Neutralité du Net : les opérateurs télécoms américains gagnent leur bataille

En janvier 2014, la cour d’appel des Etats-Unis (District de Columbia, Washington DC) a jugé inconstitutionnel le règlement établi par la Federal Communications Commission (FCC) en 2010 sur la neutralité de l’internet, principe assurant une égalité de traitement des données acheminées sur le réseau.

L’internet neutre et ouvert pour l’ensemble des fournisseurs de contenus a fait long feu au pays des géants de l’internet. Soutenu par ses concurrents (Comcast, AT&T, T-Mobile, Sprint, etc), l’opérateur de télécommunications Verizon avait porté plainte dès l’annonce, en décembre 2010, par l’autorité de régulation, de l’Open Internet Order. Cet ensemble de règles garantissant la neutralité de l’internet interdit aux opérateurs de télécommunications fixes de bloquer ou de discriminer des services et exige la transparence dans la gestion du trafic à l’ensemble des opérateurs fixes et mobiles La justice américaine a donné raison à Verizon, estimant que la FCC n’avait pas autorité pour imposer aux fournisseurs d’accès des règles de gestion du trafic internet. En effet, depuis le milieu des années 2000, la FCC a qualifié les services offerts par les fournisseurs d’accès à l’internet de services d’information, or le Telecommunications Act de 1996 lui confère une autorité exclusivement sur les services de télécommunications et non sur les services d’information. Par conséquent, si le jugement annule aujourd’hui les règles édictées par la FCC, il n’empêche pas celle-ci de les reformuler un jour, après avoir requalifié les fournisseurs d’accès à l’internet comme des fournisseurs de services de télécommunications. A moins que la FCC ne décide de faire appel devant la Cour suprême. Dans tous les cas, ce délai, probablement long, va être immédiatement exploité par les opérateurs internet.

En conflit avec le service de vidéo à la demande Netflix qui monopolise le tiers de la bande passante en soirée, Verizon a donc les coudées franches pour faire payer les acteurs web désireux d’obtenir un accès plus rapide. En France, un conflit de même nature oppose le fournisseur d’accès Free à YouTube (voir REM n°28, p.14).

Il n’est donc plus interdit aux fournisseurs d’accès de ralentir, de bloquer ou de donner la priorité à certains services en ligne. Pour les défenseurs de la neutralité des flux sur internet, cette décision aura pour conséquence d’entraver l’innovation en empêchant l’émergence de nouveaux services, tout en favorisant les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) qui ont les moyens de s’offrir un accès prioritaire. Les opérateurs de télécommunications, fournisseurs d’accès à l’internet, pourront en effet organiser une hiérarchisation dans le transport des services, favorisant leurs propres offres et celles de leurs partenaires au détriment des autres. La gestion du trafic des données sur le réseau donnera donc lieu à des accords commerciaux réclamés de longue date par les opérateurs de télécommunications qui comptent ainsi amortir les 1 000 milliards de dollars qu’ils ont investis dans des infrastructures haut débit durant la dernière décennie.

La qualité en termes de débit des services accessibles aux internautes dépendra donc de partenariats commerciaux entre fournisseurs d’accès et éditeurs de contenus. Verizon et consorts proposeront donc des prix différenciés, un forfait premium avec un accès rapide et un forfait sans garantie de débit (best effort).

Tout en voulant garantir un accès sans entrave à tous les contenus internet, la Commission européenne s’apprête également à mettre en place un internet à deux vitesses, autorisant les opérateurs à pratiquer une « gestion de trafic raisonnable », avec la possibilité de donner la priorité à certains services spécialisés (voir REM n°28, p.14). Ces remises en cause du principe de la neutralité du Net, de part et d’autre de l’Atlantique, pourraient faire des perdants : les internautes qui ne bénéficieront pas d’un débit d’accès optimal ou qui paieront plus cher leur abonnement à un service de vidéo à la demande.

Sources :

  • « La neutralité du Net cassée par la justice US. Verizon jubile », ZDNet.fr, 15 janvier 2014.
  • « Etats-Unis : l’avenir d’internet incertain, sa « neutralité remise » en cause », AFP, tv5.org, 16 janvier 2014.
  • « La neutralité du Net sur la sellette », Romain Gueugneau et Solveig Godeluck, Les Echos, 16 janvier 2014.
  • « Neutralité des réseaux : la cour d’appel du DC Circuit donne raison à Verizon contre la FCC », Ghislain de Salins, service économique régional de l’ambassade de France à Washington, Mediamerica.org, 21 janvier 2014.
Ingénieur d’études à l’Université Paris 2 - IREC (Institut de recherche et d’études sur la communication)

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