Les outils opérationnels de prévention et de lutte contre la contrefaçon en ligne,

Présidente de la commission de protection des droits de l’Hadopi, Mireille Imbert-Quaretta a remis le 12 mai 2014 son rapport sur « les outils opérationnels de prévention et de lutte contre la contrefaçon en ligne », commandé en juillet 2013 par Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication. Ce rapport s’inscrit dans la continuité du « Rapport sur les moyens de lutte contre le streaming et le téléchargement direct illicites », publié par l’Hadopi le 15 février 2013, et du rapport « Contribution aux politiques culturelles à l’ère du numérique » de la mission « Acte II de l’exception culturelle », dirigé par Pierre Lescure et paru en mai 2013 (voir REM n°26-27, p.55).

Alors que l’action de l’Hadopi est centrée sur les pratiques des usagers qui téléchargent via l’internet des contenus protégés par le droit d’auteur, le présent rapport vise expressément les intermédiaires techniques afin de lutter contre les sites web qui rendent possibles les téléchargements massifs.

Quatre outils sont proposés : le premier consiste en la mise en place de « chartes sectorielles avec les acteurs de la publicité et du paiement en ligne ». Cette mesure n’étant pas contraignante, une large place est donc laissée à l’autorégulation. Le but est d’assécher les ressources des sites « massivement contrefaisants », selon une approche dite « follow the money » ou « frapper au portefeuille », en incitant les acteurs de la publicité en ligne ou du paiement en ligne comme Paypal ou Visa à ne plus travailler avec les sites web visés, les privant ainsi, d’une part, des ressources en provenance des bandeaux publicitaires et, d’autre part, de celles des abonnements ou des dons.

Le deuxième outil préconise la tenue d’une liste noire « des sites web qui portent massivement atteinte au droit d’auteur et aux droits voisins », à la fois pour informer le public qui « s’interroge parfois sur la licéité d’un site en particulier », mais surtout pour officialiser la liste de sites interdits auprès de l’ensemble des intermédiaires techniques ou commerciaux. Une liste similaire existe déjà aux Etats-Unis ou encore en Grande-Bretagne.

Le troisième outil, de loin le plus coercitif, vise à créer « une injonction de retrait prolongé ciblée sur certains contenus contrefaisants ». En effet, lorsque des ayants droit demandent le retrait de contenus contrevenant au droit d’auteur en appliquant la loi pour la confiance dans l’économie numérique, ces contenus disparaissent pour réapparaître rapidement sur des sites miroirs. Cet outil devrait y mettre un terme grâce à cette injonction d’une durée de six mois émanant d’une autorité administrative.

Enfin, le rapport propose un « dispositif de suivi dans le temps des décisions judiciaires concernant les sites internet abritant massivement de la contrefaçon ». Lors de l’affaire Allostreaming – dont le jugement rendu le 28 novembre 2013, après deux ans de procédure, a abouti à l’ordonnance de blocage de différents noms de domaine lié à ce site – les sites bloqués avaient rapidement détourné le filtrage en changeant de nom de domaine et d’adresses IP, ce qui avait poussé les ayants droit à demander que la justice confie à une société privée un rôle de suivi et de mise à jour. Cette requête avait été refusée par le tribunal de grande instance de Paris dans sa décision du 28 novembre 2013, jugeant « qu’en l’état de la législation applicable, la présente juridiction ne dispose d’aucun moyen lui permettant de contrôler l’exécution de sa décision, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un agent public qui en aurait la charge, les modalités proposées par les demandeurs ne constituant pas un tel outil à la disposition de la juridiction ». Ce quatrième outil préconisé tend à combler ce vide juridique en créant un service administratif chargé de l’exécution des décisions de blocage, par l’intermédiaire de l’Hadopi ou du CSA auquel les juges délégueraient le suivi de leurs décisions de blocage.

Le rapport a suscité plusieurs réactions. Alors que l’autorégulation et le « droit souple » préconisés par le rapport ont reçu l’approbation des acteurs de la publicité, les représentants des industries culturelles se sont montrés beaucoup moins enthousiastes. La Société civile des auteurs multimedia (SCAM) estime que « la place accordée à l’autorégulation dans la mise en œuvre de ces préconisations suscite des réserves. L’autorégulation implique de la part des acteurs concernés une volonté réelle d’assumer leurs responsabilités et de s’impliquer dans la lutte contre la contrefaçon. Or, ce type de dispositif, excellent dans son principe, se révèle généralement un échec pratique, faute de réelle volonté d’agir ».

La Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) considère, quant à elle, « que l’action des pouvoirs publics ne doit pas se réduire à l’éventail d’outils opérationnels proposés dans ce rapport » et souhaite également que soient prises des mesures contre les moteurs de recherche qui « pointent » vers les sites de téléchargement d’œuvres protégées par le droit d’auteur.

Comme le relève Mireille Imbert-Quaretta, « il n’existe pas de solution unique pour lutter contre la contrefaçon sur internet » et il serait nécessaire de « mettre en place un ensemble d’actions complémentaires et coordonnées impliquant tous les acteurs ».

Ce nouveau rapport servira sans doute de matière aux débats autour de la future loi sur la création promise par Aurélie Filippetti, prévue pour être mise en œuvre en 2015, et qui devrait mettre fin à l’Hadopi dont les pouvoirs seraient alors transférés au Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Près de 230 millions de dollars de recettes publicitaires annuelles sont réalisées par quelque 600 sites illégaux aux Etats-Unis, selon une étude de la société Medialink citée par le quotidien Les Echos du 12 mai 2014, s’assurant ainsi une rentabilité de 80 % à 94 %. Opérant à partir de pays peu scrupuleux du droit d’auteur, ces sites de téléchargements massifs profitent, de surcroît, du manque de coopération judiciaire entre les Etats.

Les outils opérationnels de prévention et de lutte contre la contrefaçon en ligne, rapport à Madame la ministre de la culture et de la communication, Mireille Imbert-Quaretta, conseillère d’Etat, rapporteur : Louis Dutheillet de Lamothe, maître des requêtes, culturecommunication.gouv.fr, mai 2014

Docteur en sciences de l’information et de la communication, enseignant à l’Université Paris-Panthéon-Assas, responsable des opérations chez Blockchain for Good

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