Après celui des navigateurs, le marché des moteurs de recherche devient plus concurrentiel

Devenu concurrentiel depuis que Firefox a bousculé l’hégémonie d’Internet Explorer, le marché des navigateurs fait face aujourd’hui à un nouveau défi, celui de l’Internet mobile où le système d’exploitation décide souvent de la nature de l’écosystème logiciel utilisé. Face au risque d’un contrôle total de la navigation sur Internet par des logiciels propriétaires, la fondation Mozilla annonce son positionnement sur l’Internet mobile. Dans la recherche, l’histoire se répète avec une remise en question de l’hégémonie de Google Search sur l’Internet fixe grâce à l’inventivité de Microsoft, mais surtout dans l’univers mobile. Sauf que ces menaces, à chaque fois, se traduisent par une fermeture accrue du Web, qu’il s’agisse des offres de Facebook, de Twitter, mais désormais également de celles de Google qui crée, après ses concurrents, son propre écosystème.

Navigateurs : une course à l’innovation qui a ravivé la concurrence

A la fin des années 1990, le marché des navigateurs était concurrentiel, opposant le géant Netscape, contrôlé par Yahoo!, au navigateur Internet Explorer de Microsoft. Le couplage de ce dernier à Windows dès 1998 a brusquement changé la donne et fait d’Internet Explorer le navigateur en situation de quasi monopole dans la première moitié des années 2000. Pour Microsoft, l’intégration était idéale avec le contrôle du système d’exploitation des PC, à plus de 90 % équipés de Windows au début des années 2000, et du navigateur, c’est-à-dire le contrôle à la fois de l’univers de l’ordinateur et de celui du Web, les deux marchés grand public de tout éditeur de logiciels. En effet, bien qu’un navigateur ne soit pas une source directe de revenus, son contrôle est essentiel car il s’agit du premier clic par lequel l’internaute se connecte au Web, ce premier clic supposant l’entrée dans un univers logiciel où le détenteur du navigateur peut imposer ses standards, ses services et suivre tout au long de chaque session la navigation de son utilisateur, une information précieuse pour proposer ensuite de la publicité ciblée.

Mais cette position dominante de Microsoft sur le marché des navigateurs a été attaquée de toutes parts. Les autorités de concurrence européennes, après une lourde condamnation en 2007 (voir REM n°4, p.4), se sont finalement mises d’accord avec Microsoft pour qu’il mette fin au couplage de Windows et d’Internet Explorer. Ainsi, depuis le 17 mars 2010, un « Ballot Screen », c’est-à-dire une fenêtre de choix entre douze navigateurs, est proposé aux internautes ayant Internet Explorer par défaut et à tous les nouveaux acheteurs équipés d’un PC sous Windows. La fenêtre de choix arrive cependant assez tardivement car, en 2010, le marché des navigateurs est redevenu concurrentiel et Microsoft s’y trouve à terme menacé. Ainsi, en décembre 2009, la part de marché d’Internet Explorer en Europe n’était déjà plus que de 58,6 % selon AT Internet, devant Firefox (29,4 %), Safari d’Apple (5 %) et Chrome de Google (4,1 %). En août 2011, Internet Explorer ne contrôlait plus que 49,1 % du trafic sur les sites web européens, Firefox 29,5 %, Chrome était passé à 10,9 % et Safari à 7,4 %. Autant dire qu’Internet Explorer est sous le feu de nouveaux concurrents qui ne sont pas dus à la seule fenêtre de choix. Firefox était déjà parvenu à s’imposer avant le 17 mars 2010 en Europe et sa part de marché n’augmente pas significativement, celle-ci baissant même depuis le pic d’août 2011 (30,1 % de parts de marché en Europe). Le navigateur Opéra, à l’origine de la plainte contre Microsoft, disposait d’une part de marché de 2,3 % en décembre 2009 et de 2,3 % en août 2011, c’est-à- dire qu’il n’a pas bénéficié de la fenêtre de choix. En revanche, Chrome de Google et Safari d’Apple s’imposent comme de solides nouveaux entrants, tirés par l’innovation, qui a déjà fait le succès de Firefox, mais également par le développement de l’Internet mobile.

La première révolution sur le marché des navigateurs est due à la fondation Mozilla, qui édite le navigateur Firefox. Ce dernier, grâce aux innovations qu’il a proposées depuis son lancement en 2004, par exemple la navigation avec onglets, est parvenu à s’imposer comme une alternative sérieuse à Internet Explorer avec 20 à 25 % de parts de marché dans le monde fin 2011. En Europe, Firefox équipe environ 30 % des ordinateurs, mais plus de 50 % des ordinateurs dans certains pays, au premier rang des- quels la France, un succès qui a conduit Internet Explorer à passer, en octobre 2010, sous la barre des 50 % de parts de marché en Europe. Firefox, édité par la Fondation Mozilla qui s’est donné pour mission la défense d’un Internet ouvert, s’opposant notamment aux situations de monopole, à l’instar d’Internet Explorer au début des années 2000, a sans doute déverrouillé le marché des navigateurs, son succès ayant entraîné d’autres acteurs à jouer à leur tour la carte de l’innovation face au navigateur de Microsoft. Ainsi, le navigateur Chrome, lancé par Google en septembre 2008, est parvenu à s’imposer en peu de temps au prix d’une campagne de communication importante, mais également grâce à ses innovations : plutôt que de proposer différentes versions, ce qui suppose une réinstallation régulière du logiciel, Chrome repose sur des mises à jour permanentes qui garantissent sa fiabilité, mais également sa rapidité. Ces deux qualificatifs sont des éléments essentiels de performance d’un navigateur, avec l’ergonomie (par exemple la navigation par onglets inventée par Firefox), la capacité à lire facilement tout type de document grâce à l’intégration du HTML 5, enfin la gestion de la vie privée.

Ces innovations à répétition ont ainsi conduit Microsoft à réagir avec la sortie d’Internet Explorer 9 en mars 2011. A cette occasion, Microsoft a reconnu que l’absence de concurrence avant l’arrivée de Firefox l’avait sans doute conduit à proposer un navigateur en deçà des possibilités du Web, à tel point que la version 9 d’Internet Explorer, par ses nouveautés, est incompatible avec les anciennes versions de Windows, à partir de XP, lesquelles équipaient lors de la sortie du navigateur encore plus de 40 % des PC en Europe. Internet Explorer propose donc sans surprise les éléments déjà listés, avec notamment une fonction « Do not track » qui permet aux utilisateurs de conserver comme confidentielles leurs données de navigation et de bloquer la publicité ciblée. Firefox 4, lancé une semaine après Internet Explorer 9, dispose de la même fonction. Google, longtemps réticent, s’est finalement résolu à la proposer le 29 février 2012, juste avant le lancement de sa nouvelle politique de confidentialité (voir infra).

Toutefois, la part de marché de Firefox diminue depuis fin 2011 et celle d’Internet Explorer également, face notamment à Chrome qui comptait, en février 2012, pour 10 % du marché mondial des navigateurs. Cette tendance révèle en creux le fait que le navigateur est désormais et de plus en plus un navigateur utilisé depuis un téléphone mobile. Ainsi, ce sont d’abord Chrome, embarqué dans le système d’exploitation Android de Google, et Safari, le navigateur d’Apple embarqué dans ses iPhone, qui bénéficient du succès actuel des smartphones et de l’Internet mobile. Or, sur ce segment de marché, Microsoft est à la peine (voir REM n°18-19, p.68) et aucune fenêtre de choix n’a été imposée par les autorités de concurrence. C’est justement parce que l’innovation pourrait de nouveau être verrouillée sur Internet, en raison de l’intégration des services et des systèmes d’exploitation des smartphones, que la fondation Mozilla a annoncé en février 2012, lors du congrès mondial du mobile à Barcelone, lancer un système d’exploitation pour mobiles ouvert, baptisé « Boot to Gecko ». Les constructeurs optant pour ce système d’exploitation pourront en modifier l’interface. S’ajoute à Boot to Gecko une boutique d’applications baptisée Market Place et un système de gestion de l’identité numérique baptisé Persona, qui vise cette fois-ci plus spécifiquement les réseaux sociaux, en particulier Facebook.

Autant dire que Mozilla, en cherchant à remettre de la concurrence sur le marché des smartphones de mieux en mieux verrouillé par Google et Apple, et en jouant la carte de la protection des identités numériques pourrait, par effet retour, redonner au marché des navigateurs une vitalité qu’il risque de perdre sur le mobile. Et les mêmes enjeux se retrouvent désormais sur le marché de la recherche en ligne.

Vers une concurrence accrue sur la recherche en ligne ?

Le marché de la recherche en ligne se caractérise par la domination de Google, conquise durant la première décennie du XXIe siècle, sauf dans de rares pays où les acteurs locaux se sont imposés, comme Baidu en Chine ou Yandex en Russie. Toutefois, après une décennie de règne sans partage, Google doit faire face à de nouveaux venus qui tirent profit de la reconfiguration des usages internet, qu’il s’agisse des réseaux sociaux ou de l’Internet mobile. Ainsi, comme sur le marché des navigateurs, l’innovation et les nouveaux entrants pourraient rebattre les cartes du jeu. La concurrence sévit sur tous les fronts, celui de la recherche sur l’Internet fixe où l’alliance de Microsoft et Yahoo! fait émerger un concurrent crédible face à Google, mais également sur les réseaux sociaux. A chaque fois, des manières différentes de recenser les liens et de filtrer les réponses sont testées comme alternatives à l’algorithme généraliste de Google.

Annoncé en juillet 2009, l’accord entre Microsoft et Yahoo ! (voir REM n°12, p.36) est effectif aux Etats-Unis depuis l’été 2010, avant d’être étendu à l’Europe en mai 2012. Parce qu’il permet à Microsoft de prendre en charge les requêtes sur Bing et Yahoo Search, cet accord offre à l’éditeur de logiciel la taille critique nécessaire pour élaborer des statistiques plus pertinentes par mot clé et affiner ses résultats. A vrai dire, cet effet de taille aura surtout profité à Microsoft qui, en décembre 2011, a dépassé son allié Yahoo! aux Etats-Unis avec 15,1 % du marché de la recherche en ligne contre 14,5 % pour Yahoo!. La progression de Microsoft avec Bing aux Etats-Unis est impressionnante, le moteur, lancé en juin 2009, ne disposant à l’époque que de 8 % de parts de marché. Outre l’amélioration des résultats due au traitement de près de 30 % des requêtes aux Etats-Unis en cumulant les recherches sur Bing et Yahoo!, le moteur de Microsoft doit également sa croissance à une série d’innovations qui lui ont permis de se différencier de Google et de prendre l’avantage sur ses autres concurrents. En effet, tout au long l’année 2011, Bing est le seul moteur de recherche à gagner des parts de marché aux Etats-Unis, d’abord au détriment de Yahoo! qui perd 3,1 % de parts de marché en un an, mais également au détriment de Google qui, avec 65,9 % de parts de marché, laisse filer 0,7 % de parts de marché alors même que le nombre de requêtes aux Etats-Unis est en hausse.

Parmi les innovations de Microsoft, l’ergonomie de Bing a été initialement mise en avant, avec une photographie en page d’accueil indiquant le souhait du moteur de recherche d’être autre chose qu’un agrégateur de liens pertinents. Bing favorise notamment la recherche visuelle avec la possibilité de prévisualiser les vidéos vers lesquelles pointent les liens proposés en page de résultats.

Microsoft a également redonné à la recherche dite « verticale » une importance nouvelle en misant sur la recherche qualitative plutôt que quantitative. Alors que les premiers moteurs de recherche, à l’instar de Yahoo Search, étaient issus d’annuaires répertoriant des adresses de sites par thématiques, la recherche généraliste l’a emporté au tournant des années 2000 grâce au succès de l’algorithme de Google. Pour se différencier de Google, Microsoft a réintroduit les résultats par thématiques, le trop-plein d’informations engendré par la recherche automatique conduisant aujourd’hui à privilégier des recherches plus ciblées.

Il s’agit dans ce cas d’améliorer l’expérience de l’utilisateur en réduisant le nombre de clics nécessaires pour trouver la bonne information. A cette fin, Microsoft a dû reconstituer des index thématiques en travaillant la fiabilité de son référencement, ce qui est passé notamment par des partenariats avec des entreprises disposant de bases de données structurées, par exemple avec ITA (un comparateur de vols racheté à l’été 2010 par Google, voir infra) pour proposer des billets d’avion dans la catégorie « voyage » du moteur de recherche. L’internaute accède donc à moins de résultats, mais à des résultats limités à la seule thématique qui l’intéresse et donc avec une garantie de fiabilité plus élevée. En France, Microsoft a ainsi passé des accords avec Pages Jaunes, qui référence trois millions d’entreprises, ou avec Allociné pour les bandes-annonces de cinéma. Pour offrir de tels résultats, le moteur de recherche doit très bien comprendre les requêtes des internautes et donc tendre progressivement vers l’analyse sémantique, une option retenue par Microsoft depuis le rachat du moteur spécialisé Powerset en juillet 2008. A l’inverse, avec l’algorithme de Google, plus la requête comporte de mots, plus la réponse sera complexe pour l’internaute car le nombre de liens va augmenter exponentiellement, Google visant par défaut l’exhaustivité. Par ailleurs, les résultats donnés par Google témoignent toujours de la popularité statistique d’un site, quand ceux basés sur des partenariats sont censés reposer sur l’expertise du partenaire. Reste que Google s’attache à son tour à la recherche sémantique et en a fait, depuis mars 2012, l’un de ses objectifs prioritaires selon Amit Singhal, responsable de la recherche dans l’entreprise.

Enfin, Microsoft a surtout innové en matière stratégique. Le groupe s’est en effet engagé dans une logique de partenariats qui rompt avec le modèle ouvert du Web prôné par Google, modèle qui facilite l’indexation systématique de tous les liens publics sur la toile. En nouant des partenariats exclusifs, Bing exclut Google d’une partie du marché de la recherche et se constitue un domaine réservé, au risque toutefois de voir le Web se morceler entre les différents réseaux de partenaires ou écosystèmes qui pourraient émerger à moyen terme de telles stratégies. En France, Microsoft a ainsi passé un accord avec la Bibliothèque nationale de France (BnF) pour référencer certains de ses ouvrages numérisés (voir REM n°20, p.18). Pour le lancement de Bing dans l’Hexagone, le 1er mars 2011, Microsoft s’est également mis d’accord avec le GIE e-Presse Premium pour mettre en avant, dans ses résultats, les liens des titres de presse, avec leur logo, tout en partageant avec eux les recettes publicitaires générées par la page de résultats. Autant dire que Microsoft s’engage à valoriser ses partenaires dans la recherche, à la condition que les contenus proposés soient fiables et pertinents, une logique contraire à celle de Google chez qui toute valorisation passe par l’achat de liens sponsorisés (sauf cas particulier de la presse anglo-saxonne, voir supra).

Aux Etats-Unis, la logique de partenariats imaginée par Microsoft menace directement Google Search et déterminera probablement la future carte du Web. Il s’agit tout simplement pour Microsoft de déployer des résultats d’un nouveau genre, liés à l’émergence des nouvelles conceptions du Web engendrées par des services comme Facebook ou Twitter, deux services qui voient d’un mauvais œil la domination de Google sur Internet et trouvent en Microsoft un précieux allié. Car la menace principale sur le marché de la recherche vient effectivement de Facebook et Twitter qui tentent chacun de s’imposer comme nouvelles portes d’entrée sur le Web, qu’il s’agisse de recherche sociale ou de recherche en temps réel. En effet, les contenus référencés ne sont plus les mêmes et l’expérience de la recherche est déplacée : elle se déroule de plus en plus dans un univers lié à un service qui impose ses propres règles. Facebook permet une recherche sociale, c’est-à-dire des résultats d’un nouveau genre reposant sur la recommandation. La recherche sociale n’est toutefois pas liée au seul Facebook : d’autres services de recommandation communautaire existent, par exemple le moteur de recherche Blekko où les utilisateurs signalent les informations pertinentes afin, idéalement, d’identifier les 50 meilleurs sites dans les principales catégories de la recherche en ligne. S’ajoutent aux moteurs de recherche communautaires comme Blekko des sites de recommandation appelés parfois aussi « sites de réseaux d’intérêts », à l’instar de Pinterest qui permet aux internautes de constituer leur play list de contenus en fonction de leurs centres d’intérêt, ou encore Quora, un site qui offre des pages de contenus sélectionnés par les internautes, chacune dédiée à un sujet précis.

S’ajoutent à ces nouvelles modalités de la recherche sociale les sites de « curation » (voir REM n°18-19, p.51), ainsi que les sites de recommandation comme les city guides communautaires, à l’instar de Cytivox pour les restaurants en France, de Qype ou de Yelp.

Mais l’accord entre Bing et Facebook va bien au-delà. En effet, en lançant le bouton « J’aime », le 22 avril 2010, Facebook a pris un ascendant sur le Web en demandant à chaque internaute de juger les contenus qu’il découvre à l’occasion de sa navigation. C’est donc une grande partie du Web qui est expertisée en permanence par les quelque 900 millions d’utilisateurs de Facebook – et cette expertise n’est pas publique. Associés depuis 2010, Microsoft et Facebook ont donc conclu un accord d’exclusivité qui, pour l’instant, donne à Bing le droit de référencer les « J’aime » aux Etats-Unis. Microsoft est donc le seul acteur à pouvoir afficher, sous un lien, les « J’aime » des amis de l’utilisateur ayant visité ce même site, doublant donc la recherche algorith- mique d’une recherche sociale qui devient même interactive. L’internaute peut également envoyer directement depuis Bing une demande d’information sur la page Facebook de son ami. Il s’agit d’un avantage décisif pour Microsoft car la recherche sociale peut être plus pertinente que la recherche automatique : si vous cherchez à acheter un bien de grande consommation, l’avis d’amis ou de connaissances comptera certainement plus pour vous que les liens vers différents sites de commerce en ligne que recensera Google par exemple. Microsoft s’est également allié à Twitter pour proposer une recherche d’un genre nouveau, la recherche en temps réel. Là encore, il s’agit de prendre à contrepied le modèle de recherche de Google qui fait monter les liens dans ses pages de résultats à mesure que ceux-ci accumulent de la fréquentation et des renvois de liens. Un lien bien référencé sera donc un lien ayant gagné une notoriété sur le Web, donc un lien ayant une histoire. De ce point de vue, Google archive le passé et ne fait pas ressortir, dans ses pages de résultats, les instantanés du Web. Pour exploiter cette partie de l’activité en ligne, Microsoft comme Google ont opté pour une alliance avec Twitter qui, par son fonctionnement, valorise toujours le dernier message envoyé, qui sera donc le premier référencé. Twitter, qui dispose de son moteur de recherche interne, a dû ainsi imaginer des règles nouvelles de référencement, le dernier message n’étant jamais le plus repris ni le plus lu. S’ajoute à cette problématique celle de la qualité des messages de 140 caractères, les tweets pouvant être pertinents ou sans intérêt. C’est donc en recentrant la recherche sur une personnalité active ou un événement en train de se dérouler que les tweets prennent toute leur importance car ils permettent de faire émerger des commentaires en temps réel avec un degré de pertinence élevé. C’est cette actualité de Twitter que proposait Google jusqu’au 5 juillet 2011, date à laquelle Google a dû suspendre la fonction « temps réel » de son moteur de recherche faute de s’être entendu sur la reconduction de son partenariat avec le site de micro-blogging. A l’inverse, Bing conserve de son côté un accord avec Twitter et se distingue ainsi de son concurrent grâce à cette alliance, en proposant de nouveau ce qui est interdit d’accès à Google.

Google repense sa stratégie de recherche en mobilisant son écosystème

Si la stratégie de Microsoft se révèle payante, notamment aux Etats-Unis, Bing ne disposant dans le monde que d’une part de marché de 3,6 %, contre 84 % pour Google en juin 2011 selon Comscore, il reste que cette stratégie pénalise d’abord Yahoo! qui cède rapidement des parts de marché. Yahoo! est sans doute victime de son manque d’innovation, le groupe, contraint à des économies (voir supra), n’ayant pas investi dans son moteur comme ont pu le faire Microsoft et Google.

Pour Google, l’enjeu est moins de résister à Bing que d’empêcher la constitution d’un écosystème fermé alliant notamment Facebook et Microsoft qui chacun propose une version du Web centralisée. Microsoft a en effet rêvé d’un tel système intégré avec son projet avorté de Microsoft Network, puis de Media Center (Vista). De son côté, Facebook inclut de plus en plus les contenus du Web au cœur de son dispositif. Pour pérenniser la domination de son moteur de recherche sur le Web, donc également pour pérenniser l’essentiel de ses revenus grâce aux liens sponsorisés, Google se doit donc de proposer une alternative au Web selon Facebook et à la recherche telle que la propose Microsoft. Aujourd’hui plus qu’hier, l’écosystème de services déployé par Google autour de la recherche (Maps, YouTube, News, Books, Earth) et des interfaces ouvertes (Android, Chrome OS, Chrome) devient donc stratégique. Il est mobilisé par Google pour donner des armes nouvelles à son moteur de recherche. A chaque fois, c’est un Web ouvert qui est promu par les services de Google, c’est-à-dire un Web en accès libre, condition sine qua non de l’existence d’un moteur de recherche qui a besoin, sans cesse, de s’alimenter en nouveaux liens à référencer.

L’une des solutions retenues par Google est tout simplement de développer ses propres services, Google Search étant le site le plus utilisé du Web, suivi de Facebook et, juste après, de YouTube, le site d’échange de vidéos de Google. Avec Android et Chrome, les services de Google sont donc mis en avant lorsque l’internaute entreprend d’accéder au Web, via Chrome depuis un PC, via Android et Chrome depuis un smartphone équipé du système d’exploitation de Google. Et Android s’accompagne par défaut de nombreux autres services de Google, ainsi de Gmail, nécessaire à son activation, de Google Search activé par défaut sur l’écran d’accueil, enfin des applications YouTube, Maps, Earth, Google+ et Play Store. Tous ces services permettent de répondre aux besoins de l’internaute afin de lui éviter de se diriger vers des univers fermés et concurrents. A l’évidence, la mise à disposition d’une barre de recherche Google sur l’écran du smartphone équipé d’Android symbolise cette volonté de Google de maintenir le Web ouvert, tout particulièrement dans l’univers mobile où le recours aux applications, promu par Apple, écarte les moteurs au profit des marchés d’applications. Google favorise ainsi, en imposant Android, tout à la fois son moteur et une conception nouvelle du Web mobile où l’augmentation des débits devrait permettre la consultation à distance de sites ou le téléchargement d’applications directement sur le Web. Il s’agit d’éviter de passer par des marchés comme l’App Store qui sont, chaque fois, une application en fait préchargée proposant d’autres applications moyennant commission et après contrôle.

L’ouverture défendue par Google se traduit également par des évolutions en apparence anodines de Google Search, qui signent en même temps la fin de la recherche exhaustive par défaut. Sont ainsi déployés d’autres modes de recherche pour préserver l’intérêt d’un Web ouvert. L’une des évolutions en apparence des plus anodines est l’apparition des suggestions, lorsque l’internaute tape sa requête, le moteur de recherche prédisant en partie la recherche de l’internaute. Cette fonction dite de recherche instantanée et baptisée Google Instant a été lancée en septembre 2010. Outre un gain de temps promis aux utilisateurs, elle permet surtout, en fonction de l’évolution de la requête, de multiplier le nombre de liens affichés, la page de résultats évoluant au fur et à mesure que la requête est précisée. C’est donc la richesse du Web qui est ici promue avec, au fur et à mesure de la saisie, l’affichage des services potentiellement les plus plébiscités, le premier mot tapé étant déterminant. S’inspirant de Microsoft, Google déploie également la recherche verticale. A côté de la recherche géographique avec Google Maps, Google propose de plus en plus de comparateurs, c’est-à-dire des fonctions de recherche au sein de champs d’information structurés et validés, souvent exploités directement avec l’aide de bases de données professionnelles. En France, cela s’est traduit par le lancement, en novembre 2010, du comparateur de prix Product Search, qui vise l’ensemble des produits de consommation courante. Aux Etats-Unis, un comparateur de produits et services financiers baptisé Google Advisor a été lancé en version définitive le 19 mai 2011 et, le 13 septembre 2011, à la suite du rachat de ITA, un comparateur de billets d’avion baptisé Flight Search.

Enfin, pour contrer l’alliance entre Microsoft et Facebook autour de la recherche sociale, Google s’est vu contraint de lancer son propre réseau social, Google+, le 28 juin 2011, quelques mois après avoir dupliqué dans son écosystème de services ce que propose Bing quand il référence les « J’aime » de Facebook : lancé le 1er avril 2011, le bouton « + 1 » de Google permet en effet aux internautes d’agir sur l’information proposée sur les pages de résultats de Google Search en identifiant les sites les plus intéressants. Cette action de recommandation devient sociale à partir du moment où l’internaute utilisant le moteur de recherche de Google s’est déjà identifié grâce à un compte dans l’un des services de l’écosystème, qu’il s’agisse d’un compte Gmail, YouTube ou Google+. Dans ce cas, l’internaute étant identifié, son nom sera adossé à la recommandation lorsque ses amis découvriront sur Google Search un site qu’il a auparavant visité et gratifié d’un «+1». Toute la difficulté pour Google sera d’exporter son modèle de recommandation à l’ensemble du Web, celui-ci étant déjà quadrillé par les « J’aime » de Facebook quand le « + 1 » ne se déploie essentiellement que dans l’univers Google de la recherche et des contenus vidéo avec YouTube. Pour contrebalancer cette faiblesse, Google a donc fait un pas de plus dans la recherche sociale en la personnalisant à l’extrême. Lancée aux Etats-Unis en janvier 2012, la fonction « Search, Plus Your world » permet de proposer des résultats de recherche personnalisés à tout utilisateur identifié par son compte Gmail. En lieu et place de la recherche automatique, l’internaute dispose avec « Plus Your World » de trois types de réponses, les « personnal results » qui recensent des messages, des photos ou contenus que vous avez postés ou partagés avec vos amis sur Google+, ou qui sont accessibles sur les pages personnelles Google+ de vos amis ; les « profiles in search », c’est-à-dire les personnes, amis ou personnages publics, proches de votre centre d’intérêt du moment ; enfin les « people and pages », c’est-à-dire une page de résultats recensant les profils et pages de Goo- gle+. Apparaissent donc dans la page de résultats, outre certains liens amenés par la recherche automatique et considérés comme pertinents, essentiel- lement les liens notés « + 1 » par vos amis ainsi que des documents privés stockés dans vos comptes Google, par exemple des photos postées sur Picassa, des échanges sur Google+, etc.

Avec cette intégration poussée de Google Search et Google +, Google répond tout à la fois à Facebook et Twitter qui lui bloquent l’accès aux contenus postés par leurs utilisateurs et s’arrogent ainsi un espace réservé et protégé de sociabilité sur le Web. En effet, dans l’univers Google, les tweets ne sont pas identifiés comme étant rattachés à l’utilisateur, ainsi que les commentaires sur Facebook. Avec « Plus Your World », ce sont au contraire les activités personnelles de l’internaute sur les services Google qui se retrouvent extrêmement bien référencées. Cette valorisation des services de Google grâce à la recherche sociale a suscité dans un premier temps la réaction de Twitter, qualifiant cette évolution de « mauvais jour pour l’Internet », en même temps que le site de micro-blogging constatait une subite dégradation de son référencement. A vrai dire, Twitter, qui a refusé de reconduire son accord avec Google et de partager avec lui ses données, découvre en fait la puissance du moteur sur le Web : même si Google Search est déjà devenu un « vieux » service du Web, son rôle en matière de visibilité reste essentiel. Avec l’intégration de Google Search et de Google +, Google signe en même temps la fin de la neutralité « automatique » de la recherche en ligne. Pour la recherche sociale, la nature des résultats dépendra de l’activité de l’internaute dans un écosystème contrôlé ou non par Google, le Web social étant paradoxalement plus « fermé » que le Web indifférencié du début des années 2000. En même temps, Google ne fait que dupliquer dans ses services ce que proposent les moteurs intégrés de Twitter ou de Facebook, sauf que l’échelle n’est pas la même. De ce point de vue, les autorités de concurrence pourraient s’inquiéter de pratiques anticoncurrentielles, quand les services de Google sont manifestement valorisés dans la recherche sociale, mais également – et ce point concerne tous les réseaux sociaux sur le Web – des risques en matière de protection des données personnelles.

L’importance de la stratégie d’intégration de Google s’est manifestée lors de la mise en œuvre de la nouvelle politique de confidentialité du groupe, appliquée depuis le 1er mars 2012. Afin d’homogénéiser les règles de confidentialité appliquées à ses différents services, Google a opté pour une politique unique rendant plus lisibles pour l’internaute les conditions d’utilisation des services proposés par le groupe. Cette simplification a été saluée par les autorités chargées de la protection des données. Sauf que Google a profité également de cette homogénéisation des règles pour rapatrier auprès d’un compte unique l’ensemble des informations personnelles des internautes jusqu’alors stockées isolément, service par service. Ce croisement des données laissées par un utilisateur dans l’écosystème de services de Google doit permettre d’apporter une réponse plus précise à la demande de l’internaute, tout au moins une réponse plus personnalisée, mais également de proposer des publicités bien mieux ciblées. Ainsi, une publicité sur Gmail pourra ainsi s’appuyer sur des données personnelles concernant le même utilisateur et récupérées sur YouTube ou Google Maps. Pour les utilisateurs des services de Google où une identification est nécessaire, c’est-à-dire les services rattachés à un compte, l’acceptation de ces nouvelles règles de confidentialité est oblgatoire, sauf à ne pas pouvoir utiliser le service. Cette intégration poussée entre les différents services de Google, qui annonce un renforcement de la recherche personnalisée et de l’expérience utilisateur, a toutefois fait l’objet, le 28 février 2012, d’une demande de report de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), chargée par l’ensemble de ses homologues européens d’analyser la politique de Google au regard des règles européennes en matière de respect de la vie privée. Google n’a pas donné suite, invoquant les contraintes d’un lancement mondial. A vrai dire, l’acceptation de l’internaute étant un préalable à l’utilisation des services de Google, la CNIL ne pourra probablement que demander une meilleure information de l’internaute sur le croisement de ses données. Le 19 mars 2012, un questionnaire a été transmis à Google « pour clarifier les implications de ses nouvelles règles », questionnaire auquel Google a finalement répondu fin avril, la CNIL devant rendre compte de son enquête à ses homo- logues européens du G29 début juin 2012.

En pratique, l’internaute utilisateur des services Google perd dans sa navigation une part de l’anonymat que lui autorisait jusqu’alors le non-croisement des données : les passerelles entre les services de Google seront plus visibles et une recherche sur Maps depuis son PC donnera sur Android une publicité géolocalisée liée à l’adresse ou au mot-clé entré dans Maps, ce qui n’était pas possible auparavant. Cette unification de l’identité numérique de l’utilisateur des services Google aura donc pour conséquence la modification profonde de la recherche, qui pourra être plus personnalisée et s’appuyer sur un historique élargi des activités de l’internaute. Elle favorise en outre le développement d’une offre ultra-personnalisée de services, souvent qualifiée d’offre SOLOMO (social-local-mobile, voir REM n°21, p.37) par les stratèges de Google, parce qu’elle fédère les informations liées aux échanges sociaux dans Google, celles qui sont récupérées sur le moteur de recherche ou des services phares comme YouTube, et enfin celles qui sont permises par la géolocalisation grâce à Android et Maps.

Sources :

  • « A la poursuite de Google », Michel Ktitareff, Les Echos, 23 juin 2009.
  • « Navigateurs Internet : vers davantage de concurrence », Maxime Amiot, Les Echos, 24 février 2010.
  • « Microsoft embarque son moteur dans les smartphones », Solveig Godeluck, Les Echos, 5 juillet 2010.
  • « Google lance la recherche instantanée », Tristan Vey, lefigaro.fr, 9 septembre 2010.
  • « Microsoft lance son arme anti-Google en France en misant sur les partenariats », Nicolas Rauline, Les Echos, 2 mars 2011.
  • « Les navigateurs Web s’offrent une nouvelle bataille », Nicolas Rauline, Les Echos, 15 mars 2011.
  • « Internet Explorer et Firefox s’attaquent à la publicité ciblée », Benjamin Ferran, Le Figaro, 17 mars 2011.
  • « Google mise sur les internautes pour la recherche en ligne », Marie- Catherine Beuth, Le Figaro, 1er avril 2011.
  • « Microsoft incruste vos amis de Facebook dans son moteur », Virginie Malbos, Le Figaro, 17 mai 2011.
  • « Google s’attaque aux comparateurs de produits financiers », Benoît Méli, journaldunet.fr, 20 mai 2011.
  • « Google Chrome continue de prendre des parts de marché à Internet Explorer », Nicolas Rauline, Les Echos, 31 mai 2011.
  • « Google suspend la fonction « temps réel » de son moteur de recherche », lemonde.fr, 6 juillet 2011.
  • « La fondation Mozilla réfléchit à son avenir et consulte sa communauté de développeurs », Nicolas Rauline, Les Echos, 29 août 2011.
  • « Recherche d’informations : les internautes délaissent un peu Google », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 9 janvier 2012.
  • « Guerre ouverte entre Google et Twitter », N. Ra., Les Echos, 12 janvier 2012.
  • « Moteurs de recherche : Bing a dépassé Yahoo! », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 13 janvier 2012.
  • « Moteurs de recherche : la neutralité de Google mise en cause », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 16 janvier 2012.
  • « Google annonce une grande révision de sa politique de confidentialité », lemonde.fr, 25 janvier 2012.
  • « Pub en ligne : le casse-tête des cookies », Jacques Henno, Les Echos, 28 février 2012. – « Google n’a plus le « Track » », Camille Gévaudan, Libération, 29 février 2012.
  • « La CNIL s’inquiète de la gestion de la vie privée de Google », Nicolas Rauline, Les Echos, 29 février 2012.
  • « Le projet de plate-forme mobile de Mozilla séduit les opérateurs mobiles », Solveig Godeluck, Les Echos, 13 mars 2012.
  • « Nouvelles règles de confidentialité : Google fait patienter la CNIL », latribune.fr, 5 avril 2012.
  • « L’accord publicitaire de Yahoo ! et Microsoft étendu en France », Elsa Bembaron, Le Figaro, 4 mai 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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