Vidéo en ligne : les offres de la télévision interactive se mettent en place

Alors que les acteurs français de l’audiovisuel multiplient les initiatives, Google décline son offre pour la télévision connectée en enrichissant YouTube de programmes exclusifs. Au Royaume-Uni, Netflix recrute de nombreux abonnés quand BSkyB s’associe avec Zeebox pour proposer une offre interactive dite de « second écran ».

Alors que le gouvernement réfléchit à une possible fusion du CSA et de l’ARCEP au nom de la convergence, qui s’incarne notamment dans la télévision connectée, les usages tardent à se développer. En effet, la télévision connectée est aujourd’hui pratiquement absente des pratiques des Français, mais son développement est imminent : les Français ont pris l’habitude de regarder des vidéos sur Internet, c’est-à-dire à la demande, ComScore estimant à 39,5 millions le nombre de vidéonautes français en janvier 2012, pour 6,2 milliards de vidéos vues, dont 2,4 milliards de vidéos pour le seul site YouTube. S’ajoute à ces nouvelles habitudes, prises dans l’univers PC, l’arrivée d’offres de vidéo à la demande sur les écrans de télévision grâce aux box des FAI qui, avant les constructeurs de téléviseurs, ont connecté les écrans français. Autant dire que, malgré ces retards, la banalisation de la télévision connectée est attendue rapidement, ce qui explique notamment pourquoi les grands acteurs de la télévision mettent en place leurs offres de vidéo à la demande en illimité, à l’instar de Canal+ avec Canal Play Infinity (voir REM n°21, p.79), afin de contrer les géants américains que sont YouTube, Netflix ou Amazon. Et l’analyse stratégique des groupes français est juste : le risque d’une cannibalisation des audiences par les acteurs du Web est fort, seule une offre exclusive de grande qualité pouvant en contrebalancer les effets. Il en est ainsi de Netflix qui, au Royaume-Uni, s’est lancé face à Sky et a convaincu quelque 800 000 abonnés au premier semestre 2011.

Plusieurs types d’offres voient donc le jour, chacune avec pour objectif de donner aux téléspectateurs et vidéonautes des possibilités plus interactives de consommation des programmes. Les offres lancées par les chaînes cherchent d’abord à renforcer l’intégration entre leur service linéaire et leurs nouveaux services délinéarisés, grâce notamment à des synergies entre écrans.

Ces synergies peuvent reposer sur le contrôle de la chronologie des médias, particulièrement pour les productions maison, comme la logique du groupe Canal+ avec StudioCanal, ses chaînes payantes et désormais gratuites, ses services de VAD Canal Play et Canal Play Infinity pour l’illimité.

Ces synergies peuvent reposer sur l’intégration de la demande au cœur de l’offre linéaire. France Télévisions par exemple propose depuis le 3 juillet 2012 sur les téléviseurs connectés une fonctionnalité baptisée Salto qui permet de relancer un programme déjà commencé sur la chaîne en linéaire, au cas où le téléspectateur aurait manqué les premières minutes. Cette offre de télévision « en décalé » n’est pour l’instant disponible que de 20 heures à minuit, mais elle représente l’une des toutes premières fonctionnalités proposées spécifiquement pour la télévision connectée en France. De son côté, M6 développe les relations entre programmes de la chaîne et offres délinéarisées grâce au multitasking, en exploitant les possibilités offertes par le « second écran » (voir REM n°22-23, p.65). En effet, selon le cabinet NPA, trois internautes sur quatre utilisent occasionnellement un second écran en regardant la télévision, et pour 58 % d’entre eux afin de se renseigner sur le programme en cours : il va de soi que la télévision connectée pourra faciliter et encourager ces pratiques en s’étendant à l’univers numérique du foyer et en faisant interagir le téléviseur avec les tablettes, smartphones et PC. Ainsi M6 va-t-elle lancer, en octobre 2012, son service « Devant ma TV », accessible depuis les applications de la chaîne sur smartphones et tablettes. Ce service permettra de commenter en direct les programmes, d’échanger avec ses amis et les autres personnes connectées, de compléter le programme d’informations (par exemple proposer des recettes de cuisine durant des programmes comme Top Chef). M6 a déjà fait basculer son service de télévision de rattrapage M6 Replay dans l’univers social en partageant l’écran entre d’un côté le lecteur vidéo et de l’autre les flux Facebook, où défilent les commentaires de ses amis sur le programme. France 5 avait ouvert la voie avec l’émission C dans l’air au printemps 2012 en combinant sur le poste de télévision connectée flux linéaire et offre interactive d’informations (voir REM n°22-23, p.45).

Mais les chaînes devront continuer d’innover pour résister aux concurrences venues de l’Internet. Ainsi, en matière de second écran, des pure players peuvent tout à fait prendre le contrôle de la consommation. Au Royaume-Uni, l’application Zeebox, lancée en octobre 2011, est par exemple en train de s’imposer : disponible sur smartphone et tablette, cette application propose une sorte de guide TV dans les univers Facebook, Twitter ou iTunes, et incite les utilisateurs, qui visionnent le même programme à la télévision, à échanger en direct ou à compléter en ligne leur consommation. Convaincu de son succès, le groupe BSkyB a d’ailleurs pris une participation de 10 % au capital de la start-up.

La concurrence la plus redoutable est toutefois à attendre des acteurs d’Internet qui ont su prendre le contrôle du marché de la vidéo à la demande dans l’univers Web, au premier rang desquels YouTube ou Netflix. Aujourd’hui, ces acteurs développent tous une stratégie « premium » afin de rendre leurs services adaptés à la consommation plus exigeante de programmes sur un poste de télévision. Aux Etats-Unis, Netflix, qui a commencé par proposer une offre complète de programmes anciens, se positionne désormais sur les programmes récents et finance la production de certains d’entre eux pour disposer d’exclusivités. A l’échelle mondiale, YouTube développe la même stratégie. En France, YouTube va ainsi lancer, à partir d’octobre 2012, treize chaînes premium sur le Web, lesquelles proposeront 20 heures de programmes inédits par an. Comme Netflix, YouTube investit donc la production pour disposer d’inédits et a signé des contrats avec des producteurs de télévision, mais il s’agit de contrats d’un genre nouveau. Parce que, sur Internet, les volumes obligent à produire à bas coûts, YouTube propose des contrats avec une avance sur recettes de 500 000 euros, laquelle doit être intégralement dépensée, la marge se faisant sur le partage à 50/50 des recettes publicitaires une fois atteint le demi-million de recettes. A ces programmes produits par YouTube s’ajoutent les droits que le site d’échange de vidéos négocie désormais. YouTube a notamment signé avec la Ligue de football professionnel (LFP) pour diffuser tous les dimanches soir de courtes vidéos présentant un résumé des matchs, format adapté à la consommation délinéarisée, la durée moyenne des vidéos vues sur YouTube étant, en juillet 2012, de 3,6 minutes. Or seules des vidéos de qualité, avec des programmes exclusifs et une offre attractive, pourront faire augmenter cette durée moyenne et permettre à YouTube de concurrencer les chaînes dans l’univers de la télévision connectée. En comparaison, en janvier 2012, les sites de TF1 attiraient quatre fois moins de vidéonautes que YouTube mais la durée moyenne de chaque visionnage était de 10,9 minutes et se réalisait sur un nombre limité de vidéos.

YouTube pourra cependant compter sur sa dimension mondiale pour attirer vers lui les ayants droit et renforcer son service au détriment des offres nationales : l’accord avec la LFP, passé sur le territoire national également avec Dailymotion et lequipe.fr, en juillet 2012, a été étendu au monde entier pour YouTube uniquement, qui devient ainsi le premier et le seul distributeur mondial du football français, les droits sur les écrans de télévision étant négociés pays par pays. YouTube, qui a aussi démarché sans succès la Bundesliga allemande va multiplier les initiatives de ce type et enrichir ainsi son offre mondiale : 800 millions de visiteurs uniques, les recettes publicitaires promises et la visibilité donnée aux programmes peuvent en effet de convaincre de nombreux ayants droit.

Sources :

  • « 39,5 millions de vidéonautes français ont visionné près de 6,2 milliards de vidéos en janvier 2012 (ComScore Video Metrix) », La Correspondance de la Presse, 14 mars 2012.
  • « France Télévisions entre de plain-pied dans la télévision connectée grâce à une nouvelle application », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 4 juillet 2012.
  • « M6 veut surfer sur la mode du second écran », Fabienne Schmitt, Les Echos, 6 juillet 2012.
  • « YouTube va lancer 13 chaînes de télé en France », Paule Gonzalès, Le Figaro, 10 juillet 2012.
  • « YouTube va diffuser du foot français dans le monde entier », Fabienne Schmitt, Les Echos, 25 juillet 2012.
  • « Netflix fait trembler les studios et les chaînes de télévision », Paule Gonzalès, Le Figaro, 3 août 2012.
  • « L’application de « social TV » Zeebox à l’assaut des Etats-Unis », Delphine Cuny, la tribune.fr, 21 août 2012.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

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