CJUE, 11 septembre 2014, Technische Universität Darmstadt c. Eugen Ulmer KG C-117-13
Par un arrêt du 11 septembre 2014, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) interprète des dispositions de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 relatives à diverses exceptions au droit patrimonial d’auteur. Elle consacre non seulement le droit, pour les bibliothèques, de numériser les ouvrages de leurs fonds et de les mettre ainsi, sur place, à la disposition des lecteurs, mais également le droit, pour ces derniers, d’en faire des copies.
Supposées contribuer à une large diffusion des œuvres, l’accumulation et la combinaison des exceptions au droit patrimonial d’auteur, privant les titulaires de droits de la maîtrise de leurs créations et de leurs productions et de leur juste rémunération, ne risquent-elles pas, à plus ou moins long terme, de les dissuader de continuer à exercer leurs activités ? Le droit des bibliothèques et le droit des lecteurs, ainsi consacrés par la CJUE, méritent assurément examen.
Droit des bibliothèques
S’agissant du droit des bibliothèques, la CJUE ne fait que confirmer le sens et la portée des dispositions de la directive et ainsi du droit français comme des autres droits nationaux.
L’article 5 de la directive dispose que « les Etats membres ont la faculté de prévoir des exceptions ou limitations aux droits » de reproduction et de communication au public « lorsqu’il s’agit de l’utilisation, par communication ou mise à disposition, à des fins de recherche ou d’études privées, au moyen de terminaux spécialisés, à des particuliers, dans les locaux » de bibliothèques accessibles au public, « d’œuvres et autres objets protégés ».
Dans le même esprit, l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle français dispose que « l’auteur ne peut interdire […] la reproduction d’une œuvre et sa représentation effectuées à des fins de conservation ou destinées à préserver les conditions de sa consultation à des fins de recherche ou d’études privées par des particuliers dans les locaux de l’établissement et sur des terminaux dédiés par des bibliothèques accessibles au public ».
A cette faculté, la Cour de justice en attache une autre dont les conséquences sur les droits des auteurs sont bien plus grandes et préjudiciables.
Droit des lecteurs
Dans l’affaire dont la CJUE était saisie, au-delà d’une mise à disposition des ouvrages numérisés sur des postes disponibles dans la bibliothèque, les lecteurs pouvaient les imprimer sur papier ou les stocker sur une clé USB et donc les emporter.
Pour la Cour, la directive et les législations nationales doivent être interprétées en ce sens qu’elles n’autorisent que la mise à disposition, dans les locaux des bibliothèques, des ouvrages numérisés par elles. Ne sont pas ainsi couverts les transferts sur différents supports permettant aux lecteurs d’en faire des copies pour en disposer à l’extérieur. La formulation d’une autre des exceptions au droit patrimonial d’auteur va cependant leur en reconnaître le droit. L’article 5 de la directive accorde aux Etats membres « la faculté de prévoir des exceptions ou limitations au droit de reproduction […] lorsqu’il s’agit de reproductions effectuées sur papier » ou sur tout autre support « à condition que les titulaires de droits reçoivent une compensation équitable ».
De la même manière, l’article L. 122-5 CPI dispose, de façon générale, que « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire […] les copies ou reproductions réalisées à partir d’une source licite et strictement réservées à l’usage privé du copiste ». En compensation, l’article L. 311-1 du même code énonce le principe d’un droit à « rémunération pour copie privée » au titre des reproductions réalisées sur support numérique.
Pour la Cour de justice, les facultés ainsi offertes aux lecteurs doivent pouvoir être admises. Profitant de l’évolution des techniques, la prochaine étape ne sera-t-elle pas, dispensant les lecteurs de se déplacer, de leur permettre un accès en ligne et le téléchargement des ouvrages ? Pourquoi et comment leur refuser ce droit ? Prétendant satisfaire ainsi le droit du public à la connaissance et à la culture, ne risque- t-on pas de priver les titulaires de droits de la maîtrise des œuvres et d’une juste rémunération dans des conditions telles qu’ils seront dissuadés, sinon empêchés, de continuer à exercer leurs activités ?