Le contrôle de la chronologie des médias par le groupe Canal+ qui, de la production et la distribution de chaînes payantes, se positionne également sur les chaînes en clair et la vidéo à la demande en illimité, s’avère plus difficile que prévu. Sans remettre en question le modèle industriel du premier groupe audiovisuel français, l’Autorité de la concurrence vient d’encadrer de façon très stricte les possibilités du groupe Canal+ en autorisant sous conditions la fusion CanalSat-TPS, jusqu’alors suspendue, ainsi que le rachat des chaînes Direct 8 et Direct Star. Elle tente ainsi de favoriser l’émergence de concurrents sur le marché de la télévision payante, en particulier pour l’offre de cinéma.
En annonçant, dès le 25 mars 2011, vouloir utiliser son canal compensatoire sur la TNT pour lancer une chaîne en clair, le groupe Canal+ a redessiné les équilibres du paysage audiovisuel français, conduisant le gouvernement à supprimer, dès le 11 octobre 2011, l’attribution des canaux compensatoires. Mais l’annonce du rachat au groupe Bolloré des chaînes Direct 8 et Direct Star en septembre 2011 a sans nul doute confirmé la volonté du groupe Canal+ de se positionner sur la télévision en clair afin de contrôler, à terme, la totalité de la chronologie des médias, de la production des films et séries audiovisuelles avec Studio Canal aux services de vidéo par abonnement avec Canal Play Infinity (voir REM n°21, p.79). Sauf que les ambitions du groupe Canal+ sur le marché audiovisuel français ont été très vite contrariées par l’Autorité de la concurrence. Sur le marché de la télévision payante, où le groupe s’est accordé, le 15 juillet 2011, avec son seul véritable concurrent, Orange, pour prendre 33,3 % du capital du bouquet de chaînes cinéma Orange Cinéma Séries, l’Autorité de la concurrence, dans une décision rendue le 21 septembre 2011, a retiré au groupe Canal+ l’autorisation donnée en 2006 de fusionner avec TPS. Quant au marché de la télévision gratuite, le rachat des chaînes Direct 8 et Direct Star a été autorisé, mais au prix de concessions importantes du groupe Canal+.
La fusion CanalSat-TPS de nouveau autorisée, mais avec des « injonctions »
En décidant de retirer au groupe Canal+ l’autorisation de fusionner les bouquets CanalSat et TPS, l’Autorité de la concurrence a fait le choix d’une mesure exceptionnelle, assortie d’une amende de 30 millions d’euros. Elle a notamment reproché au groupe Canal+ de ne pas avoir respecté 10 des 59 engagements pris au moment de la fusion, en particulier d’avoir tardé à mettre à disposition des offres concurrentes certaines chaînes dégroupées et d’avoir renoncé à développer TPS Star, seule chaîne premium pouvant constituer une alternative à la chaîne Canal+. Le groupe Canal+ a donc dû soumettre de nouveau le rachat de TPS à l’examen de l’Autorité de la concurrence, mais cette fois en se retrouvant dans une position bien plus délicate qu’en 2006, à tel point qu’il a saisi le Conseil d’Etat pour une question prioritaire de constitutionnalité, espérant ainsi rendre nulle la décision de l’Autorité de la concurrence.
Le groupe Canal+ a en effet reproché à l’Autorité de la concurrence d’avoir lancé l’enquête, retiré l’autorisation et pris une sanction en faisant appel aux mêmes personnes, ce qui nuit à l’impartialité des décisions, l’enquête et la sanction devant relever de personnes distinctes. Enfin, le groupe Canal+ a dénoncé une atteinte à la liberté d’entreprendre dans le cas où une autorisation est retirée plusieurs années après avoir été accordée. Dans ce cas, en effet, le retour à la situation antérieure est impossible, TPS ayant été intégré dans le groupe Canal+, obligeant l’acquéreur à solliciter une nouvelle autorisation dans des conditions de marché ayant profondément changé.
Le rapporteur public auprès du Conseil d’Etat a invalidé la première demande, rappelant que la sanction et l’enquête ont été traitées séparément par l’Autorité de la concurrence, même si le Conseil constitutionnel reste en la matière seul compétent pour se prononcer. En revanche, il a considéré comme « nouvelle et sérieuse » la question de constitutionnalité liée à l’annulation du rachat, demandant donc, le 17 juillet 2012, son examen par le Conseil constitutionnel, qui devra se prononcer.
En attendant que ce dernier se prononce, l’Autorité de la concurrence et le groupe Canal+ auront cherché un accord pour aboutir à une nouvelle autorisation de l’opération. Mais les engagements proposés par le groupe Canal+ n’ont jamais satisfait l’Autorité de la concurrence, qui s’est trouvée confrontée à une surenchère des autres acteurs de l’audiovisuel français. Ainsi, en mai 2012, l’Autorité de la concurrence a rendu public son « test de marché » avec, notamment, les préconisations des autres acteurs du marché qu’elle a interrogés. Parmi les mesures envisagées, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ainsi que les concurrents de Canal+ ont préconisé une séparation fonctionnelle entre édition et distribution de chaînes, voire une séparation structurelle conduisant à la revente de CanalSat.
En préconisant une séparation fonctionnelle entre édition et distribution, c’est-à-dire deux entités sans liens entre elles au sein du même groupe, le CSA a sans aucun doute voulu faire pression sur le groupe Canal+ dont le modèle industriel repose justement sur l’intégration des deux activités.
En matière d’édition, le groupe Canal+ investit massivement et dégage une faible rentabilité pour ses chaînes, par exemple 10 % pour son fleuron Canal+. Mais en conservant la distribution des chaînes, donc leur prix de vente et la relation avec l’abonné, y compris lorsque les chaînes sont commercialisées par les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), le groupe Canal+ parvient à amortir ses investissements, les activités de distribution du groupe comptant pour 60 % de son chiffre d’affaires et réalisant quasiment la totalité du résultat du groupe. Remettre en question ce modèle et contraindre le groupe Canal+ à proposer ses chaînes en gros aux fournisseurs d’accès à Internet, qui pourraient décider de leur prix de vente et construire des offres sur mesure incluant les chaînes du groupe, conduirait tout simplement à menacer la viabilité économique de l’ensemble des activités. Cette décision qui aurait, selon Bruno Lassere, président de l’Autorité de la concurrence, « tué le modèle d’intégration verticale qui a fait, d’une certaine manière, le succès industriel de Canal+ » n’a donc pas été retenue. L’Autorité de la concurrence aura sans doute tenu compte ici de l’avis de Bercy qui, dans son avis du 5 juin 2012 sur la fusion CanalSat-TPS, avait jugé « disproportionnée » l’hypothèse de la séparation des activités d’édition et de distribution, au même titre que la mise à disposition des chaînes cinéma du groupe auprès des concurrents. Elle aura également pris en compte, sans aucun doute, les conséquences d’une telle décision pour le financement du cinéma français.
En effet, le CSA précise dans son avis rendu à l’Autorité de la concurrence concernant le rachat de Direct 8 et de Direct Star, ainsi que la fusion Canal- Sat-TPS, que le groupe Canal+ est omniprésent dans la production et la distribution de films en France. En 2011, le groupe Canal+ a préacheté 55 % des 272 films français et européens produits dans l’Hexagone, ce qui correspond à 56 % des investissements des chaînes françaises dans la production cinématographique. Pour les seuls films français, le groupe Canal+ compte pour 59 % des investissements des chaînes et pour 91 % des investissements des chaînes payantes, Orange comptant donc pour moins de 10 % des investissements. Sans surprise, les producteurs s’adressent en priorité au groupe Canal+, certes parce qu’il a des obligations importantes d’investissement, mais également parce qu’il leur propose des fenêtres d’exclusivité sur sa chaîne premium et ses chaînes cinéma, leur garantissant ainsi des revenus importants.
Concernant les films et séries des majors américaines, le groupe Canal+ dispose de contrats cadres lui laissant le droit de choisir en priorité auprès de cinq des sept plus grands studios (Disney, Twentieth Century Fox, Paramount Pictures, Sony Pictures, Universal Pictures), quand Orange n’a des accords qu’avec la MGM et la Warner, un contrat récupéré depuis par Canal+. Enfin, le groupe Canal+ a des accords avec les principales « mini-major », à savoir Dreamworks, LionsGate, Marvel, New Regency, Spyglass et les studios Weinstein. S’ajoute le catalogue de StudioCanal, seule mini- major européenne, qui compte 5 000 films contre 800 films pour Gaumont, son premier concurrent sur le marché français. Seule la fiction échappe à l’emprise du groupe Canal+, même si StudioCanal a annoncé, au Festival de Cannes 2012, chercher à devenir rapidement leader européen.
Parmi les autres préconisations recueillies par l’Autorité de la concurrence, l’interdiction pour le groupe Canal+ d’acheter des droits sportifs tous supports (satellite, IPTV, câble, TNT) pour sa chaîne Canal+ a été avancée, ce qui aurait privé Canal+ d’une grande partie de sa valeur pour les abonnés apportés principalement par les distributeurs indépendants, qui comptent pour 40 % des abonnements et sont, notamment les FAI (fournisseurs d’accès à Internet), les premiers recruteurs de nouveaux abonnés. Enfin, la revente de la participation du groupe dans les chaînes cinéma d’Orange a été également avancée afin qu’existe une réelle concurrence face à Canal+.
En accordant le rachat des chaînes Direct 8 et Direct Star et en autorisant de nouveau la fusion CanalSat-TPS, l’Autorité de la concurrence a rendu publiques, le 23 juillet 2012, les conditions nouvelles de la fusion. A défaut d’un accord sur de nouveaux engagements proposés par le groupe Canal+, l’autorisation de la fusion est soumise à des « injonctions » de l’Autorité de la concurrence, qui s’imposent de facto au groupe Canal+ , afin de « rétablir une concurrence suffisante sur les marchés de la télévision payante », en particulier dans le domaine du cinéma, en favorisant l’émergence d’offres alternatives.
Ainsi, au lieu d’une séparation fonctionnelle entre les activités de distribution et d’édition, l’Autorité de la concurrence impose au groupe Canal+ de mettre à disposition de tiers, en particulier les FAI (fournisseurs d’accès à Internet), l’ensemble des chaînes cinéma que le groupe édite pour alimenter son bouquet CanalSat, dans des conditions tarifaires imposées par l’Autorité. Cette revente en gros des chaînes permettra à des concurrents de l’offre CanalSat de proposer des bouquets différents comportant des chaînes cinéma reconnues, alors même que la constitution d’une chaîne de cinéma, indépendante de Canal+, reste difficile du fait du poids du groupe dans la production cinématographique française, mais également en raison de ses accords avec les studios américains pour la diffusion payante de films. L’Autorité fait ici payer à Canal+ le fait de ne pas avoir tenu ses engagements historiques sur les chaînes cinéma, alors même que cette revente en gros avait pourtant été jugée « disproportionnée » par Bercy.
L’Autorité de la concurrence impose également au groupe Canal+ de revendre sa participation de 33,3 % dans les chaînes Orange Cinéma Séries. Si aucun repreneur n’est trouvé, le groupe Canal+ conservera sa participation mais perdra tout pouvoir au sein du bouquet, les deux administrateurs du groupe étant dans ce cas remplacés par des personnalités indépendantes approuvées par l’Autorité de la concurrence. En effet, bien que le bouquet Orange Cinéma Séries puisse intéresser certains fonds ou certaines sociétés, il n’est pas sûr qu’Orange souhaite le relancer alors même que le groupe a cherché à s’en débarrasser (voir REM n°17, p.19), préférant sans doute un actionnaire dormant qu’un nouveau véritable partenaire.
L’Autorité de la concurrence exige aussi des conditions « non discriminatoires » de reprise des chaînes thématiques indépendantes au sein du bouquet CanalSat. Pour preuve de sa bonne volonté, le groupe Canal+ s’était engagé, dès juin 2012, avec l’Association des chaînes du câble et du satellite (ACCeS) à respecter une charte de six ans précisant ces mêmes conditions de reprise. CanalSat s’engage ainsi à accueillir 55 % de chaînes tierces, c’est-à-dire indépendantes du groupe Canal+, et de leur reverser 55 % des rémunérations que le groupe consacre aux chaînes qu’il diffuse. Au sein de ces chaînes, 10 % de l’offre sera par ailleurs réservée aux chaînes indépendantes des grands éditeurs français ou étrangers, c’est-à-dire des chaînes ne dépendant pas de TF1, M6 ou des studios américains.
Concernant les chaînes sportives, le groupe Canal+ n’a pas d’obligation de dégroupage mais devra distribuer l’offre concurrente de BeInSport « de manière dynamique », ce qui s’est traduit par un accord avec les chaînes qataries dès le 25 juin 2012 (voir supra).
Enfin, l’Autorité de la concurrence interdit au groupe Canal+ d’imposer aux FAI une exclusivité de distribution de ses services de vidéo à la demande (Canal Play et Canal Play Infinity). Elle interdit également de coupler l’achat de droits pour la télé- vision payante et la VAD (vidéo à la demande), afin que la domination du groupe Canal+ sur le marché de la télévision payante ne se réplique pas dans les services de médias audiovisuels. De ce point de vue, l’Autorité de la concurrence cherche à favoriser la concurrence sur les services de vidéo à la demande, alors même que le groupe Canal+ insistait sur le nécessaire renforcement de son offre face aux concurrences prévisibles des acteurs américains comme Netflix, Amazon, Apple ou Google (voir supra).
Le rachat de Direct 8 et Direct Star soumis à des engagements négociés
Le rachat de Direct 8 et de Direct Star par le groupe Canal+ a été autorisé le jour même où l’Autorité de la concurrence donnait de nouveau son accord à la fusion de CanalSat et TPS. Le fait que le groupe Canal+ soit autorisé à procéder au rachat est important, dans la mesure où ses concurrents, notamment M6, préconisaient un rachat par la maison mère, Vivendi, et non directement par le groupe Canal +, à seule fin d’éviter que ce dernier n’utilise sa puissance pour financer le développement de Direct 8. Là encore, la séparation structurelle ne l’aura pas emporté, la mesure ayant été trop rigoureuse et pénalisante, alors même que Direct 8 vise à terme 4 % d’audience, quand TF1 et M6 trustent les premières places et s’arrogent ensemble 76 % des recettes publicitaires de la télévision en France en 2011. Par ailleurs, les deux leaders utilisent également la puissance de leurs chaînes historiques pour financer le développement de leurs nouvelles chaînes, qu’il s’agisse de W9 pour M6 ou de TMC et NT1 pour TF1, une stratégie qui ne pourra donc pas être reprochée à Canal+.
Si aucune séparation structurelle n’est imposée entre le groupe Canal+ et les chaînes appartenant jusqu’alors au groupe Bolloré, de nombreux engagements vont toutefois limiter les ambitions de Canal+ pour Direct 8. Le groupe Canal+ s’est notamment engagé à ne signer qu’un seul accord cadre avec un studio américain cumulant l’achat des droits payants et gratuits. Direct 8 ne pourra donc pas remettre facilement en question les accords cadres signés pour la télévision en clair entre les six principaux studios américains d’une part, TF1 (Sony, Universal, Warner) et M6 (Disney, Fox, CBS) de l’autre. Pour Direct 8, accéder aux films et séries américains des grands studios sera de toute façon difficile puisque les accords cadres signés par TF1 et M6 courent jusqu’en 2015.
En ce qui concerne les films français, seuls 20 films inédits sur plus de 200 films produits par an pourront être achetés par le groupe Canal+ pour son offre de chaînes en clair, soit très peu, alors que le groupe est le premier contributeur au financement du cinéma français. Parmi ces vingt films, 2 seule- ment pourront avoir un budget supérieur à 15 millions d’euros, 3 films un budget compris entre 10 et 15 millions d’euros, 5 films un budget compris entre 7 et 10 millions d’euros, les dix autres films devant être des films dits à petit budget. En comparaison, en 2011, 90 % des films diffusés en clair avaient fait l’objet de droits de préemption de la part des groupes TF1 et M6. Et les films à succès sur lesquels se positionnent les deux premières chaînes privées en clair sont justement ceux dont le budget est supérieur à 10 millions d’euros, là où Direct 8 ne pourra espérer que 5 films maximum par an.
En revanche, le groupe Canal+ n’a pas d’obligations contraignantes concernant l’achat de séries et la retransmission sur ses chaînes en clair des séries à succès coproduites par StudioCanal (Braquo, Mafiosa, Kaboul Kitchen …). En effet, le groupe n’est pas en position de force sur ce secteur et programme peu de séries américaines. Il devra toutefois mettre en place des équipes séparées pour l’achat des droits sur ses chaînes payantes et sur ses chaînes gratuites.
Enfin, concernant les retransmissions sportives, le groupe Canal+ devra mettre en concurrence l’ensemble des acteurs du marché de la télévision en clair pour les matchs dont dispose Canal+, mais qui sont considérés comme événements d’importance majeure devant faire l’objet d’une diffusion en clair.
A ces engagements négociés avec l’Autorité de la concurrence s’ajoutent les contraintes imposées par le CSA qui, selon la loi sur l’audiovisuel de 1986, doit autoriser toute modification de l’actionnariat d’une chaîne et peut, dans ce cadre, demander une évolution de la convention des chaînes. Le CSA a exercé ses prérogatives en autorisant, le 18 septembre 2012, le rachat par Canal+ de Direct 8, qui sera rebaptisée D8. En effet, selon son président Michel Boyon, « la nouvelle convention de D8 est assortie d’obligations qui sont les plus sévères de toutes les chaînes de la TNT ». Ces obligations concernent la programmation de D8 et les conditions de financement du cinéma et de l’audiovisuel, au cœur des prérogatives du CSA.
En matière de programmation, D8 ne pourra diffuser de séries américaines en prime time (heures de grande écoute) qu’un soir par semaine, pendant trois ans, séries qu’elle ne peut acheter qu’auprès d’un seul des six grands studios américains en négociant à la fois les droits payants et gratuits.
Cette obligation répond aux inquiétudes de TF1 qui avait demandé que D8 n’ait qu’une soirée consacrée aux séries américaines, contre deux initialement prévues par Canal+, afin de limiter la concurrence sur ces programmes phares dont la rentabilité est très supérieure aux autres programmes. Passé le délai de trois ans, D8 pourra programmer pendant deux ans 80 soirées de séries américaines par an. Au-delà de cinq ans, les obligations cessent. A ce jour, M6 diffuse par exemple des séries américaines quatre soirs par semaine, ce que D8 ne pourra faire qu’à partir de 2018.
Concernant les séries française produites par StudioCanal et qui alimentent la chaîne Canal +, D8 n’a aucune limitation en matière de mise à l’antenne, mais devra toutefois respecter un délai d’un an et demi entre leur passage sur la chaîne cryptée et leur diffusion en clair. La chaîne D8 s’était engagée à mettre à l’antenne au moins sept heures de programmes inédits par jour, une obligation renforcée par le CSA qui exige qu’au moins deux heures de ces programmes n’aient jamais été diffusées sur une chaîne payante, obligeant ainsi D8 à financer la production de programmes inédits à hauteur de 730 heures par an.
En ce qui concerne la contribution au financement de la production cinématographique, D8 devra investir, comme toutes les chaînes, 3,2 % de son chiffre d’affaires de l’année précédente, mais 45 % de ses dépenses doivent relever des préachats dès 2013, puis 65 % dès 2015, et enfin 100 % des dépenses dès que le chiffre d’affaires de D8 dépassera 140 millions d’euros par an. Ne pouvant pas acheter des films déjà produits et devant se positionner sur le préachat, D8 sera l’un des plus grands contributeurs au financement du cinéma parmi les nouvelles chaînes de la TNT.
Pour les achats de films inédits à la fois pour Canal+ et D8, limités à 20 par an, D8 devra consacrer au moins un tiers de son budget d’achat de films à des productions inférieures à 7 millions d’euros, autant dire des films à petit budget qui ne font pas partie des programmes les plus prisés en termes d’audience. Cette mesure évite ainsi que D8 ne se positionne sur 20 films à gros budget, ce qui correspond aux 20 films environ où, historiquement, TF1 et M6 sont coproducteurs pour les droits gratuits aux côtés de Canal+ pour le payant. Par ailleurs, D8 ne pourra pas, pour l’achat de films, donc des productions anciennes, recourir à plus de 36 % au catalogue de StudioCanal.
Concernant les obligations de financement en matière de production audiovisuelle pour les œuvres patrimoniales, la contribution de D8 représentera 8,5 % de son chiffre d’affaires, dont 50 % des dépenses consacrées au préachat d’œuvres, mais ce préachat pourra venir en complément du financement de séries commandées dans l’univers payant par Canal+.
Enfin, concernant les retransmissions sportives, D8 ne pourra diffuser que 75 heures par an de sports majeurs, en l’occurrence le cyclisme, le football, le rugby, le tennis. Au-delà, D8 devra programmer des sports moins connus et viendra concurrencer, non pas TF1 ou France Télévisions, mais L’Equipe TV.
Car c’est bien la puissance du groupe Canal+ et ses ambitions pour D8 qui inquiètent le CSA, voyant dans ce nouvel acteur une menace autant pour les chaînes historiques que pour les chaînes de la TNT. C’est la raison pour laquelle D8 se retrouve avec une convention digne des chaînes historiques, notamment en matière de financement de la production audiovisuelle et cinématographique – ce qui rappelle les obligations historiques de Canal+, en échange de son entrée sur le marché de la télévision payante grâce à une fréquence hertzienne. Le groupe Canal+ entend en effet tripler, d’ici à trois ans, le budget de D8 qui passera de 37,6 millions d’euros avant son rachat à 120 millions d’euros, puis 140 millions d’euros à terme pour 4 % d’audience, contre 2,2 % en 2012. Parce que D8 ne pourra pas diffuser rapidement les séries américaines, très rentables, sa montée en gamme risque toutefois d’être progressive.
Reste que la chaîne s’impose pour son lancement, le 7 octobre 2012, comme une vraie concurrente des généralistes TF1, France 2 et M6, même si leurs budgets sont sans commune mesure, et surtout comme une concurrence redoutable pour les mini- généralistes, au premier rang desquelles la chaîne leader TMC (groupe TF1) et W9 (groupe M6), dont le budget avoisine 50 millions d’euros pour une centaine de millions d’euros de recettes publicitaires. En effet, la nouvelle grille de D8 rappelle celles des grandes généralistes, avec des animateurs qui en sont des transfuges, ainsi de Laurence Ferrari qui présentait la saison passée le 20 heures de TF1, ou encore Guy Lagache, ancien présentateur de Capital sur M6. S’ajoutent des figures de la chaîne Canal+ comme Daphnée Roulier et Thierry Ardisson, ainsi que des animateurs et journalistes en vue, Cyril Hanouna jusqu’ici sur France 4, ou encore Audrey Pulvar. Un aéropage politique complète l’équipe avec le recrutement de Roseline Bachelot et de Frédéric Mitterrand. Concernant les programmes, D8 fait là encore la différence avec Nouvelle Star, auparavant programmée sur M6 et produite par Freemantle, filiale du groupe Bertelsmann qui contrôle pourtant M6, ou encore avec The Amazing Race, une téléréalité du type Pékin Express, un programme qui fait les beaux jours de M6 et sert de faire-valoir aux animateurs de la chaîne. Enfin, de même que M6 avait, pour affronter TF1, lancé son JT à 19 h 45, D8 proposera elle aussi un JT. La cible CSP + que revendique D8 et qui constitue également le cœur de cible de la tranche en clair de la chaîne cryptée, pourrait donc être bien élargie et les audiences de D8 se faire également avec la ménagère de moins de 50 ans. En effet, en visant 4 % d’audience et 150 millions d’euros de recettes publicitaires, D8 n’espère conquérir que 2 % du marché publicitaire TV. Or rien n’indique que la part d’audience et la part de marché publicitaire, sur des programmes phares, n’ont pas vocation à s’équilibrer. Face à elle, les six nouvelles chaînes de la TNT auront du mal à se distinguer et les leaders actuels, TMC et W9, dont la part d’audience s’est stabilisée depuis six mois au dessus de 3,5 %, risquent de leur côté d’être détrônés par D8.
Sources :
- « Distribution : le CSA brandit l’arme atomique face à Canal+ », Les Echos, 12 avril 2012.
- « Fusion CanalSat-TPS : le piège se referme sur Canal+ », Paule Gonzalès, Le Figaro, 23 mai 2012.
- « Rachat de Direct 8 – Direct Star : le front anti-Canal+ s’organise », Fabienne Schmitt, Les Echos, 24 mai 2012.
- « Rachat de Direct 8 et Direct Star : Canal+ veut limiter les concessions », Fabienne Schmitt, Les Echos, 11 juin 2012.
- « Fusion TPS-CanalSat : Canal+ prépare sa riposte », Fabienne Schmitt, Les Echos, 12 juin 2012.
- « CanalSat pacifie ses relations avec les chaînes thématiques », Paule Gonzalès, Le Figaro, 25 juin 2012.
- « Dernier round entre Canal+ et l’Autorité de la concurrence », Paule Gonzalès, Le Figaro, 30 juin 2012.
- « Rachat de Direct 8 : le CSA pourrait arbitrer fin juillet », Fabienne Schmitt, Les Echos, 9 juillet 2012.
- « Les pouvoirs du gendarme de la concurrence ne sont pas constitutionnels, affirme Canal Plus », Jamal Henni, latribune.fr, 11 juillet 2012.
- « Canal Plus remporte une première manche contre l’Autorité de la concurrence », Jamal Henni, latribune.fr, 17 juillet 2012.
- « Journée cruciale pour Canal+ », Paule Gonzalès, Le Figaro, 23 juillet 2012.
- « L’autorité de la concurrence freine les ambitions de Canal+ », Fabienne Schmitt, Les Echos, 24 juillet 2012.
- « L’Autorité de la concurrence encadre le développement de Canal+ », Marie-Catherine Beuth, Le Figaro, 24 juillet 2012.
- « M6 ne se bat pas à armes égales avec Canal+ sur la télévision gratuite », interview de Nicolas de Tavernost, président du directoire de M6, par Marie-Catherine Beuth et Philippe Larroque, Le Figaro, 25 juillet 2012.
- « TPS-Canal+ : le rapport de Bercy », Fabienne Schmitt, Les Echos, 26 juillet 2012.
- « Bolloré Média : « Que TF1 et M6 balayent devant leur porte » », interview de Jean-Christophe Thiérry, président de Bolloré Média, par Philippe Larroque, Le Figaro, 28 juillet 2012.
- « Rachat de Direct 8 : « Le CSA encadre ce qui se passe à l’antenne » », Marie-Catherine Beuth et Philippe Larroque, Le Figaro, 1er août 2012.
- « Comment Canal Plus domine le marché du cinéma », Sandrine Cassini, latribune.fr, 1er août 2012.
- « Premiers candidats au rachat des chaînes cinéma d’Orange », Jamal Henni, latribune.fr, 2 août 2012.
- « Canal+ va tripler le budget de Direct 8 », Fabienne Schmitt, Les Echos, 5 septembre 2012
- « Débuts à haut risque pour Direct 8 », Paule Gonzalès, Le Figaro, 11 septembre 2012.
- « TF1 veut pratiquement priver Direct 8 de ses séries américaines », Fabienne Schmitt, Les Echos, 12 septembre 2012.
- « Quand TF1, M6 et France Télévisions conseillent le CSA pour encadrer Canal Plus », Sandrine Cassini, latribune.fr, 13 septembre 2012 – « Avec Direct 8, Canal+ bouleverse la TV gratuite », Paule Gonzalès, Le Figaro, 17 septembre 2012.
- « Feu vert sous condition au rachat de Direct 8 par Canal Plus », Sandrine Cassini, latribune.fr, 18 septembre 2012.
- « Le CSA valide l’achat de D8 par Canal+ », Paule Gonzalès, Le Figaro, 19 septembre 2012.
- « Direct 8 passe sous le contrôle de Canal+ après un accord sous condition du CSA », Fabienne Schmitt, Les Echos, 19 septembre 2012.
- « Pourquoi Canal Plus bousculera (quand même) TF1, M6 et France Télévisions », Sandrine Cassini, latribune.fr, 21 septembre 2012.