Le cinéma français sort de deux années de doutes sur son financement, menacé par la politique de concurrence de la Commission européenne. Deux dispositifs majeurs ont été visés : la taxe sur les opérateurs de télécommunications, les aides publiques au cinéma et leur contrepartie, la territorialisation de la dépense. Sur ces deux sujets, Bruxelles a finalement dû opter pour une pérennisation des dispositifs.
La TST-D validée par la Commission européenne
Créée en 2007 et applicable depuis le 1er janvier 2008, la taxe sur les services de télévision (TST) s’applique à tous « les éditeurs de services de télévision quel que soit leur réseau de diffusion d’une part, et les distributeurs de services de télévision quel que soit le réseau de communications électroniques utilisé d’autre part ». Elle est récoltée directement par le CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) depuis le 1er janvier 2010 et elle a permis à ce dernier d’augmenter significativement son budget, la TST étant devenue la principale source de financement de l’organisme chargé du soutien à la production audiovisuelle et cinématographique. Son rendement est ainsi passé de 94 millions d’euros en 2008 à 279 millions d’euros en 2012, avec un pic à 322 millions d’euros en 2011 (voir REM n°25, p.8).
La baisse de rendement constatée, dès 2012, est la conséquence de la stratégie de contournement adoptée à l’origine par le fournisseur d’accès à l’internet Free qui a dissocié dans son abonnement la facturation de l’accès à l’internet de la distribution de chaînes sous IP. Depuis, SFR a suivi la même stratégie, le rendement de la TST baissant de nouveau en 2013 à 214 millions d’euros. C’est pour éviter cette stratégie de contournement que le gouvernement a fait modifier la TST à l’occasion de la loi de finances 2012, donnant naissance à la TST-D, qui modifie l’assiette de la TST. La taxe s’applique à l’ensemble des abonnements à une offre de services d’accès permettant de recevoir des services de télévision, c’est-à-dire au montant total de l’abonnement payé par les clients des fournisseurs d’accès à l’internet. Afin de répondre aux inquiétudes de ces derniers, les opérateurs de télécommunications étant à l’origine du financement de 27 % des aides à la création audiovisuelle hors redevance, la TST-D inclut un abattement de 66 % sur le prix des abonnements pour les offres mixtes, triple play notamment (voir REM n°22-23, p.77).
Applicable au 1er janvier 2014, la TST-D a toutefois été menacée dans son principe par la Commission européenne, celle-ci ayant rejeté le projet de nouvelle taxe que le gouvernement français lui a présenté en 2012, au motif qu’elle serait contraire à la directive Télécoms de 2002 prévoyant que toute taxe sur les opérateurs de télécommunications est affectée au financement du régulateur du secteur, et non à un autre secteur d’activité. Cette position de la Commission européenne a été battue en brèche par la Cour de justice de l’Union européenne qui s’est prononcée, le 27 juin 2013, sur une autre taxe de ce type, la taxe dite Copé sur le chiffre d’affaires des opérateurs de télécommunications, visant à financer la suppression de la publicité après 20 heures sur les chaînes de France Télévisions. La Cour de justice de l’Union européenne a validé la taxe Copé au motif qu’elle ne saurait être assimilée à une taxe administrative, ce qui l’exclut du champ d’application de la directive Télécoms (voir REM n°28, p.22). Dès lors, la TST-D pouvait être acceptée par la Commission européenne, son principe étant similaire à celui de la taxe Copé. Validée le 22 novembre 2013 par Bruxelles, la TST-D entre donc en application en 2014 et devrait permettre au CNC de constater une hausse de son rendement, puisque l’organisme attend 270 millions de taxe en 2014. Avec l’abattement qu’elle instaure sur le prix des abonnements pour le calcul de la taxe, Orange, qui n’avait pas adopté de stratégie de contournement, devrait voir sa contribution baisser, quand celles de SFR et Free vont augmenter. Enfin, la pérennisation de la première source de financement du CNC devrait lui permettre de renforcer sa politique de soutien aux films à moyen budget, ceux compris entre 3 et 7 millions d’euros.
La territorialisation des dépenses pour les films aidés globalement préservée
Le financement des films, indépendamment du soutien du CNC, a également été menacé à l’occasion de la réforme, par la Commission européenne, des conditions d’octroi des aides publiques, le dispositif de la Communication cinéma de 2001 étant arrivé à échéance le 31 décembre 2012. Mais les réticences de nombreux Etats membres au projet ont repoussé d’un an l’adoption du nouveau dispositif. Le principal point d’achoppement fut notamment la pérennisation du principe de la territorialisation des dépenses. En effet, la Communication cinéma de 2001 permettait d’imposer une territorialisation des dépenses à hauteur de 80 % maximum du budget d’un film, dès lors que celui-ci était aidé. Cette entorse aux principes de libre concurrence, d’autant plus que la part des aides dans le budget des films est de 10 % en moyenne, avait été justifiée par la nécessité de favoriser les industries techniques nationales afin de préserver sur un territoire l’ensemble de la chaîne de production du film, faute de quoi la disparition de certaines compétences techniques en aval de la chaîne menacerait de faire disparaître l’ensemble de la filière nationale. Or la Commission européenne souhaitait remettre en question ce principe de territorialisation en appliquant une stricte proportionnalité entre le montant de l’aide et la dépense territorialisée (voir REM n°25, p.8).
Après l’intervention de la France, la Commission européenne est parvenue à un texte de compromis le 13 novembre 2013. La nouvelle Communication cinéma autorise toujours la territorialisation des dépenses, à hauteur de 160 % du montant de l’aide et pour 80 % maximum des dépenses. Dans les faits, ce nouveau dispositif limite les exigences de territorialisation de la dépense, puisqu’il les conditionne au montant de l’aide versée, et non au seul fait qu’un film soit aidé, comme c’était le cas dans la Communication cinéma de 2001. Le montant de l’aide, quant à lui, est plafonné à 50 % du budget d’un film. Pour atténuer cette libéralisation, une clause de la Communication cinéma a été mise en avant, qui vient compléter le dispositif en autorisant les Etats membres à imposer « qu’une part minimale de l’activité de production soit effectuée sur leur territoire pour que les projets puissent bénéficier d’une aide » et, cette fois-ci, « indépendamment du montant de l’aide accordé ». Cette reterritorialisation de l’aide est, comme en 2001, plafonnée à 80 % du budget de production, ce qui revient à maintenir le statu quo. Enfin, la nouvelle Communication cinéma est également étendue à la production audiovisuelle. Elle est d’ailleurs rebaptisée « Communication de la Commission sur les aides d’État en faveur des œuvres cinématographiques et autres œuvres audiovisuelles », un élargissement de son champ d’application qui renforce la politique de territorialisation prévalant depuis 2001.
Sources :
- « La nouvelle taxe finançant le CNC validée d’ici novembre », Renaud Honoré et Grégoire Poussielgue, Les Echos, 30 septembre 2013.
- « Aides au cinéma : le ton va monter entre la France et la Commission européenne », Renaud Honoré et Fabienne Schmitt, Les Echos, 28 octobre 2013.
- « Frédérique Bredin : « Le cinéma français doit être plus transparent » », interview de Frédérique Bredin, président du CNC, par Enguérand Renault, Le Figaro, 12 novembre 2013.
- « Cinéma : Paris rassuré par Bruxelles sur le futur des aides », Renaud Honoré, Les Echos, 13 novembre 2013.
- « Aides d’Etat : la Commission adopte de nouvelles règles en matière d’aides à l’industrie cinématographique », Communiqué de presse, Bruxelles, 14 novembre 2013.
- « Bruxelles valide la taxe sur les télécoms en faveur du cinéma », Caroline Sallé, Le Figaro, 23 novembre 2013.
- « La Commission européenne valide la nouvelle taxe finançant le CNC », Grégoire Poussielgue et Solveig Godeluck, Les Echos, 25 novembre 2013.