Référencement : les sites d’actualité rémunérés en Allemagne, les journaux mis en valeur aux Etats-Unis, Apple seul maître à bord des kiosques numériques

En Allemagne, un projet de loi obligeant les agrégateurs d’information à payer les éditeurs pour référencer leurs articles suscite l’inquiétude des défenseurs de la liberté d’expression sur Internet. Mais, de plus en plus, le référencement aura un coût, soit parce que certains acteurs d’Internet accepteront de rémunérer les éditeurs pour accéder à leurs contenus, soit parce que ces derniers accepteront un partage de leurs recettes pour accéder aux écosystèmes mis en place par les intermédiaires d’Internet.

Sur Internet, le référencement des pages web des sites de presse comme de leurs applications est un élément essentiel de leur équilibre économique, dans la mesure où celui-ci engendre du trafic, donc de l’audience et des revenus publicitaires, ou bien conduit l’internaute à s’abonner. Sauf que le référencement dépend systématiquement d’intermédiaires du Web, étrangers au monde de la presse, qui imposent à ce dernier des conditions souvent jugées difficiles, voire inacceptables (voir REM n°21 p.17).

En Allemagne, les éditeurs de presse viennent de remporter une manche face aux agrégateurs d’information, au premier rang desquels Google News (Google Actualités). Après les procès intentés à Google ailleurs en Europe, notamment en Belgique et en Italie (voir REM n°18-19, p.10), où les éditeurs ont reproché à Google News de reprendre les premières lignes de leurs articles sans les rémunérer et de conserver « en cache » des articles devenus payants, l’Allemagne, en l’occurrence les députés de la majorité CDU-FDP, a proposé, le 3 mars 2012, d’obliger « les opérateurs commerciaux du Net, comme les moteurs de recherche ou les agrégateurs d’information », à « verser aux éditeurs une rémunération pour la diffusion sur Internet de produits de presse ». Cette proposition, qui devrait se traduire par un projet de loi, est inédite. En effet, elle vise d’abord le service Google News, lequel reprend les intitulés des articles et leurs premières lignes (dites « snippets »), une pratique dénoncée par les éditeurs allemands, notamment les groupes Springer et Bertelsmann, qui reprochent au service de Google d’être un substitut aux sites de presse, de nombreux internautes se contentant des snippets plutôt que de basculer ensuite vers le site référencé. Dans ce cas, Google fidélise une audience grâce à des contenus récupérés auprès des éditeurs, sans pour autant leur apporter de trafic. Pour remédier à ce déséquilibre, lié aux usages de l’internaute – lequel peut avoir la même attitude à l’égard des résultats des moteurs de recherche généralistes -, l’Allemagne entend donc obliger les agrégateurs à payer pour référencer les articles des éditeurs de presse, afin de protéger les droits voisins des entreprises éditrices. Une société de gestion serait chargée du recouvrement des paiements auprès des agrégateurs, la protection nouvelle appliquée aux liens et courtes parties d’articles référencés étant étendue à une année après la publication en ligne.

Si ce projet aboutit, Google se retrouvera avec les éditeurs dans une situation similaire à celle qu’il a dû adopter avec les agences de presse. En effet, la reprise des dépêches publiées par des sites tiers, clients des agences de presse, dans la mesure où elle n’entraîne pas de trafic sur les sites des agences qui n’éditent pas en ligne leur fil d’actualité, a conduit Google à accepter de rémunérer les agences pour la reprise de leurs dépêches. En revanche, pour les sites de presse, Google est bien un apporteur de trafic, le portail Google News dans sa version anglophone engendrant ainsi un milliard de clics par mois environ vers les sites des médias référencés. C’est en ce sens que le projet allemand est inédit, au point qu’Eric Schmidt, président du conseil d’administration de Google, a jugé bon de préciser qu’une telle décision « pourrait ralentir le développement d’Internet » en Allemagne, c’est-à-dire conduire au retrait de Google News. Il a été sur ce point soutenu par les défenseurs de la liberté d’expression sur Internet, lors du Cebit de mars 2012, le salon informatique de Hanovre, qui ont notamment mis en avant le respect du droit de citation. En effet, si Google a sans aucun doute les moyens de financer en partie les éditeurs de presse pour maintenir son service ouvert, de nombreux sites de recommandation, des initiatives plus confidentielles, par exemple des sites proposant des revues de presse spécialisées, pourraient se trouver en difficulté. Mais les éditeurs ont ici une carte à jouer, car le concurrent de Google dans la recherche, Microsoft, a de son côté, passé en France un accord de rémunération avec huit éditeurs de quotidiens et magazines pour publier leurs articles dans la partie Actualités de Bing, en échange d’un partage des recettes publicitaires.

Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, Google a répondu autrement aux demandes des éditeurs en imaginant un référencement sur mesure. Depuis le 4 août 2011, Google News propose sur sa version anglaise une rubrique baptisée « Editors Picks », c’est-à-dire le choix des rédacteurs en chef, laquelle met en avant les sites des médias, avec leur marque, et une sélection de cinq articles par rédaction. En valorisant les rédactions, Google News accepte ainsi une entorse aux principes qui régissent son référencement, lequel privilégie la primeur de l’information, donc les sites qui reprennent au plus vite les dépêches des agences de presse, ainsi que les sites drainant le plus d’audience. Cette alternative négociée entre Google et les éditeurs anglophones, parmi lesquels The Wall Street Journal, Reuters, BBC News ou The Guardian, est un moyen pour Google de répondre aux demandes des éditeurs, soucieux de voir le référencement dans Google News se traduire par une mise en valeur de leur marque et une audience supplémentaire pour leur site, sans pour autant contraindre Google à payer pour référencer.

La question du référencement payant, qu’il s’agisse de payer pour référencer ou de payer pour être référencé, pourrait toutefois venir de plus en plus structurer Internet à mesure que celui-ci se referme, soit parce que les pay walls (murs à péage) se multi- plient, soit parce que des partenariats commerciaux entre intermédiaires du Net et éditeurs sont conclus, comme le propose Microsoft, soit parce que l’accès passe par des magasins d’applications. Ainsi, alors que les éditeurs comptaient sur la solution One Pass de Google pour offrir une alternative à Newsstand, le kiosque numérique d’Apple, Google a préféré abandonner son service le 22 avril 2012. Après avoir rencontré des difficultés de mise en place de ce service, Google a donc renoncé au bout d’un an à peine, le service faisant partie des offres non pertinentes qui entrent dans la stratégie de rationalisation des activités voulues par Larry Page depuis son retour au poste de PDG de l’entreprise en avril 2011. Le seul kiosque numérique disposant d’un poids significatif sur le marché mondial d’Internet est donc désormais celui d’Apple, l’univers Android étant de nouveau ouvert à la multiplicité des applications de presse au sein d’un marché généraliste. Apple pourra donc sans aucun doute continuer d’imposer ses conditions aux éditeurs, en particulier l’absence d’information sur les parcours d’achat des lecteurs et la commission de 30 % sur les ventes. A vrai dire, les premiers expérimentateurs de Newsstand sont satisfaits car ils profitent de la clientèle contrôlée par Apple avec ses iPhone : au Royaume-Uni, les ventes de l’application Vanity Fair ont bondi de 245 % après sa mise à disposition sur Newsstand ; en France, Le Point a été, en décembre 2011, le premier magazine d’actualité disponible sur Newsstand et a doublé en deux semaines ses ventes d’applications, avec plus de 1000 exemplaires téléchargés. C’est sans doute la raison pour laquelle le groupe Lagardère a annoncé, le 23 avril 2012, le lancement de 21 titres sur Newsstand. De leur côté, les quotidiens français, à l’exception du Monde, ont opté pour une application commune sur l’AppStore, baptisée iPadePresse, et se refusent toujours à intégrer Newsstand.

Sources :

  • « Google News met en valeur les choix éditoriaux des rédactions », Jason Wiels, latribune.fr, 5 août 2011.
  • « Le Web allemand contre un projet de loi anti-Google », latribune.fr, 6 mars 2012.
  • « Le gouvernement allemand va présenter un texte sur les droits voisins des éditeurs de presse », La Correspondance de la Presse, 7 mars 2012.
  • « Presse en ligne : Google arrêt les frais », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 23 avril 2012.
  • « Google fait le ménage de printemps et abandonne One Pass », latribune.fr, 23 avril 2012.
  • « iPad : Lagardère bascule dans le Newsstand d’Apple », Fabienne Schmitt, Les Echos, 24 avril 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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