Amazon se met d’accord avec Hachette mais s’attire les foudres avec Kindle Unlimited

En trouvant un accord avec Hachette sur la distribution des livres numériques, Amazon règle un conflit qui lui a valu une presse très hostile. Mais le lancement de Kindle Unlimited engendre de nouveau une fronde des auteurs et des éditeurs.

Hachette Book Group et Amazon ont fini par s’entendre, après six mois d’un conflit commercial violent rendu public (voir La REM n°32, p.6). A l’occasion de la renégociation de leur accord pluriannuel de commercialisation des livres aux Etats-Unis, Amazon a souhaité une baisse des prix des livres numériques afin de développer le marché, quand Hachette Book Group s’y est opposé, la crainte des éditeurs étant que la baisse des prix sur le marché numérique soit une première étape dans la dévalorisation de leurs produits. Amazon a, pour forcer la main à Hachette, rallongé les délais de livraison des livres édités par Hachette, supprimé les précommandes et toutes les promotions. Hachette, de son côté, a fait savoir au monde entier quelles étaient les pratiques d’Amazon, ce qui a suscité une mobilisation sans précédent de la ligue des auteurs américains, Authors United. Finalement, le 13 novembre 2014, les deux parties ont annoncé avoir signé un accord sur la commercialisation des livres aux Etats-Unis, chacun faisant des concessions. Amazon laisse à Hachette le soin de fixer le prix de vente au détail des e-books. Mais Amazon incite Hachette à baisser ce prix en offrant des conditions avantageuses, notamment une promotion renforcée en cas de baisse des prix.

Toutefois, les conflits entre Amazon et les éditeurs ne sont pas près de s’éteindre, la stratégie proconsommateurs d’Amazon remettant systématiquement en question les structures du marché du livre, construit historiquement autour de l’offre, en fonction des besoins des éditeurs. Amazon a ainsi lancé son offre d’emprunt illimité de livres, baptisée Kindle Unlimited, d’abord aux Etats-Unis en juillet 2014, puis en Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne et, enfin en France, le lancement du service dans l’Hexagone ayant été annoncé le 11 décembre 2014. Or, cette offre fait voler en éclats l’idée même de prix du livre puisqu’elle intègre le livre dans un catalogue consultable à volonté, à l’instar du streaming musical pour Deezer et Spotify, ou de la SVOD pour Netflix. Autant dire que les éditeurs voient d’un très mauvais œil cette nouvelle tentative d’Amazon, qui consiste d’abord à répondre à un besoin jugé latent chez les lecteurs, plus qu’à préserver et développer le marché du livre numérique. En effet, celui-ci se porte mieux avec des livres vendus à plus de 10 euros pièce qu’avec des abonnements à 9,99 euros par mois pour le Kindle Unlimited.

C’est ce qui explique qu’aucun grand éditeur français n’ait signé avec Amazon, le même constat valant pour les Etats-Unis où l’offre est essentiellement constituée de titres autoédités sur la plate-forme Kindle Direct Publishing d’Amazon. En France, l’offre du Kindle Unlimited est constituée certes de 700 000 titres, mais seulement 20 000 titres sont en français, pour l’essentiel des fonds de catalogue. D’ailleurs, les éditeurs, mais aussi les auteurs, se sont élevés en France contre ce nouveau service, les éditeurs craignant une remise en cause du prix unique du livre, les auteurs une baisse importante de leur rémunération, comme c’est le cas par exemple sur le streaming musical. Aux Etats-Unis, les auteurs autoédités sur Amazon ont ainsi fait part d’une baisse de leur rémunération six mois après le lancement de Kindle Unlimited, les ventes chutant brusquement et les consultations rapportant moins, sauf à multiplier les micropublications (l’auteur est rémunéré au nombre de livres lus et non au nombre de pages lues).

En France, les éditeurs ont été entendus, et Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication, a missionné Laurence Engel, médiatrice du livre, pour « rendre son avis sur l’articulation des offres par abonnement avec le cadre fixé par la loi », l’offre Kindle Unlimited pouvant être jugée illégale dès lors que ce n’est plus l’éditeur qui fixe le prix du livre, mais le distributeur, lequel fixe un prix pour l’abonnement. Enfin un nouveau contrat unique entre auteur et éditeur a été signé en décembre 2014 pour éviter qu’Amazon n’attire en France les plumes de ceux qui souhaiteraient se faire autoéditer en ligne. En effet, Amazon a fortement développé l’autoédition aux Etats-Unis, qu’il utilise comme une alternative pour constituer face aux éditeurs une offre de livres en ligne commercialement beaucoup plus attrayante. En France, ce sera plus difficile car le nouveau contrat unique prévoit que l’éditeur dispose des droits sur la version papier et numérique de l’œuvre. Tant que le livre papier reste beaucoup plus rémunérateur que sa version numérique, l’éditeur a donc l’avantage et conserve par défaut le contrôle du marché des livres numériques. Le nouveau contrat adapte également les modalités de rémunération des auteurs aux nouvelles formes de distribution en ligne du livre. En cas de distribution gratuite avec financement publicitaire, l’auteur perçoit un pourcentage des recettes publicitaires. En cas de distribution dans un catalogue accessible sur abonnement, à l’instar du Kindle Unlimited, l’auteur sera rémunéré en fonction du nombre de consultations de ses ouvrages et du prix des forfaits acquittés par les clients. Mais, en l’occurrence, le vrai problème reste de savoir quels livres peuvent figurer dans ces catalogues sans trop fragiliser le modèle économique de l’édition, ce qui passe probablement par un décalque, pour le livre, de ce qu’est la chronologie des médias au cinéma. Cela permettrait de rendre les fonds de catalogue disponibles à des coûts raisonnables, ce qui leur donnerait un intérêt commercial nouveau et répondrait à l’un des grands handicaps du livre papier, à savoir la raréfaction de l’accès au patrimoine littéraire encore sous droit dès qu’est écoulée la période de commercialisation faisant suite à la sortie de l’ouvrage.

Sources :

  • « Prix des e-books : Hachette et Amazon parviennent à un accord », Le Figaro, 14 novembre 2014.
  • « Hachette Livre et Amazon enterrent la hache de guerre », G.P., Les Echos, 14 novembre 2014.
  • « Les éditeurs modernisant leur contrat pour contrer Amazon », Chloé Woitier, Le Figaro, 10 décembre 2014.
  • « Amazon lance son offre de lecture illimitée sans les grands éditeurs français », Sandrine Cassini, Les Echos, 12 décembre 2014.
  • « Amazon lance son « Netflix du livre«  en France », Chloé Woitier, Le Figaro, 12 décembre 2014.
  • « Levée de boucliers contre le Kindel Unlimited d’Amazon », Alexandre Debouté, Le Figaro, 24 décembre 2014.
  • « L’Etat veut vérifier la légalité de l’offre « illimitée«  d’Amazon », Grégoire Poussielgue, Les Echos, 24 décembre 2014.
  • « Kindle Unlimited : les auteurs déchantent », Chloé Woitier, Le Figaro, 6 janvier 2015.
Professeur à Aix-Marseille Université, Institut méditerranéen des sciences de l’information et de la communication (IMSIC, Aix-Marseille Univ., Université de Toulon), École de journalisme et de communication d’Aix-Marseille (EJCAM)

2 Commentaires

  1. Je trouve Kindle Unlimited très intéressant, je suis abonné depuis quelques mois et cela permet de découvrir pleins de super ebooks notamment :
    – Orianne Papin – Demain Je Meurs
    – América Trumy – Pétasses
    – Mickaël Parisi – Néant
    Il ne faut donc pas cracher sur les multinationales telles qu’Amazon. Puis quand on est un grand consommateur de livres, l’investissement est vite rentabilisé.

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