Le Tribunal de l’Union européenne a confirmé les pénalités infligées à Microsoft par la Commission européenne en 2008 dans le procès sur l’accès à la documentation technique du groupe, une nouvelle enquête a dû être ouverte contre Microsoft concernant le non-respect de ses engagements, cette fois-ci pour la fenêtre de choix entre navigateurs. Le temps de la justice, sans lien avec la réalité des marchés, aura sans doute convaincu la Commission européenne de procéder autrement avec Google en proposant un règlement à l’amiable.
En confirmant, le 27 juin 2012, la sanction infligée en 2008 par la Commission européenne à Microsoft (voir REM n°6-7, p.3), le Tribunal de l’Union européenne a reconnu, pour la première fois, la légitimité de la Commission européenne pour infliger des amendes, mais également pour infliger des pénalités de retard en cas de non-respect des obligations. En effet, en portant l’affaire devant la justice européenne, Microsoft espérait probablement voir diminuer le montant de l’amende qui lui avait été imposée, voire obtenir une révision du jugement. Le 27 février 2008, la Commission européenne avait en effet infligé à Microsoft la plus forte amende de son histoire sous forme de pénalités de retard à la suite de sa condamnation, en mars 2004, pour abus de position dominante. Microsoft était accusé de pratiquer des « tarifs excessifs » pour l’accès à la documentation technique de ses principaux logiciels, condition pourtant nécessaire à chaque développeur souhaitant travailler sur des logiciels interopérables. Ainsi, entre 2004 et mars 2007, Microsoft a exigé une redevance annuelle de 2,98 % des revenus générés par ses concurrents pour les activités faisant appel aux données techniques du groupe, puis de 0,5 % à partir de 2007 et, enfin, de 10 000 euros pour l’accès à la documentation technique depuis le 22 octobre 2007, cette proposition ayant permis à Microsoft d’arrêter le compteur des pénalités infligées par la Commission européenne. Ce sont ces pénalités que le Tribunal de l’Union européenne a confirmées, le 27 juin 2012, en plus du jugement initial, même si l’amende a été revue à la baisse, passant de 899 millions d’euros de pénalités à 860 millions d’euros.
Ce nouveau jugement ne met pourtant pas un terme au long contentieux entre la Commission européenne et Microsoft. Ce contentieux avait en effet semblé prendre fin le 16 décembre 2009 quand la Commission européenne, qui avait transmis à Microsoft le 15 janvier 2009 une nouvelle liste de griefs concernant cette fois-ci le couplage de Windows et d’Internet Explorer, après qu’elle avait annoncé refermer son enquête, à la suite de la solution proposée par Microsoft, à savoir la mise à disposition d’une fenêtre de choix entre onze navigateurs pour les systèmes d’exploitation Windows, et ce jusqu’en 2014 (voir REM n°13, p.6). Las, le 17 juillet 2012, la Commission européenne ouvrait une nouvelle enquête sur le couplage de Windows et d’Internet Explorer concernant « un possible non-respect des engagements de Microsoft ». La Commission européenne a en effet constaté que la mise à jour de Windows 7, sortie en février 2011, ne proposait plus la fenêtre de choix entre les navigateurs, faisant de Microsoft un contrevenant à ses obligations depuis 15 mois. Aussitôt, Microsoft a réagi en invoquant un problème et proposé de rallonger de 15 mois la période d’engagement, 28 millions d’utilisateurs de PC ayant été concernés par cette absence de choix du navigateur. A vrai dire, si l’enjeu juridique est important pour la crédibilité de la Commission européenne, il ne l’est quasi plus pour le marché où Internet Explorer recule face à Firefox, Safari et Chrome, sans parler des navigateurs sur smartphones où Microsoft est dépassé (voir REM n°22-23, p.55).
Parce que le rythme de la justice n’est pas celui des marchés, en particulier celui de l’Internet, la Commission européenne a adopté une position contraire dans le cadre du contentieux qui l’oppose à Google. Plutôt que d’opter pour un long procès, comme avec Microsoft où le bras de fer était engagé depuis 1994, le Commissaire européen à la concurrence, Joaquin Almunia, a proposé, le 21 mai 2012, un règlement à l’amiable dans l’enquête ouverte le 30 novembre 2010 sur Google, soupçonné d’abus de position dominante dans la recherche et sur le marché publicitaire en ligne (voir REM n°17, p.5). Il a laissé quelques semaines à Google pour « proposer des remèdes répondant aux problèmes que nous avons identifiés », et échapper ainsi à une amende pouvant atteindre 10 % du chiffre d’affaires du groupe.
Cette proposition inhabituellement médiatisée témoigne de la difficulté qu’il y a à réguler Internet, les enquêtes actuelles sur Microsoft relevant de fait d’une position dominante passée, aujourd’hui caduque. Pour Joaquin Almunia, « ces marchés qui changent bénéficieraient particulièrement d’une résolution rapide des problèmes ». Est-ce à dire qu’une amende, aussi lourde soit-elle, coûte finale- ment moins cher que les bénéfices engrangés le temps que la justice soit en mesure de trancher, et ce d’autant plus que le temps permet d’étouffer définitivement la concurrence ? En tout cas, Google est vraisemblablement favorable à une solution dans la durée, selon son porte-parole à Bruxelles, Al Verney, qui a réagi immédiatement à la proposition de Joaquim Almunia : « Nous venons tout juste de commencer à étudier les arguments de la Commission. Nous ne sommes pas d’accord avec ses conclusions mais nous serons heureux de discuter de toutes les inquiétudes qu’elle peut avoir ».
Début juillet, Eric Schmidt, le président exécutif de Google, répondait à la Commission européenne et lui proposait de « plonger » dans ses algorithmes et d’examiner en même temps les solutions aux problèmes soulevés, une manière de montrer que les accusations de favoritisme à l’égard des services de Google étaient erronées. Le 25 juillet 2012, Joaquim Almunia confirmait avoir lancé une phase de discussions techniques avec Google eu égard aux solutions proposées par le géant de la recherche, qui évitera peut-être ainsi un long procès. Mais l’acceptation des solutions proposées par Google sera conditionnée à leur application à l’échelle mondiale, faisant peut-être pour la première fois de l’Union européenne le cœur de la régulation mondiale de l’Internet.
Sources :
- « Bruxelles offre un règlement à l’amiable à Google », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 22 mai 2012.
- « Bruxelles tente de résoudre son conflit avec Google par un règlement à l’amiable », Renaud Honoré, Les Echos, 22 mai 2012.
- « Microsoft : l’amende de Bruxelles réduite mais la sanction confirmée », latribune.fr, 27 juin 2012.
- « Bruxelles conforté dans sa bataille contre Microsoft », Renaud Honoré, Les Echos, 28 juin 2012.
- « Microsoft visé par une nouvelle enquête de Bruxelles sur le choix du navigateur », Delphine Cuny, latribune.fr, 17 juillet 2012.
- « Microsoft s’expose à une nouvelle amende de Bruxelles », M.C., Le Figaro, 18 juillet 2012.
- « Bruxelles prêt au compromis avec Google si les solutions sont valables dans le monde entier », Anne Bauer, Les Echos, 26 juillet 2012.