. A l’occasion de son lancement en octobre 2011, l’application iPad a été téléchargée plus de 145 000 fois. L’application pour iPhone, quant à elle, a totalisé 100 000 téléchar- gements à 4,99 livres.

Au regard de ces différents modèles, seule la rareté justifie et impose le paiement. Celui-ci se doit de correspondre à une valeur ajoutée pouvant être définie comme un domaine de spécialité, un contenu (ou service) complémentaire ou une iden- tité forte, caractéristiques qui se traduisent toutes immanquablement par une cohérence éditoriale affichée.

Tout numérique

Aux Etats-Unis, l’abandon de la formule papier s’est révélé suicidaire pour les titres pionniers qui s’y sont risqués dès 2009. Ainsi le quotidien local Tucson Citizen est devenu un portail de blogs, le Rocky Mountain News a cessé toute activité. Quant au Seattle Post Intelligencer, ses effectifs sont passés de 160 a environ 20. Déficitaire, le titre vendait 100 000 exemplaires par jour avant de se convertir définitivement au Web sur lequel il recueille désormais une audience de 4 millions de lecteurs mensuels.

Néanmoins, le cas le plus exemplaire est celui du Christian Science Monitor, quotidien national édité à Boston, sept fois Prix Pulitzer, qui comptait 40 000 abonnés lorsqu’il a basculé sur Internet en mars 2009, décidant de conserver parallèlement une formule papier hebdomadaire. En 2008, le titre avait perdu 20 millions de dollars que son principal soutien, la First Church of Christ Scientist, ne souhaitait pas combler. Fin 2011, le Christian Science Monitor devait parvenir à réduire quasiment de moitié son déficit, grâce au succès de son magazine ayant conquis 75 000 abonnés et séduit les annonceurs. Au bout de deux ans et demi, le site rassemble 10 millions de visiteurs uniques par mois, mais ses recettes publicitaires demeurent insuffisantes. L’équilibre financier est l’objectif pour 2017.

En France, le quotidien professionnel, spécialisé dans la finance, Agefi est un précurseur. Il est devenu tout numérique en 2005. Au quotidien sur le Web envoyé à plus de 5 000 abonnés payant de 320 à 10 000 euros par an, s’ajoutent un site web, la vente de contenus via des banques de données et deux hebdomadaires professionnels imprimés. Depuis son basculement sur Internet, son chiffre d’affaires a bondi de +60 % pour atteindre 12,3 millions d’euros en 2011 et son résultat net est positif. Néanmoins, le numérique constitue 35 % des revenus de la société, tandis que la publicité imprimée en génère encore plus de 30 %.

Lequel de France-Soir ou de La Tribune, sera le premier quotidien grand public français à franchir définitivement le cap du numérique ? En attendant le référé jugé fin janvier 2012, à la suite de la contestation par les syndicats du plan social voulu par la direction, Francesoir.fr, version numérique du quotidien papier disparu le 14 décembre 2011, est lancé par une rédaction com- posée de quelques journalistes seulement. Sur les 127 postes existants, 89 postes vont être supprimés. La rédaction web devrait passer de 10 à 32 journalistes. Le propriétaire de France Soir, Alexandre Pougatchev, a annoncé vouloir investir 10 millions d’euros dans la nouvelle formule numérique afin de doubler l’audience de 3,2 millions de visiteurs uniques par mois fin 2011 à 6 millions à terme. Les recettes publicitaires d’un montant de 300 000 euros en 2011 devront dépasser le million d’euros en 2012, puis approcher les 5 millions d’euros dans quatre ans, pour un retour à l’équilibre en 2015.

L’avenir du quotidien économique La Tribune, diffusé à 75 000 exemplaires, se jouera aussi assurément sur Internet. En redressement judiciaire, le titre fait l’objet de trois offres de reprise, toutes 100 % numériques, plus un hebdomadaire papier pour l’une d’entre elles, prévoyant des effectifs ramenés à 40 et 50 personnes –dont la moitié de journalistes–, contre 165 auparavant. La décision du tribunal de commerce sera connue le 30 janvier 2012, date de sortie du dernier numéro papier du quotidien. Le tout numérique supprimant les contraintes liées au support papier, entraînerait une réduction des coûts globaux de l’ordre de 50 % pour les entreprises de presse. Si certains éditeurs voient l’avenir des journaux sans édition papier comme l’a déclaré Arthur Sulzberger, président du groupe New York Times sans toutefois dater l’échéance, les diverses expériences menées tendent à prouver que le papier est encore aujourd’hui un support indispensable à l’économie des journaux, tant que les investissements publicitaires sur Internet bénéficient de tarifs low cost, sans rapport avec l’audience des sites, contrairement à la version papier dont la diffusion décline.

Tablette d’avenir

Pour Jean-Marie Colombani2, « le futur des journaux est dans les tablettes » car celles-ci relancent la culture du payant, réinstallent l’accoutumance au paiement. C’est aussi l’une des réponses apportées par le Centre d’analyse stratégique (CAS), service du Premier ministre, à la question « Comment ajouter de la valeur à l’information ? » posée dans sa note publiée en novembre 2011.

Grâce au confort de lecture qu’elles procurent, com- parable à celui du papier, le CAS souligne que « les tablettes et les liseuses offrent de vraies perspectives » pour parvenir à vendre l’information en ligne. Il suggère d’ailleurs que l’opération « Mon journal offert » –permettant aux jeunes de 18 à 24 ans de recevoir gratuitement chaque semaine un quotidien pendant un an– soit étendue à l’offre tout numérique. « Le grand défi est de tirer parti des innovations les plus prometteuses comme la tablette tactile pour redonner à l’information une valeur mise à mal par la concurrence du « tout venant » de l’information en ligne. L’innovation alliée à la qualité du contenu forme en définitive la seule véritable stratégie payante dans les années à venir », conclut le CAS.

Cependant, les tablettes sont encore loin de représenter un marché de masse, même si les prévisions de ventes ont été dépassées avec 2 millions d’unités vendues en 2011, seulement un an et demi après leur arrivée sur le marché français, selon GfK. Les concurrents de l’iPad, au premier prix de 500 dollars, pourraient contribuer à la croissance de ce nouveau marché, à l’instar d’Amazon, avec son Kindle Fire à 199 dollars, qui connaît déjà un certain succès aux Etats-Unis.

Quel support, quel contenu, à quel prix : tels sont les paramètres à ajuster pour résoudre l’équation. A l’occasion de l’e-G8 organisé à Paris au printemps 2011, le patron du New York Times, Arthur Sulzberger, déclarait « Je suis agnostique concernant les moyens de distribution, c’est le contenu qui nous définit. […] La qualité des contenus attire des lecteurs de qualité, qui attirent des annonceurs de qualité. Aujourd’hui, toutes les quatre secondes, un article du New York Times est tweeté » ; tandis que l’éditeur du quotidien italien La Repubblica, Carlo de Benedetti, expliquait : « Nous allons demander à nos lecteurs de payer. Non pas pour le « c’est arrivé », mais pour le « pourquoi c’est arrivé » ».

Vers un modèle économique social game ?

Pour Heather Hollis, directrice artistique de l’éditeur de jeux vidéo Electronic Arts, présente au festival musique, cinéma, nouvelles technologies SXSW 2011 à Austin au Texas, le modèle des jeux gratuits sur Internet pourrait s’appliquer aux médias traditionnels. Selon ce modèle, les internautes jouent gratuitement et sont incités à payer pour progresser dans le jeu. Sur les sites d’information, l’idée serait d’encourager les internautes à payer pour en savoir plus, et d’appliquer notamment les mécanismes de récompense (bonus, prime de fidélité…) de la « gamification » (voir supra). Selon Heather Hollis, le modèle de l’abonnement sera bientôt dépassé. Alors l’information est-elle en passe de devenir un « serious game », à l’instar de l’éducation avec l’e-learning pour apprendre en s’amusant ?

Combien de Facebook Credits pour un journal ?

Depuis déjà quelques années, le réseau social Facebook propose à ses membres d’acheter des biens virtuels avec des Facebook Credits. A l’image des premiers Linden dollars du monde virtuel Second Life, cette monnaie virtuelle s’acquiert directement sur une application de la plate-forme Facebook, un jeu en ligne par exemple, avec une carte de crédit ou n’importe quel système de paiement sécurisé sur Internet, type Paypal. L’utilisation des Facebook Credits s’est nettement développée à la faveur de l’accord passé en mai 2010, pour une durée de cinq ans, entre le réseau social et le leader américain des éditeurs de jeux sociaux Zynga (voir REM n°16, p.32), rendant ce moyen de paiement obligatoire dans ses jeux. Les quelque 70 millions d’internautes, adeptes des jeux Zynga sur Facebook, dont le célèbre Farmville qui rassemble plus de 10 millions de joueurs, sont donc amenés à payer en Facebook Credits pour poursuivre leurs expériences ludiques. Depuis juillet 2011, Facebook a fait de sa monnaie virtuelle une condition obligatoire au développement d’applications de jeux sur sa plate-forme. Depuis, la monnaie Facebook circule.

Aux Etats-Unis, l’association de défense des consommateurs, Consumer Watchdog, a porté plainte, en juin 2011, pour abus de position dominante, auprès de la Federal Trade Commission (FTC), à la suite de l’accord passé entre Facebook et Zynga. Selon l’association, cette entente aurait eu pour effet d’empêcher Zynga, fort de plus de 270 millions de joueurs actifs par mois, de créer sa propre plate-forme de jeux, tout en renforçant la position de Facebook sur le marché des biens virtuels dans le social gaming qu’il contrôle déjà à plus de 50 %.

Après en avoir généralisé l’usage sur les nombreuses applications qu’il héberge et qui en ont accepté le principe, – soit plus de 150 jeux -, Facebook entend proposer sa monnaie virtuelle à n’importe quel site web. Une première expérience a été menée avec le site de jeux GameHouse.com.

Disponibles en France en 2011, les Facebook Credits sont déjà offerts par certaines enseignes comme la Fnac, La Redoute ou Yves Rocher dans le cadre de leurs opérations marketing sur Internet. Utiles pour fidéliser les internautes au sein du réseau social, les Facebook Credits constituent avant tout une nouvelle source de revenus pour Facebook qui prélève 30 % de commis- sion sur les achats. Si le nombre de transactions est encore limité et leur montant faible, les Facebook Credits auraient quand même rapporté environ 470 millions de dollars au réseau social en 2011. Présentes sur le réseau social, les entreprises de presse y vendront peut-être à l’avenir leurs articles payables en Facebook Credits. « Pour les éditeurs de sites, c’est la promesse de voir 800 millions d’internautes arpenter la Toile avec une petite réserve de Facebook Credits, prêts à faire des achats impulsifs en deux clics […]. Mais c’est aussi un nouveau scénario à la Apple qui se dessine. […] Que se passera-t-il si, comme ce fut le cas pour les éditeurs de social games, Facebook rend les Credits d’abord disponibles, puis obligatoires ? », s’interroge Marie-Catherine Beuth sur son blog Etreintes digitales (lefigaro.fr).

Diversification hors média et hors du champ publicitaire

A la fin des années 1990, les « plus-produits » (livres, CD, DVD) constituaient déjà ce que les éditeurs italiens avaient baptisé « la troisième jambe de la presse ». Comme les pure players qui vivent des activités annexes de formation, d’édition, certains éditeurs de la presse quotidienne s’engagent dans une diversification hors média afin de multiplier les sources de revenus, parfois en s’éloignant de leur métier. Outre le lancement d’applications sur les thèmes les plus variés (mode, cuisine, campagne électorale…) pour smartphones et tablettes, ils misent sur le hors média, notamment l’événementiel, la formation professionnelle, le com- merce électronique et les services, un champ dont les contours dépassent largement la « marque » des titres de presse.

Le quotidien Les Echos mise depuis longtemps déjà sur l’organisation de formations continues et de colloques pour améliorer ses comptes. A l’instar du Monde, le quotidien économique s’est également lancé dans l’e-commerce du vin. Atteignant 20 % du chiffre d’affaires du groupe à la mi-2011, les revenus de la diversification numérique tous azimuts du Figaro (voir supra) devraient ainsi représenter 50 % du chiffre d’affaires du groupe d’ici à cinq ans. Déjà propriétaire du site culturel Evene, du groupe de petites annonces Adenclassifieds, du site de billetterie TickeTac ou encore du spécialiste de prévisions météo Meteo Consult, le groupe Le Figaro innove en 2011 avec le lancement d’un site de courtage en assurances Cplussur.com et surtout la création de portails thématiques gratuits, sur le golf d’abord, puis le vin, les enchères, la santé, le nautisme et prochainement le patrimoine. Ces « médias fédérateurs », selon l’expression du directeur général adjoint du Groupe Figaro, sont en parfaite adéquation avec les lecteurs CSP+ des titres maison. Leurs contenus multimédias sont déclinables sur le Web, sur le papier et sous la forme d’événementiels (Solitaire du Figaro pour la voile, Trophée du Figaro Madame pour le golf, croisières culturelles…) à partir d’un réseau social constitué ad hoc. Un partenariat avec BFM TV devrait donner naissance à un portail vidéo. Un investissement de 10 millions d’euros est prévu en 2011-2012, soit la moitié du résultat net du groupe dont le chiffre d’affaires s’établit autour de 550 millions d’euros en 2011.

Plus modestement, le groupe Bayard, éditeur du quotidien La Croix qui a lancé un fil d’actualité religieuse « Urbi et Orbi », souhaite s’adresser à un public institutionnel par le biais de publications spécialisées et envisage de créer une librairie en ligne.

Fort de la rentabilité de sa filiale Amaury Sport Organisation (ASO) gérant des manifestations sportives comme le Tour de France, le marathon de Paris ou le rallye Dakar et rapportant un quart des 700 millions d’euros de son chiffre d’affaires, le Groupe Amaury va poursuivre ses acquisitions dans les services numériques. Le site du Parisien propose déjà l’accès au Club Deal, un site d’achats groupés acquis au printemps 2011, des petites annonces, des ventes privées, des cours d’anglais et un site de rencontres. Le groupe a lancé un réseau social pour les amateurs du football, Equipe United, espérant ainsi séduire des annonceurs. Autour de la marque Le Parisien, un montant de 20 millions d’euros sera consacré, d’ici à 2014, à la diversification des activités du groupe dans le domaine des services par l’acquisition de sites internet ou de partenariats. En 2014, le numérique devrait représenter 20 à 25 % des revenus du groupe Le Parisien, alors qu’en 2011, 94 % de son chiffre d’affaires de 200 millions d’euros proviennent du papier.

Dans cinq ans, la moitié du chiffre d’affaires du groupe Sud Ouest (Sud Ouest, La Charente Libre…) devrait provenir de ses activités de diversification. En 2011, les activités annexes d’édition, de produits dérivés ou de sites internet représentent 20 % des revenus du groupe. La filiale de produits dérivés S2D (produits Panini, téléphonie mobile, édition…) qui apporte 40 millions d’euros sur un chiffre d’affaires total de 398 millions en 2010 développera ses activités afin de doubler ses revenus dans trois ans. Le groupe Sud Ouest va accentuer sa diversification dans les activités qu’il développe déjà autour du vin et du tourisme : événementiels, salons, services, édition. Des sites internet thématiques, French Wine News en anglais et en mandarin, Pyrénées.com, ont été lancés fin 2011. Une boutique Sud Ouest en ligne propose des produits associés à la marque du groupe (tee-shirts, Une du journal personnalisée…). Avec plus de 10 millions de visiteurs uniques, l’ensemble des sites web du groupe a réalisé un chiffre d’affaires de 4 millions d’euros en 2010. Filiale du groupe Sud Ouest, Les Journaux du Midi (Midi Libre, L’Indépendant et Centre Presse) comptent accroître son chiffre d’affaires, supérieur à 93 millions d’euros en 2011, de deux millions d’euros supplémentaires en développant notamment des services annexes de distribution de journaux nationaux, d’édition de livres locaux et d’organisation de salons autour du vin.

Faisant figure d’exception grâce à une croissance continue pendant les cinq dernières années, Le Télégramme s’est pourtant fixé comme objectif d’accroître ses activités annexes afin que celles-ci atteignent la moitié de son chiffre d’affaires (135 millions d’euros en 2009) contre 35 % en 2010, le quotidien représentant encore les deux tiers de ses revenus. Le Télégramme est particulièrement présent sur le marché des offres d’emploi en ligne avec son site RégionJob.com.

Ailleurs

En Europe, le modèle de rentabilité sur Internet reste le groupe Springer, éditeur du Bild, premier quotidien européen avec plus de 3 millions d’exemplaires vendus à seulement 0,70 euro (et 12 millions de lecteurs), mais aussi premier site d’information allemand avec 10 millions de visiteurs uniques par mois. A la suite du rachat des sites français aufeminin.com, marmiton.org et du portail de recrutement suédois StepStone, le groupe a acquis le français Seloger.com pour 620 millions d’euros en 2011. Les activités du groupe sur Internet représentent plus de 30 % de son chiffre d’affaires. Les ventes numériques ont bondi de 43 % entre juillet et septembre 2011, compensant le faible résultat de la branche papier et assurant une croissance de 12 % des revenus du groupe. En décembre 2011, Springer lance la version française baptisée Bonial, du site allemand kauf.DA racheté quelques mois plus tôt. Ce site ainsi que ses applications mobiles référence les promotions sur les catalogues et prospectus des commerces alentours, ville par ville. En Allemagne, le site, sur lequel deux cents enseignes sont inscrites, est rémunéré pour chaque clic sur un prospectus. En cas de succès sur le marché français, Springer développera le concept en Italie, en Espagne et au Brésil, les recettes numériques pourraient alors dépasser 50 % de son chiffre d’affaires dans cinq ans.

Le quotidien britannique The Guardian lance son édition numérique américaine tandis que le groupe auquel il appartient, a vendu ses journaux régionaux en 2010, faute de revenus publicitaires. Il ambitionne de doubler au cours des cinq prochaines années son chiffre d’affaires issu de ses activités numériques, égal à 47 millions de livres (52,6 millions d’euros) en 2011, par le développement de sites de rencontres, d’offres d’emploi ou de petites annonces.

Le quotidien norvégien Aftonbladet a lancé un service de coaching en ligne proposant des programmes d’amaigrissement ou pour retrouver le sommeil, auquel étaient abonnées, début 2011, 200 000 personnes au tarif de 50 euros par an.

Aux Etats-Unis, le Washington Post possède une filiale d’enseignement et de préparation aux examens générant 60 % de ses revenus.

Une diversification trop poussée est jugée dangereuse par certains éditeurs craignant que celle-ci ne détourne la presse de sa mission d’informer, à l’instar du directeur de l’hebdomadaire Le Point, Franz-Olivier Giesbert3, considérant que ces stratégies permettent seulement de « gagner du temps » et rappelle « qu’avant, l’objectif était de trouver des lecteurs. Aujourd’hui, c’est de trouver de l’argent ». Selon une enquête menée par le cabinet Oliver Wyman et la chaire média de l’ESSEC auprès d’une vingtaine de professionnels du secteur des médias et d’Internet en France, la part du numérique dans le chiffre d’affaires total des médias traditionnels français (presse, radio et télévision) passerait de 3 % en 2010 à 11 % en 2015 ; elle représentait déjà près de 14 % des recettes des médias américains en 2010. Mais la part de la publicité dans leurs revenus irait en décroissant, de 40 % en moyenne en 2010 à 34 % en 2015. Les médias traditionnels ne bénéficieraient pas de la croissance de la publicité sur Internet, leur part sur ce marché se stabilisant autour de 22 à 24 %, tandis que la part de marché publicitaire d’Internet s’établirait autour de 25 % en 2015.

Publicité : la fin du low cost ?

La révolution numérique devrait enfin permettre de clore un débat dépassé. Non, l’information n’est pas un produit comme les autres en raison de sa participation au débat démocratique. Oui, les entreprises de presse sont des entreprises comme les autres car elles n’échappent pas aux règles du commerce. La production d’information générale et politique n’a jamais été rentable et la publicité a toujours financé les entreprises de presse. Pourquoi les annonceurs rechignent-ils à investir dans la presse sur le Net, alors que l’audience est au rendez-vous ?

Les journaux n’ont jamais séduit autant de lecteurs avec le Web, le taux de duplication entre le papier et la version en ligne étant seulement de l’ordre de 20 %. Selon Audipresse Premium, enquête annuelle qui mesure l’audience des quotidiens auprès des cibles privilégiées des annonceurs (cadres, dirigeants d’entreprises et Français les plus aisés), le taux de pénétration du Monde est de 52 %, soit près de 3,9 millions de lecteurs, tous supports confondus (papier, Web, supports mobiles), suivi du Figaro avec un taux de pénétration de près de 43 % et 3,2 millions de lecteurs en 2011. Dans son ensemble, la presse quotidienne revendique une audience de marque (quotidien + suppléments + site web éditorial) de plus de 38 millions de lecteurs selon l’étude EPIQ pour l’année 2010. Alors que l’audience de la presse quotidienne nationale imprimée est inférieure à 8 millions de lecteurs (+0,6 % en 2010 par rapport à 2009), son audience de marque dépasse les 20 millions de lecteurs (+5,3 % en 2010 par rapport à 2009). Ainsi, l’audience supplémentaire apportée au quotidien par tous les supports imprimés et numériques déclinés sous sa marque est de +73,8 % pour Le Figaro, +53,9 % pour Le Monde, +50,1 % pour Libération.

L’information généraliste reste difficile à vendre sur Internet comme sur le papier. Les tensions actuelles proviennent de ce que la publicité sur Internet n’est pas vendue à son juste prix, celle-ci étant dix à vingt fois moins lucrative que celle vendue sur le papier. Et pourtant, les sites web procurent davantage de données sur leurs visiteurs que les éditeurs n’en ont jamais eu sur leur lectorat papier, sans compter que la mesure de l’impact des publicités imprimées est plutôt approximative, alors que l’affichage publicitaire sur le Net est adaptable au profil de chacun. Offrant d’infinies possibilités d’interaction avec le lecteur, la publicité dans les applications pour tablettes des journaux devrait changer la donne.

Internet est devenu support publicitaire à part entière. Au cours des années noires de la publicité, entre 2007 et 2009, les investissements publicitaires totaux chutaient de plus de 8 % tandis qu’Internet bénéficiait d’une croissance publicitaire annuelle de près de 18 %. En 2011, Internet capte environ 18 % du marché publicitaire en France contre 25 à 30 % dans d’autres pays selon l’Observatoire de l’e-pub. Les tablettes ainsi que l’arrivée de la télévi- sion connectée contribueront à sa croissance. Avec seulement 1 % des dépenses publicitaires numériques en France en 2011, l’Internet mobile, support publicitaire à la plus forte croissance (+ 37 %), permet d’envisager pour les annonceurs des techniques de ciblage toujours plus pointues selon le lieu et le moment de la journée. Les réseaux sociaux sont envisagés par les annonceurs comme les vecteurs d’avenir de la publicité. Les tarifs publici- taires de Facebook grimpent à mesure que le nombre de fans augmente. Avec un « coût par clic » (CPC) d’une annonce en augmentation de 74 % entre 2010 et 2011, les revenus publicitaires mondiaux de Facebook devraient passer de 4 milliards en 2011 à plus de 10 milliards de dollars en 2014, faisant du réseau social le premier acteur sur le marché du display.

Face à ces évolutions du marché de la publicité numérique, les annonceurs demandent davantage de garanties quant à la rentabilité de leurs investissements dans la publicité. Ils souhaitent notamment que soit privilégiée une tarification au nombre de clics, « coût par clic » (CPC), selon laquelle l’annonceur ne paie que si l’internaute clique sur la publicité, au détriment de la tarification au « coût pour mille » (CPM), c’est-à-dire le prix à payer par l’annonceur pour 1 000 affichages de son message, pratique classique des supports traditionnels de presse. Alors que les espaces publicitaires sont bradés sur Internet, une meilleure évaluation de la performance publicitaire, évidemment plus favorable à l’annonceur qu’au support, pourrait néanmoins faire grimper les tarifs.

Pour les éditeurs de presse qui ne parviennent pas à obtenir des tarifs plus élevés sur le Web, cette exigence de garantie d’efficacité publicitaire pourrait se révéler contre-productive. Ils font front commun pour valoriser leurs supports avec la volonté de maintenir des tarifs en adéquation avec le profil de leur audience, notamment par le biais d’offres commerciales communes, comme ils le font déjà sur le papier. Aujourd’hui, lefigaro.fr, lemonde.fr et liberation.fr proposent un couplage publicitaire baptisé Daily Power touchant 1 400 000 visiteurs uniques et 544 000 individus CSP+, avec un CPM à partir de 7 euros. A l’instar du New York Times qui a pris le risque d’instaurer un péage à l’entrée de son site web alors que l’ensemble de ses concurrents de la presse généraliste offraient la gratuité d’accès, quels sont ceux, parmi les éditeurs de presse, qui prendront le risque d’engager un bras de fer commercial en fixant eux-mêmes les tarifs publicitaires du display (échappant aux moteurs de recherche) de leurs supports, ces indispensables créateurs de valeur sur le Web dont ils ne bénéficient guère ?

La publicité, Internet et les journaux en France

Sur Internet, les investissements publicitaires continuent de progresser, 23 % en 2008 ; 6 % en 2009, année noire pour les autres médias ; 9 % en 2010 ; 11 % en 2011 pour atteindre plus de 2,5 milliards d’euros. Les prévisions de croissance sont de 8 % pour 2012. Les liens sponsorisés, le « search » (recherche en ligne), constituent plus de 40 % du marché publicitaire sur Internet, suivis des bannières, le « display » (affichage sur les pages web), selon l’Observatoire de l’e-pub. La publicité sur l’Internet mobile connaît la plus forte progression, soit + 37 %, tandis que les investissements sur les réseaux sociaux augmentent. D’un montant de 3,7 milliards d’euros, les recettes publicitaires allant à la presse imprimée, journaux et magazines, ont baissé à nouveau en 2010 de -1,6 %, soit -2,2 % pour la PQR mais +2,3 % pour la PQN, selon l’IREP. Les prospectives pour 2011 comme pour 2012 ne laissent pas entrevoir une reprise significative pour combler les pertes publicitaires subies en 2009 (PQN : -17,7 % ; PQR : -10 %). L’agence média ZenithOptimédia annonce une baisse des investissements publicitaires dans la presse de -2,3 % en 2011 et -3,5 % en 2012. Cependant, dans le détail, les résul- tats sont plus prometteurs. Les grands journaux continuent d’attirer les annonceurs : le groupe Le Figaro a bénéficié d’une progression de 3 % de ses recettes publicitaires en 2011, notamment grâce à son quotidien ; la nouvelle formule de fin de semaine avec des suppléments et M le magazine ont valu au quotidien Le Monde une augmentation de 6,5 % des recettes publicitaires du groupe au second semestre ; avec ses suppléments, Les Echos ont gagné +7 % de revenus publicitaires, +27 % pour le supplément Série limitée et +5 % pour le journal lui-même. Accordant leur confiance aux « marques » de presse, les annonceurs investissent désormais sur tous les supports proposés par celles- ci, y compris sur le numérique. Ainsi la « marque » Le Figaro a vu ses recettes publicitaires sur Internet croître de 20 %, dépassant parfois, sur un mois et hors petites annonces, celles du Figaro Magazine. Outre-Atlantique, l’audience des sites internet des journaux a grimpé de 20 % en un an et leurs recettes publicitaires ont augmenté de 8 % pour atteindre 14 % du chiffre d’affaires publicitaire total, selon une étude publiée par l’Association nationale des journaux (NAA) fin 2011. Si les journaux du groupe New York Times ont perdu 7,5 % de leurs revenus publicitaires au cours du premier trimestre 2011, les sites internet ont en revanche gagné 4,5 % et représentent 28 % du chiffre d’affaires total du groupe.

Pour le Syndicat de la presse quotidienne nationale (SPQN), le partage équitable de la valeur créée sur le Web, entre les éditeurs de presse et les acteurs d’Internet, est devenu « un enjeu de société ». Il en appelle aux pouvoirs publics pour apporter des solutions face au marché qui ne peut s’autoréguler. Avec près de 45 % de part de marché, Google domine la publicité sur Internet. Les acteurs du Net, moteurs de recherche, fournisseurs d’accès et fabricants de matériels, enregistrent 8 milliards d’euros de revenus contre 100 millions d’euros pour les éditeurs de presse. A moins de juger qu’il n’y a pas meilleur gage d’indépendance que de compter exclusivement sur ses lecteurs pour vivre, comme Edwy Plenel, président du site Médiapart qu’il a lancé en mars 2008. Si le ton du « Canard enchaîné du Web » n’est pas du goût des annonceurs, le site a trouvé son modèle économique, comme son homologue sur le papier avec une diffusion de près de 500 000 exemplaires par semaine. Avec 58 000 abonnés générant 95 % des revenus, les 5 % restants provenant de la revente de contenus, le chiffre d’affaires de Médiapart s’établit à 5 millions d’euros, + 66 % sur un an, pour un résultat net de 500 000 euros en 2011. Le site d’information emploie une soixantaine de personnes, dont 27 journalistes en CDI, auxquels il faut ajouter de nombreux pigistes.

Sources :

1. « L’information, un produit comme les autres », débat organisé par le CFPJ et INA Expert, Palais Brongniart, 6 janvier 2012.

2. « Les nouvelles pratiques du journalisme », 3e conférence internationale, Ecole de journalisme de Sciences Po et Graduate School of Journalism of Columbia, Sciences Po Paris, 2 décembre 2011.

  • « Les groupes de presse cherchent d’autres sources de revenus que les médias », Xavier Ternisien, Le Monde, 17 février 2011.
  • « SXSW’11 : la grande expérience des sites payants », Marie-Catherine Beuth, lefigaro.fr, 12 mars 2011.
  • « EPIQ 2010 : l’audience de la presse quotidienne stable en 2010 (-0,3 %) par rapport à 2009 », La Correspondance de la Presse, 21 mars 2011.
  • « « Le Télégramme » part à l’assaut du mobile », P.L. et H.P., Le Figaro, 31 mars 2011.
  • « Le New York Times annonce plus de 100 000 abonnés à son nouveau site payant », AFP, tv5.org, 21 avril 2011.
  • « La presse apprend à nager dans le courant du Net », Frédérique Roussel, Libération, 26 mai 2011.
  • « « Le Temps » : le passage à un site payant a fait augmenter de 67 % les revenus publicitaires », La Correspondance de la Presse, 26 mai 2011.
  • « Facebook Credit : le réseau social modifie sa politique après une plainte antitrust », Christophe Auffray, ZDNet France, zdnet.fr, 8 juillet 2011.
  • « « Le Parisien » veut tirer 25 % de ses revenus du numérique », Sandrine Bajos, La Tribune, 11 juillet 2011.
  • « « Le Figaro » lance une série de sites thématiques sur Internet », Xavier Ternisien, Le Monde, 13 septembre 2011.
  • « Sud Ouest veut accroître ses diversifications qui devraient représenter la moitié de son chiffre d’affaires dans cinq ans », La Correspondance de la Presse, 6 octobre 2011.
  • « Le « Financial Times » confiant dans son modèle économique », A. F., Les Echos, 14 octobre 2011.
  • « Premier bilan positif pour le site Internet de « New York Times », devenu semi-payant », Xavier Ternisien, Le Monde, 18 octobre 2011.
  • « Le « Guardian » revoit son modèle à l’occasion du lancement de son application iPad », T. de B., La Tribune, 25 octobre 2011.
  • Demain, le journal s’achètera en Facebook Credits », Marie-Catherine Beuth, lefigaro.fr, 26 octobre 2011.
  • « Les activités sur Internet dopent les résultats d’Axel Springer », Cécile Boutelet, Le Monde, 9 novembre 2011.
  • « « Le Monde », première marque de presse », Le Monde, 23 novembre 2011.
  • « Chez Amaury, Carli réinvente le quotidien », Géraldine Meignan, L’Expansion, novembre 2011.
  • « La presse à l’ère numérique : comment ajouter de la valeur à l’information ? », Centre d’analyse stratégique, Premier ministre, La note d’analyse, Questions sociales, n° 253, novembre 2011.
  • « Springer lance un site recensant les promotions ville par ville », Frank-Paul Weber, La Tribune, 2 décembre 2011.
  • « « Le Figaro » lancera en avril un nouveau portail thématique, le « Figaro nautisme » », La Correspondance de la Presse, 5 décembre 2011.
  • « L’Internet et les réseaux sociaux, locomotives du marché de la pub », Sandrine Bajos, La Tribune, 7 décembre 2011.
  • « Les pouvoirs publics doivent réguler la répartition des revenus publicitaires entre éditeurs de contenus et groupes internet, estime le SPQN », La Correspondance de la Presse, 14 décembre 2011.
  • « Les crédits Facebook, révolution du paiement en ligne ? », Boris Manenti, tempsreel.nouvelobs.com, 21 décembre 2011.
  • « Numérique et diversification, nouveaux défis des médias français », Anne Feitz, Les Echos, 21 décembre 2011.
  • « Médiapart : le modèle payant a gagné », Emmanuel Berretta, lepoint.fr, 21 décembre 2011.
  • « Le bilan en demi-teinte des quotidiens qui ont basculé au « tout-numérique » », Anne Feitz, Les Echos, 22 décembre 2011.
  • « Comment Médiapart est devenu rentable », interview d’Edwy Plenel, Marc Baudriller, challenges.fr, 2 janvier 2012.
  • « Les débuts minimalistes de France-soir.fr, le site qui remplace le quotidien », Guy Dutheil, Le Monde, 4 janvier 2012.
  • « La publicité numérique pourrait connaître une revalorisation tarifaire en 2012 », La Correspondance de la Presse, 6 janvier 2012.
  • « Publicité : ces journaux qui tirent leur épingle du jeu », Anne Feitz, Les Echos, 9 janvier 2012.
  • « France : la publicité sur Internet en progression de 11 % en 2011 », AFP, tv5.org, 11 janvier 2012.
  • « La publicité sur Internet ne connaît pas la crise », A.F, Les Echos, 12 janvier 2012.

 

3. Génération de l’instantanéité

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La population des internautes a été multipliée par 2,5 en dix ans. Plus de 7 Français sur 10 utilisent Internet en 2010. Le taux de pénétration d’Internet fixe ou mobile est de 90,5 % parmi les individus âgés de 15 à 49 ans en 2011, selon l’institut Médiamétrie. Les lecteurs de la presse imprimée sont majoritairement devenus des internautes. Cependant, s’ils utilisent de plus en plus Internet, les Français continuent d’avoir une nette préférence pour les médias traditionnels, en particulier pour la télévision.

Les moins de 25 ans représentent un quart de la population internaute. Ces nouvelles générations, les « Y » (à prononcer Why) nés entre 1981 et 1996 qui ont grandi avec Internet ou encore les « Z », plus jeunes, nés au tournant des années 2000, également baptisés les « C » parce qu’ils sont connectés, communicants, contenus-centrés et communautés-orientés, sont avant tout des internautes, avant d’être des lecteurs occasionnels de la presse imprimée pour les plus âgés d’entre eux.

L’audience grimpe sur le Web, y compris celle des sites de la presse quotidienne (voir REM n°20, p.36). Leaders sur le marché de l’information générale en ligne, les sites de presse n’ont jamais connu une si forte audience et celle-ci ne cesse de progresser. En France, environ 6,6 millions d’internautes consultent quotidiennement les sites d’information en mars 2011, dont l’audience a progressé de 16 % en moyenne quotidienne par rapport à mars 2010, selon Médiamétrie/Netratings. Les sites lefigaro.fr et lemonde.fr dépassent chacun largement les 6 millions de visiteurs uniques en mars 2011.

En outre, les Français qui lisent la presse sur Internet n’abandonnent pas pour autant le papier. La part du numérique dans leur temps de lecture de la presse est de 53 % contre 47 % pour le papier, selon le baromètre REC de GfK en partenariat avec l’AFP du premier trimestre 2011. Seuls 11 % d’entre eux consacrent leur temps de lecture de la presse exclusivement aux contenus numériques. Près de 80 % des lecteurs de presse numérique privilégient les sujets d’actualité, la presse quotidienne nationale étant le premier type de presse consommé pour 60 % d’entre eux, loin devant la presse quotidienne régionale (33 %) et les hebdomadaires d’information (25 %).

Néanmoins, les médias traditionnels ont toujours la faveur des citoyens. Mais les nouveaux usages en ligne se développent de façon irréversible. Internet est en passe de devenir le principal mode de consommation de l’information pour les plus jeunes et sera la norme pour les futures générations.

Nombre d’enquêtes attestent ce bouleversement des usages en matière d’accès à l’information. Si les chiffres varient d’un sondage à l’autre, ils dévoilent une même tendance : la superposition d’Internet sur les autres médias.

Grands carrefours de l’information et temps réel

Selon une étude Ipsos/20 Minutes de novembre 2011, 85 % des Français s’informent au moins une fois par jour et près d’un Français sur deux plusieurs fois par jour. Plus de 80 % des Français jugent important d’être informés en temps réel. Les Français consultent en moyenne 15 sources médias d’information différentes et parmi leurs critères de choix, 60 % évoquent la possibilité de consulter un média « quand je veux » et 48 % optent pour la gratuité. Les 15-24 ans partagent l’information par mails, sur les forums et les réseaux sociaux (86 %), réagissent à l’information en postant des commentaires (78 %) et déclarent produire eux-mêmes des contenus d’information en publiant en ligne (50 %). Mais 30 % des Français estiment être « exposés à trop d’informations ». En outre, la note de confiance moyenne que les Français accordent aux médias en général est de 5,7/10, car ils les accusent de parisianisme, d’élitisme, de manque de pertinence et de défaut d’objectivité.

Selon une nouvelle étude baptisée Actu24/7, menée par Médiamétrie en novembre-décembre 2011, les médias traditionnels restent les sources privilégiées des Français pour suivre l’actualité : 90 % d’entre eux regardent le journal télévisé au moins une fois par jour en semaine, suivi des chaînes d’information en continu qui occupent la deuxième place, puis des radios généralistes écoutées quotidiennement par 60 % des « actuphiles ». Si la chronologie des médias d’information traditionnels reste inchangée dans la vie quotidienne des Français, la radio restant le premier média du matin entre 6 heures et 9 heures, la presse imprimée étant en deuxième position dans cette tranche horaire et la télévision le principal média d’information à partir de 18 heures, Internet concurrençant cette dernière après 20 heures. L’Internet mobile, quant à lui, est consulté tout au long de la journée. Par ailleurs, une personne sur trois suivant l’actualité assidûment, consulte les réseaux sociaux chaque jour.

En ce qui concerne plus particulièrement l’actualité politique, 71 % des Français regardent la télévision au moins une fois par semaine, 56 % écoutent la radio, 33 % consultent Internet et 23 % lisent la presse écrite. Internet fait jeu égal avec la radio pour les moins de 35 ans, respectivement 40 % et 44 % des jeunes interrogés, selon le baromètre « Enjeux numériques » de Microsoft/Ipsos-Logica Business Consulting publie en novembre 2011. Si Internet devance la presse écrite, il ne semble pas pour autant bénéficier de la pleine confiance des Français en matière d’actualité politique : 87 % d’entre eux considèrent que le Web « facilite les rumeurs et les fausses informations » et 72 % trouvent qu’il est « difficile d’identifier les sources ». Ainsi, les grands portails d’actualité et les sites des médias traditionnels ont la préférence de près de la moitié des Français interrogés (respectivement 51 % et 46 %) en matière d’actualité politique, contre seulement 11 % pour les pure players. Seulement 17 % des Français plébiscitent les réseaux sociaux, 6 % les forums et les blogs, 4 % les sites collaboratifs. Tandis que plus du tiers des moins de 35 ans déclarent utiliser les réseaux sociaux pour suivre l’actualité politique, 58 % d’entre eux disent vouloir consulter les blogs des candidats à l’élection présidentielle pour s’informer et 21 % pensent discuter de la campagne en ligne.

Une étude publiée par Lightspeed Research en décembre 2011 montre que la presse en ligne et Facebook entament la prédominance des médias traditionnels sur le marché de l’information en France, au Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, en Allemagne. Les sites d’information en ligne s’intercalent désormais entre la télévision et la radio, devenant ainsi la deuxième source d’information, reléguant les journaux imprimés gratuits et payants à la troisième ou quatrième place en France et au Royaume-Uni, pays où les sites d’information en ligne font jeu égal avec la radio, mais où Facebook et Twitter sont désignés comme source d’actualités pour respectivement 15 % et 6 % des personnes interrogées contre 9 % et 2 % en Allemagne et, respectivement, 6 % et 1 % en France. En Allemagne, les sites d’information en ligne passent après la télévision et la radio, juste devant les journaux imprimés payants qui constituent une source d’information pour 37 % des personnes interrogées contre 31 % au Royaume-Uni et seulement 11 % en France. Cette étude confirme également que la consommation d’information en ligne est particulièrement marquée au sein de la population âgée de 18 à 34 ans : 30 % des jeunes anglais consultent les actualités sur Facebook au moins une fois par semaine, 17 % des jeunes allemands et 11 % des jeunes français.

Les médias traditionnels et les médias en ligne occupent désormais une place quasiment équivalente dans la vie quotidienne des Français, sans pour autant remplir la même fonction puisque 76 % d’entre eux déclarent consulter Internet pour obtenir des informations complémentaires de celles préalablement reçues par le biais de la radio ou de la télévision. Il semble cependant que le basculement vers le tout numérique soit en train de se faire chez les 18-34 ans pour lesquels la radio est dépassée par les sites d’information en ligne tandis que l’écart avec la télévision se resserre ostensiblement. Plus de 10 % des jeunes français ne regardent plus du tout les actualités sur le petit écran. La télévision reste la source d’information principale pour 46 % des 18-34 ans contre 30 % pour les sites d’information en ligne, 12 % pour la radio, 6 % pour les journaux imprimés gratuits, 4 % pour Facebook, 2 % pour les journaux imprimés payants et 1 % pour Twitter.

Quant aux applications médias, leur usage en France semble s’inscrire dans des habitudes de consommation des médias bien ancrées, puisque leurs temps forts de consultation correspondent aux carrefours d’audience des médias traditionnels. Ils se situent entre 8 et 9 heures (9,2 % des visites d’un jour de semaine), comme pour la radio, et entre 20 et 21 heures (13,5 % des visites d’un jour de semaine), comme pour la télévision. Selon la société AT Internet qui a réalisé cette étude en octobre 2011, « les hypothèses liées au comportement peuvent être nombreuses : cœur de cible différent des médias plus traditionnels qui se retrouve davantage dans l’accès à l’information proposé par les applications, substitut lors de situations particulières (déplacements par exemple), complément aux autres médias, etc. ».

La pratique des médias en ligne s’est imposée. Le développement du streaming pour la radio ou de la télévision de rattrapage en témoignent. La France compte près de 40 millions d’internautes, soit plus de 6 Français sur 10, qui passent en moyenne 28 heures par mois sur le Web (source : comScore). Mais c’est désormais la manière dont les internautes naviguent sur le Web à partir des réseaux sociaux qui représente un défi important pour les médias. Leur fréquentation est en hausse, en nombre de visites et en temps passé (voir REM n°18-19, p.41). En France, plus d’un internaute sur deux est inscrit sur un réseau social en 2011. Facebook totalise plus de 16 millions de fans actifs (65 % des inscrits) fin 2011, c’est-à-dire membres d’au moins une page fan d’une marque, d’une association, d’une personnalité dont ils suivent les publications, se connectant pour la plupart d’entre eux au moins une fois par jour, selon Harris Interactive. En outre, plus de trois fans actifs sur cinq ont moins de 35 ans, plus d’un tiers a moins de 25 ans. Les médias, avec en tête la télévision suivie de la radio et du cinéma, constituent l’univers le plus suivi sur Facebook par plus de 40 % des fans – après la catégorie des pages des personnalités et devant celle des organismes, associations, à égalité avec les sites internet culturels ou de jeux -. La nouvelle façon de consulter les médias introduite par Facebook (voir REM, n°20, p.36 et p.37) n’était même pas envisageable il y a cinq ans, alors que les réseaux sociaux émergeaient à peine dans l’incrédulité générale quant à leur avenir. Avec l’Open Graph de Facebook (voir supra), les internautes ont désormais la possibilité de partager en direct leurs activités médias en indiquant à leurs amis ce qu’ils sont en train de voir, d’écouter ou de lire. Au bouton « j’aime », s’ajouteront désormais « j’écoute », « je regarde », « j’ai visité » ou encore « j’ai vu et je n’ai pas aimé », au gré de l’imagination marketing des développeurs. L’Equipe, L’Express et NRJ sont les premiers médias traditionnels français à se lancer dans cette nouvelle « expérience ». La recommandation sur Internet est devenue un mode de diffusion des médias à part entière, avec Facebook comme passage obligé.

Pour expliquer la crise, il a souvent été reproché aux journaux de ne plus s’adresser suffisamment à leurs lecteurs. Pour assurer l’avenir de la presse, il s’agit immanquablement pour les éditeurs d’œuvrer dorénavant avec un esprit de prospective afin d’anticiper les attentes des générations internautes. Quelle presse écrite, demain, pour les digital natives, alors que les vidéos sont en passe de représenter la moitié du trafic sur Internet ? Après le Web, les téléphones portables et les tablettes, le prochain écran de lecture sera celui de la télévision connectée à Internet, notamment grâce à la puissance des réseaux sociaux, comme le prédit Bernard Pecquerie, secrétaire général du Global Editors Network (GEN) dont le prochain sommet au printemps 2012 aura pour thème principal : « Adopter une stratégie quatre écrans : portables, tablettes, ordinateurs, télévision connectée ».

Au demeurant, la presse passe déjà à la télévision. Le Wall Street Journal a lancé en septembre 2011 une application gratuite pour tablettes et téléviseurs connectés. WSJ Live diffuse près de quatre heures quotidiennes d’émissions en direct. Avec cette nouvelle vitrine, le Wall Street Journal s’ouvre davantage à l’actualité générale, tout en mélangeant analyses et breaking news, afin d’accroître le nombre de ses lecteurs.

Sources :

  • « Facebook devient un passage obligé pour les sites d’information », Xavier Ternisien, Le Monde, 9 avril 2011.
  • « Baromètre REC (Reference E-Content), 1er trimestre, vague 3 », GfK/AFP, gfkrt.com, avril 2011.
  • « Facebook veut permettre la lecture d’articles de presse sur ses pages », Nicolas Rauline, Les Echos, 20 juillet 2011.
  • « Actualité politique : les Français préfèrent Internet à la presse écrite, les grands portails sont plébiscités au détriment des pure players », La Correspondance de la Presse, 17 novembre 2011.
  • « Les Français et l’information à l’occasion de l’élection présidentielle », étude 20 Minutes avec IPSOS, 44 p., novembre 2011.
  • « Actu24/7 : nouvelle étude de Médiamétrie sur l’information et l’actualité », communiqué de presse, mediametrie.fr, 8 décembre 2011.
  • « Accès à l’info : les médias traditionnels priment, la presse en ligne perce », Marie-Catherine Beuth, lefigaro.fr, 13 décembre 2011.
  • « 20-21h : le prime time des applications médias », AT Internet, atinternet.com, 15 décembre 2011.
  • « Pratiques culturelles, 1973-2008 », Olivier Donnat, DEPS, ministère de la culture et de la communication, culture.gouv.fr/deps, p.9-10, 36 p., décembre 2011.
  • « Qui sont ces Français fans de pages sur Facebook ? », communiqué de presse, Harris Interactive, harrisinteractive.fr, 9 janvier 2012.
  • « « Adopter une stratégie quatre écrans : portables, tablettes, ordinateurs, télévision connectée » sera la thématique principale du second News World Summit qui se tiendra au printemps à Paris », La Correspondance de la Presse, 18 janvier 2012.

 

4. Breaking News versus Op-Ed

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Le passage de l’ancien au nouveau monde ne se fait pas sans dégâts. Les bouleversements qui affectent la collecte, la fabrication, la distribution et la réception de l’information remettent en cause l’ordre ancien, déjà fragile. Néanmoins, le monde de la presse d’information doit plus que jamais revenir aux fondamentaux du journalisme. L’enjeu n’est pas dans les supports mais dans les contenus : les contenus sont rois. Peu importe le support, pourvu qu’on ait le contenu. Les nouveaux outils inventent de nouvelles pratiques mais, dans le fond, ils ne changent rien. Les structures entrepreneuriales prennent des formes inédites mais les journalistes exercent toujours le même métier, mieux même, avec davantage d’instruments à leur disposition (voir REM n°17, p.54). Le journaliste professionnel reste celui qui fait l’information. Il est l’indispensable passeur ayant notamment pour mission de faire le tri dans un flux informationnel continu et grossissant.

L’information n’a pas de prix, l’information n’a pas de valeur commerciale, l’information n’est pas une marque, signe accolé sur les marchandises afin de les identifier. Elle est vraie, vérifiée, expliquée, commentée ou elle n’est pas, à moins de la confondre à tort avec la rumeur (le buzz) ou la publicité. La valeur ajoutée de l’information, c’est l’expertise journalistique.

Le pire ennemi du journaliste, aujourd’hui, n’est certainement pas la technologie numérique elle-même, quel que soit le véhicule que les octets empruntent, mais la temporalité qu’elle impose. Le temps de l’enquête, le temps de la réflexion, le temps de l’écriture et le temps de la lecture sont incompatibles, par nature, avec la nouvelle échelle du temps née d’Internet, des réseaux sociaux et de Twitter en particulier, dite du temps réel. C’est dans cette nouvelle temporalité que réside la renaissance du journalisme aujourd’hui. L’instantanéité du numérique révolutionne les structures mêmes de l’entreprise de presse, rendant obsolètes les temps de fabrication et de livraison de la version imprimée du journal. « L’actualité » n’a jamais porté aussi bien son nom grâce aux réseaux sociaux qui la relayent 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.

Internet vit sous le règne de l’innovation permanente. Qui aurait pu imaginer, ne serait-ce qu’il y a cinq ans, les succès numériques d’aujourd’hui ? « Presse écrite » ne rime déjà plus avec « journal ». L’entreprise de presse ne sera plus ce qu’elle croit être encore. Elle se métamorphose en plate-forme multimédia, en agence d’information délivrant textes, images et sons, en plusieurs langues, pour écran mobile.

Les grands carrefours de l’information seront peu à peu désertés, remplacés par des flux continus délivrés par le biais d’une multitude de canaux. La lecture du quotidien du matin se fait après le dîner, peu importe ! Mais ce que l’information a gagné en accessibilité, elle ne peut pas le perdre en qualité. La question n’est plus de savoir si Internet est une solution pour la presse, mais comment expérimenter l’infinie diversité des modes de fabrication et de diffusion de l’information. Internet redonne vie à l’information. L’actualité, somme des nouvelles ou des événements, n’est plus à vendre sur Internet, les sources sont trop nombreuses et la gratuité est devenue la règle. En revanche, l’information, définie comme cette institution née avec les quotidiens au XIXe siècle, qui a inventé une discipline journalistique dont l’objet est de donner du sens par la mise en forme et la mise en perspective, est monnayable. Plus de quinze ans après les premiers essais sur le Web, le basculement a enfin lieu. Un temps immobilisés par naïveté, par trop d’assurance ou par peur de l’innovation, les éditeurs de la presse quotidienne ont installé sur la Toile les contenus qu’ils déclinaient autrefois sur le papier et bien davantage encore, parfois au risque de s’y perdre, avec des offres en ligne de sites thématiques grand public ou spécialisés en tout genre, en quête de ressources publicitaires. Le temps est venu du renouvellement continu, de l’invention permanente, notamment afin de trouver l’équilibre entre la gestion des anciennes structures et celle des activités numériques, au moins jusqu’à ce que l’économie de ces dernières ne l’emporte définitivement sur celle des premières. Dans quelle mesure ? Dans combien de temps ? Les futures générations trancheront.

Internet aura mis en place, et de façon irréversible, une dualité nouvelle, celle de l’actualité et de l’information ou encore des Breaking news et des Op-ed (opposite the editorial page). « Avec Internet, s’est ouvert l’âge d’or des éditorialistes » explique l’ancien directeur du Monde Jean-Marie Colombani2, éditeur de Slate.fr et SlateAfrique.com, « avec une multiplication des points de vue et des éclairages, des approfondissements ». L’innovation ne s’arrête pas à la technique, elle doit être mise aussi au service de l’information. En balayant le modèle selon lequel la radio annonce, la télévision montre et la presse écrite explique, Internet instaure une circulation de l’information à deux vitesses mais dominée par le live, le temps réel et le refresh (mise à jour des pages web).

Dans la masse d’informations accessibles par rapport au « temps de cerveau disponible », la question de la fabrication de l’information ne passe pas avant l’information elle-même. On passe de l’info en 24 heures à l’info instantanée. « Il ne faut pas inverser les priorités en répondant d’abord à comment publier plutôt que « que dois-je publier ? » », défend Patrick de Saint-Exupéry1. Un traitement de l’information à plusieurs niveaux impose une rigueur et un contrôle renforcés de la qualité. « Dans une société de l’information, ce qui est rare, ce n’est pas l’info, mais l’attention des consommateurs. […] Toute marque veut capter l’attention », explique Christian Salmon1, membre du CRAL/CNRS et chroniqueur à M, Le magazine du Monde. Mais le lecteur peut-il rester maître de son temps de lecture, de compréhension à l’heure des flux ? Le cumul des écrans réduit forcément le temps et donc l’attention qu’il porte à chacun. Un arbitrage qui se traduit pour les jeunes consommateurs par le multitâche (multi-tasking), cette façon de pratiquer plusieurs activités en même temps.

Une dualité s’impose correspondant aux différents usages ou « niveaux d’engagement » dans la lecture de l’information. Les faits, les événements seront véhiculés par des flux multiples, le live des pages web, les applications mobiles, les pages Facebook, les comptes Twitter et tous leurs équivalents à venir. Tandis que les enquêtes, les dossiers, les éditoriaux seront monnayés sur les sites web « rich media » des journaux et dans les éditions papier, peut-être à l’avenir moins nombreuses et moins abondantes.

Ainsi, le quotidien britannique The Guardian a choisi une répartition selon laquelle les articles longs vont à la version imprimée et l’actualité chaude au Web. Libérés des contraintes du papier, les journaux peuvent aussi investir l’étendue infinie du Web pour diffuser des enquêtes au long cours, comme Le Monde avec les reportages de « L’Année en France » (voir supra). Changer le mode de diffusion du contenu équivaut aussi à réinventer le contenu, comme le prouve l’application The Atavist, compromis réussi entre le livre et l’article court. De la première rencontre de la presse avec Internet, sont nés des sites dits « compagnons », version numérique du journal. Désormais, ce sont les développements sur le Web qui s’accompagnent d’une version imprimée. Au sein de la rédaction de l’édition française du quotidien gratuit Metro, une quarantaine de journalistes vont désormais travailler en priorité pour le Web en pratiquant le reverse publishing, principe selon lequel le choix des articles pour l’édition papier se fait en fonction des contenus publiés en ligne la veille.

Cette nouvelle dualité donne toute sa valeur à l’information issue de l’enquête et du reportage, trouvant sur le Net des plages d’expression infinies et des perspectives nouvelles. Le flux continu d’actualités, les news, engendre plus que jamais un besoin d’explications, de jugements, de partis pris différents. Opposer l’actualité à l’information, l’instantanéité au temps, le « refresh » à la lecture, ouvre le champ des possibles pour la presse écrite. Les bastions s’écroulent. La radio a perdu la primeur de l’annonce, la télévision n’est pas la seule à mettre en images, la presse écrite n’a plus le monopole du commentaire et le journaliste n’est plus le seul à faire du journalisme. Dans le mainstream de l’actualité, une pause, une déconnexion, est nécessaire pour laisser place à l’information. Entre tout ce qui est dit, contredit, redit, contredit à nouveau tout au long d’une journée sur les sujets les plus sérieux touchant au monde qui nous entoure, le citoyen a besoin de recul, d’explications et de synthèse pour comprendre. Le succès de la revue XXI le confirme, cumulant en apparence toutes les difficultés : imprimée, articles longs, diffusion en librairie, vendue 15 euros, sans publicité, sans page Facebook active, ni compte Twitter et, de surcroît, trimestrielle.

Un jour prochain, la presse rendra peut-être hommage à Internet de lui avoir rendu ses lettres de noblesse. La palette de nouveaux outils disponibles sur le Web devrait servir à enrichir l’information. La technologie n’est que ce que l’on en fait. Les apports du journalisme de liens, du data-journalisme et du fact-checking dans le traitement journalistique sont incontestablement modernes, ils vont dans le sens de la didactique et de la recherche de la vérité. En revanche, l’usage des algorithmes aidant les journalistes à s’adapter au mieux au référencement des moteurs de recherche (voir REM n°17, p.54) répond à une logique qui se rapproche plus de la communication que de l’information. « La créativité sans stratégie, c’est de l’art. La créativité avec stratégie, c’est de la pub » selon la formule énoncée par Christian Salmon1 qui pourrait être paraphrasée ainsi « L’information sans stratégie, c’est du journalisme. L’information avec stratégie, c’est du marketing ». Il en va de la responsabilité de chacun des acteurs, journaliste, responsable éditorial et éditeur, de repenser ensemble ce qu’il faut abandonner ou bien garder de l’ancien monde afin de permettre cette « renaissance » de la presse rendue possible par les techniques numériques.

N’enterrons donc pas la presse ! L’information est une « exception culturelle » et les entreprises de presse ne seront pas son sanctuaire. Pas plus que le numérique n’est son fossoyeur. Le journal du XXIe siècle est en train de s’inventer sur le Web comme sur le papier. Un support ne va pas sans l’autre pour les journaux traditionnels au moins, car ils correspondent chacun à un contrat de lecture singulier. Sur le papier, la presse trouve son identité par l’analyse en profondeur des sujets. Avec sa Une, ses titres, ses photos, le journal reste un objet à découvrir.

Comme la salle de cinéma pour les films, le kiosque est la vitrine de la presse en assurant sa visibilité. Les pure players de l’information en ont pris la mesure, à l’instar de Rue89 avec son magazine mensuel imprimé lancé en juin 2010 rapportant un tiers de son chiffre d’affaires, et son mariage avec le groupe Nouvel Observateur en décembre 2011. Sur le Web, les sites compagnons des quotidiens, version « beta » copiée-collée sur celle du papier, ont fait long feu.

Tout reste à inventer sur le Web par des processus de narration nouveaux, « une expérience utilisateur » inédite pour employer le langage des spécialistes de marketing. En investissant à la fois dans la technique et dans le journalisme, simultanément dans le hard et le soft, le premier étant de toute évidence au service du second, la presse écrite d’information est sans doute à la veille d’une renaissance.

Sources :

1. « L’information, un produit comme les autres », débat organisé par le CFPJ et INA Expert, Palais Brongniart, 6 janvier 2012.

2.  « Les nouvelles pratiques du journalisme », 3e conférence internationale, Ecole de journalisme de Sciences Po et Graduate School of Journalism of Columbia, Sciences Po Paris, 2 décembre 2011.

  • « Le modèle économique du Guardian change », Françoise Benhamou, livreshebdo.fr, 28 juin 2011.
  • « « Metro France » fait sa révolution Internet », E.R., Le Figaro, 16 novembre 2011.

 

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