Les 20 ans de l’Observatoire européen de l’audiovisuel

L’Observatoire européen de l’audiovisuel créé, en 1992 sous les auspices d’Eureka Audiovisuel en tant qu’accord partiel du Conseil de l’Europe, a récemment fêté ses vingt ans en organisant à Strasbourg une conférence sur le thème de la concentration des médias. La mission de cet organisme public de collecte et de diffusion d’informations et de données sur l’industrie audiovisuelle de ses 39 Etats membres est d’améliorer la transparence du secteur audiovisuel au bénéfice des professionnels. Wolfgang Closs, directeur exécutif de l’organisme, depuis 2000, donne son point de vue à Olga D. Kliamaki, expert, responsable, entre 1991 et 1993, de la mise en place de l’Observatoire européen de l’audiovisuel.

Quel bilan dressez-vous de l’activité de production et de diffusion d’informations et de données de l’Observatoire sur l’audiovisuel en Europe ?

L’Observatoire est à présent reconnu comme une des principales sources d’information sur le secteur audiovisuel européen, tant dans le domaine des données sur les marchés et les financements que dans le domaine juridique. Les publications, que ce soit l’Annuaire, les rapports juridiques IRIS, le FOCUS Tendances du marché mondial du cinéma ou les rapports thématiques, sont régulièrement citées dans les documents des institutions européennes et nationales, utilisées par les entreprises du secteur, petites ou grandes, en même temps qu’elles sont sollicitées par la presse. Notre action s’étend au-delà de l’Europe, non seulement par les collaborations avec des organismes tels que l’Institut statistique de l’UNESCO, l’OCDE, l’OSCE ou l’OMPI, mais également par l’ensemble des contacts établis avec des centres d’information plus ou moins similaires à travers le monde, y compris des centres universitaires à New York ou à Pékin. Et nous savons que nos chiffres sont utilisés par Hollywood et par la US International Trade Administration ! Sans fausse modestie, je pense que nous pourrions considérer que l’Observatoire est une succes story.

Quelle est la « valeur ajoutée » apportée par l’Observatoire à l’industrie audiovisuelle européenne ? Quel est le secteur, quels sont les acteurs, qui semblent en tirer le plus grand parti ?

En tant que structure paneuropéenne, dotée d’un statut lui garantissant son indépendance éditoriale et un financement stable, l’Observatoire a pu instituer des processus de collecte efficaces dans la durée, coordonnés avec les organisations professionnelles membres de son Comité consultatif, des organismes partenaires et des fournisseurs spécialisés ainsi qu’avec des réseaux de correspondants nationaux. L’organisme collabore aussi bien avec des sources publiques qu’avec des organismes privés, et c’est là un avantage important car il faut bien reconnaître que, dans beaucoup de domaines, les sources publiques ne sont pas à même de fournir les informations nécessaires. Cette indépendance éditoriale est complétée par le fait que l’Observatoire, d’après son statut, doit rester neutre entre les différentes branches, les différents groupes d’intérêt de l’industrie.

Nous ne sommes pas là pour plaider pour ou contre le service public, pour ou contre la régulation des marchés. Nous devons fournir les informations de base qui permettent de comprendre les situations et chacun peut puiser dans nos données de quoi nourrir ses argumentaires ou ses choix stratégiques. La position fédératrice de l’Observatoire lui permet de proposer des analyses comparatives, avec l’appui de chiffres relativement harmonisés. L’Europe est plus que la somme de ses parties ; l’expérience nous permet de proposer des statistiques qui « corrigent » les biais nationaux ou des analyses juridiques qui « traduisent » les différences conceptuelles entre les différentes législations nationales. Il est difficile de dire quels sont les acteurs qui tirent le meilleur parti de l’Observatoire. Les statistiques sont utilisées aussi bien par des opérateurs de satellites, des grands groupes internationaux, des agences publicitaires que par des petits producteurs, des fédérations de réalisateurs ou d’exploitants de salles « art et essai ». La composition du Comité consultatif est parfaitement représentative de la diversité du secteur audiovisuel. Évidemment, les meilleurs « clients » sont les catégories professionnelles qui sont elles-mêmes spécialisées dans l’utilisation des informations : responsables internationaux dans les administrations et les entreprises, juristes, services de prospective et de marketing, lobbyistes, consultants, chercheurs, journalistes et formateurs.

Enfin, je voudrais souligner le rôle de l’Observatoire dans la démocratisation de l’accès à l’information. Certaines des informations que nous mettons à la disposition des professionnels émanent soit d’organisations professionnelles qui collectaient des données pour leurs seuls membres et qui acceptent maintenant de les partager avec nous, soit d’entre- prises privées qui ont pour clients les grands acteurs mais dont le prix des publications ou des services est prohibitif pour les petites et moyennes entreprises ou pour les administrations des plus petits pays. Pour renforcer cette démocratisation, outre un site web, quatre bases de données d’accès gratuit ont été mises en place : LUMIERE permet à un producteur, à un réalisateur ou à un ayant droit de vérifier rapidement la circulation de ses films sur 27 territoires européens ; KORDA permet à un producteur de repérer des sources de financements publics dans d’autres pays européens ; MAVISE permet à un distributeur de dessins animés de repérer très rapidement toutes les chaînes s’adressant aux enfants ; enfin, IRIS MERLIN permet à un avocat de trouver rapidement le texte d’un cas de jurisprudence important dans un pays voisin, qui lui permettra d’élaborer son argumentaire.

Quelles sont les caractéristiques principales du marché audiovisuel européen qui se dégagent à travers les travaux de l’Observatoire ?

La fragmentation et la diversité sont persistantes dans les systèmes nationaux. La nouvelle version de l’annuaire et le concept du nouveau site web qui seront lancés cette année visent à faciliter pour les utilisateurs la perception de la spécificité de chacun de ces paysages nationaux. En même temps, il est sûr que les objectifs d’ouverture des marchés se sont concrétisés : la circulation paneuropéenne, et même internationale, des chaînes de télévision et des services audiovisuels à la demande est devenue une réalité. La croissance du secteur est indéniable : la prolifération du nombre de chaînes et de services à la demande, la croissance du nombre de longs métrages produits en Europe sont impressionnants. En même temps, il ne faut se le cacher, la domination du marché européen par les services et produits américains reste aussi importante, sinon plus, que dans les années 1980, lorsqu’une politique européenne a commencé à être conduite. Les grands groupes américains ont mieux réussi leur déploiement paneuropéen que les quelques grands groupes européens. C’était déjà vrai dans le domaine de la distribution cinématographique, lorsque l’Observatoire a été mis en place. Ça l’est aujourd’hui aussi dans le domaine du câble, des chaînes thématiques, de la distribution vidéo, des services de médias audiovisuels à la demande, des réseaux sociaux et des plateformes de partage vidéo sur Internet.

L’Observatoire est né au temps où Internet n’était pas encore un outil grand public : quel avenir se dessine, selon vous, pour le cinéma, la télévision, la vidéo en Europe, à l’ère du numérique, marché largement dominé par les groupes américains Google, Apple ou encore Amazon ?

Le grand mérite d’Internet, c’est, si vous êtes curieux, la possibilité de trouver à peu près tout ce que vous cherchez : la possibilité d’accéder facilement aux DVD édités dans les autres pays, à des services de VAD spécialisés dans les films européens, les films arabes ou africains, à des sites mis en place par les centres d’archives cinématographiques ou audiovisuelles. Quoi qu’en disent les esprits chagrins, l’offre légale est très riche. L’offre illégale l’est plus encore ! Mais l’offre illégale est un véritable défi pour l’industrie : bien que difficile à chiffrer, elle constitue certainement une perte importante pour l’industrie, elle accroît la pression sur la réduction des fenêtres de diffusion et sur le niveau des prix.

Les nouveaux acteurs de l’Internet que vous citez, mais il faudrait aussi inclure un grand groupe du câble tel que Liberty Global ou des acteurs du jeu vidéo en ligne tels que Microsoft ou Sony Entertainment, se sont positionnés sur le commerce de détail au niveau international, c’est-à-dire qu’ils ont un contact direct avec le consommateur et peuvent discerner plus rapidement les évolutions du marché, les modes, les marchés de niche… Dans ce domaine, ils sont certainement devenus plus efficaces que les distributeurs cinématographiques, les exploitants de salles, les opérateurs de chaînes à péage et surtout les grandes surfaces spécialisées brick and mortar. L’écroulement récent au Royaume- Uni des réseaux de magasins HMV, Virgin Media ou Blockbuster est spectaculaire. Les opérateurs internet peuvent offrir un catalogue plus vaste, tout en réduisant les coûts de stockage et de main-d’œuvre et en jouant habilement des facilités fiscales offertes par tel ou tel pays européen. La capacité des acteurs de l’Internet de collecter des informations sur leurs clients et de monnayer ces informations avec les producteurs de contenus et les annonceurs publicitaires devient une question juridique extrêmement sensible.

Du point de vue juridique, quels sont les sujets actuellement considérés comme cruciaux pour l’avenir de l’audiovisuel en Europe ? Quelles sont les perspectives ?

Pour le secteur audiovisuel, l’un des domaines les plus importants est sans aucun doute celui du droit d’auteur, tout simplement parce que tous les services audiovisuels s’appuient sur la disponibilité et l’usage des contenus et que c’est le droit d’auteur qui détermine les deux à la fois. La numérisation a facilité l’utilisation d’œuvres par-delà les frontières et par conséquent toutes les questions de droits d’auteur liées à l’utilisation transnationale (y compris les utilisations illégales et les questions de piratage) sont en haut de notre agenda. Étant donné que le secteur audiovisuel doit également atteindre des objectifs économiques et culturels, la question de la répartition des compétences entre l’Union européenne et ses États membres est très pertinente. En outre, pour l’aspect culturel de l’audiovisuel, les régimes de financement, le pluralisme et la diversité sont certainement des questions importantes. Sous l’angle économique, une préoccupation majeure est de savoir comment assurer des conditions égales pour le vaste domaine des services variés à travers la réglementation. L’accès, l’opérabilité, la neutralité du Net et la réglementation du contenu des prestations des groupes vulnérables sont d’autres exemples d’une liste généralement longue de sujets importants. Je note aussi que la question de la promotion des œuvres européennes, inscrite dans la directive TSF de 1989 ainsi que dans la directive SMA de 2007 telle qu’elle a été codifiée en 2010, (mais, il faut bien le dire, restée en sommeil dans un certain nombre d’Etats membres), vient d’être fixée par la DG Connect (Direction générale pour les réseaux de communication, de contenu et de la technologie) de la Commission européenne comme étant sa priorité pour 2013.

La conférence des vingt ans de l’Observatoire a été axée sur le thème de la concentration des médias. Quels sont les éléments significatifs qu’il faut en retenir ?

La concentration des médias continue d’être un sujet de préoccupation significative. Les dispositions permettant à certaines entreprises d’établir des positions de force et de dominer le marché sont complexes et comprennent aussi bien l’organisation verticale et l’utilisation ciblée de services contrôlant l’accès que des modèles d’entreprise. Divers domaines juridiques sont pertinents pour lutter contre la concentration des médias, à savoir des lois spécifiques anticoncentration, le droit de la concurrence, le droit des communications, mais aussi le droit d’auteur. L’Union européenne dispose d’un ensemble limité de règles puisque sa compétence principale repose sur le droit de la concurrence. La conférence a également témoigné du fait que le problème de la concentration ne se pose plus uniquement dans le domaine de la propriété de journaux, de chaînes de télévision ou de réseaux de distribution de films. La maîtrise des réseaux large bande, des browsers (logiciels de navigation) et des applications systèmes d’Internet, des outils de recherche, des magasins de distribution en ligne de films, de musique, d’applications, de livres électroniques constituent les nouvelles formes de domination du marché qui interpellent l’industrie, les législateurs et les régulateurs.

En matière de concentration des médias audiovisuels, quel type d’études contribuerait théorique- ment le mieux à la transparence? Quels sont les obstacles rencontrés dans la collecte des informations liées à la concentration des médias ? Pour quel type de données plus particulièrement ?

La dernière publication juridique de l’Observatoire, intitulée « Marchés convergents – pouvoir convergent ? Régulation et jurisprudence » (IRIS Spécial) explore les enjeux actuels de la concentration des médias dans un secteur audiovisuel qui a changé en raison de la numérisation et de la convergence des services audiovisuels. Nous croyons que c’est ce type d’étude qui aide à mieux comprendre d’un point de vue juridique les questions de concentration des médias qui se posent aujourd’hui, la façon dont elles sont actuellement traitées et quels sont les défis pour l’industrie, les législateurs et les tribunaux. Une étude complémentaire serait nécessaire pour pouvoir envisager les règles qui stimulent le pluralisme et la diversité des médias, cet autre côté de la médaille. Et même, une troisième étude pourrait être envisagée afin d’examiner en particulier le rôle des médias de service public pour contrebalancer la concentration des médias et promouvoir des valeurs publiques telles que le pluralisme.

La définition d’indicateurs statistiques sur la concentration des médias a déjà été largement réalisée dans le cadre de rapports publiés par le Conseil de l’Europe et la Commission européenne. Les indicateurs que nous publions sont surtout des indicateurs économiques, et non des indicateurs sur le pluralisme ou la diversité culturelle. Il faut se garder de la présupposition naïve que plus un marché est concurrentiel du point de vue économique, plus il est diversifié du point de vue du pluralisme et de la diversité culturelle. Pour l’instant, la concurrence entre les grands groupes se joue essentiellement sur l’accès aux droits des programmes les plus évidents : blockbusters américains et grands événements sportifs.

Economies, sociétés, médias en crise ! Quelle place pour les médias audiovisuels, et notamment pour le secteur public à l’heure des restrictions budgétaires ? Quels sont les indices d’une réorganisation à venir des entreprises audiovisuelles face à la crise économique ?

Cela peut paraître paradoxal mais, du point de vue financier, les entreprises de radio-télévision de service public ont relativement mieux traversé la récession des années 2008-2009 que les entreprises financées par la publicité. Mais l’impact de la crise des finances publiques commence à se faire sentir depuis 2011. Nous avons montré dans les publications juridiques et dans l’Annuaire les changements apportés par plusieurs pays à leur système de collecte de fonds pour les médias du secteur public afin de garantir leur existence et, ainsi, l’importante contribution réalisée dans des domaines aussi différents que le passage au numérique et la promotion des œuvres européennes. Le financement du secteur public par des prélèvements sur les recettes des opérateurs de télécommunications, introduit en France et en Espagne, risque d’être remis en cause par la Commission européenne. Au Royaume-Uni, la BBC va être obligée de financer elle-même son World Service, sans pouvoir compter, désormais, sur un financement public direct de ce service. En Allemagne, une réforme de la redevance vient de modifier l’assiette de prélèvement. Le développement de mécanismes de « test de la valeur publique » témoigne d’un effort accru pour contrôler les dépenses des médias publics, en même temps qu’il illustre l’objectif d’équilibre de la concurrence entre médias publics et commerciaux afin de conquérir de nouveaux marchés.

Le grand problème d’avenir pour le secteur public est celui de sa légitimité aux yeux de la population, et en particulier de l’acceptabilité du paiement de la redevance pour la génération des digital natives qui n’ont même pas idée qu’il y a à peine trente ans existait dans la plupart des pays européens un monopole de service public, et que le secteur public correspond à des objectifs d’intérêt général et à une recherche de diversité qu’ils ont parfois de la peine à percevoir dans l’abondance de l’offre.

Quel avenir pour l’Observatoire ? S’ouvrir à d’autres pays et à d’autres champs d’enquêtes ?

C’est aux membres, réunis dans le Conseil exécutif, qu’il appartient de prendre les décisions. La situation des finances publiques dans plusieurs des Etats membres ne nous fait pas espérer à court terme le renforcement de notre équipe, notamment en matière fiscale et en matière de nouveaux médias. Le Conseil exécutif est d’accord en principe sur la nécessité de ce renforcement, mais un vote négatif de la France en 2008 a bloqué le processus. Du coup, on nous demande de faire plus avec des moyens en stagnation. Le Conseil exécutif vient d’accepter la demande d’adhésion du Maroc, ce qui ouvre la perspective d’un élargissement vers les pays de la Méditerranée, dans le cadre de la politique de voisinage du Conseil de l’Europe. Nous sommes déjà engagés dans un projet de collecte de données dans les pays méditerranéens, dans le cadre du Programme Euromed Audiovisuel III de l’Union européenne. Un autre élargissement possible vient d’être mis à l’ordre du jour par la Commission européenne dans le cadre de l’élaboration du futur Programme Europe créative : la Commission propose d’étendre nos activités à la collecte des données sur l’ensemble des industries culturelles et créatives. C’est un défi et nous souhaitons au préalable réaliser une étude de faisabilité sur cette question.

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