Les deux cofondateurs du géant internet, Sergey Brin et Larry Page, ont procédé à la réorganisation des nombreuses activités de Google Inc. afin d’offrir davantage de lisibilité aux investisseurs, quitte à se recentrer sur leur métier d’origine. Le moteur de recherche et le système d’exploitation Android sont visés, dans le même temps, par les autorités de concurrence en Europe, mais également en Inde, en Russie et même aux Etats-Unis.
Annoncée en août 2015, la restructuration de Google Inc., née en 1998, en une holding cotée en Bourse a pris effet au quatrième trimestre 2015, avec la publication de comptes séparés pour les nouvelles sociétés constituées. Google, doté d’un nouveau logo depuis septembre 2015, désormais filiale de la holding Alphabet Inc., regroupe l’ensemble des activités internet traditionnelles qui constituent la quasi-totalité du chiffre d’affaires et des profits : moteur de recherche, publicité, système d’exploitation mobile, logiciel de navigation, messagerie, plate-forme d’hébergement de vidéos, cartographie, ainsi que l’ensemble des services internet et applications mobiles.
Sept autres filiales ont été créées pour chapeauter, chacune de manière autonome avec à sa tête un directeur général, les projets de toute nature développés jusqu’ici par le géant de Mountain View, mais sans aucune garantie de rentabilité : Google X Labs (Google Glass, Google Car, lentilles de contact pour diabétiques, ballons dirigeables, éoliennes et autres projets baptisés moonshots) ; Calico (recherche pour lutter contre le vieillissement et les maladies dégénératives) ; Fiber (fournisseur d’accès internet par la fibre optique) ; Nest (objets connectés pour la maison) ; Sidewalk Labs (solutions de logistique urbaine liées aux nouvelles technologies) ; Google Ventures et Google Capital (fonds d’investissement). Annoncée au cœur de l’été, le 10 août 2015, cette clarification établie entre les métiers de base du groupe (la recherche sur internet et la publicité en ligne constituant plus de 90 % de ses revenus) et ses projets expérimentaux, voire futuristes, a été saluée par le marché boursier qui accorda d’emblée une hausse de 6,5 % au titre Google, regagnant ainsi son plus haut niveau atteint début 2014.
Selon le nouvel organigramme, Sergey Brin prend la présidence d’Alphabet et Larry Page en devient le directeur général. Président exécutif du conseil d’administration de Google, Eric Schmidt garde la même fonction au sein de la holding. Depuis mai 2015, la direction financière de Google a été confiée à Ruth Porat, arrivée de la banque d’affaires Morgan Stanley. Elle cumulera cette fonction au sein d’Alphabet, avec pour mission de limiter tout à la fois les dépenses tous azimuts en acquisitions ou investissements (+ 23 % en 2014 alors que le chiffre d’affaires n’augmentait que de 18 %), et les embauches nombreuses (environ 2 500 personnes par trimestre en 2014) dans un groupe dont l’effectif dépasse 57 000 employés.
C’est à l’un de leurs collaborateurs depuis dix ans, Sundar Pichai, d’origine indienne, à qui revient notamment le succès du navigateur Chrome lancé en 2008, que les dirigeants d’Alphabet confient la direction de la filiale Google. Outre la poursuite des développements dans le secteur du mobile, devenu crucial, dont il a déjà la charge depuis 2013, le nouveau directeur général aura fort à faire au regard de la complexité des nombreux dossiers juridiques en cours, particulièrement dans le domaine du droit de la concurrence. En avril 2015 et à la suite d’une enquête ouverte fin 2010, la Commission européenne a adressé « une communication des griefs » à Google, pour abus de position dominante dans le domaine de la recherche sur internet. Bruxelles estime que le géant américain met en avant son service de comparaison de prix Google Shopping face aux autres services concurrents de même nature, et donc au détriment de l’information des internautes. Un accord à l’amiable est encore envisageable, bien que fin août 2015 le géant américain ait répliqué à la Commission européenne qu’il jugeait « injustifiées » ces accusations, défendant au contraire l’idée qu’il contribuait à « accroître le choix des consommateurs ». En septembre 2015, le commissaire européen chargé du numérique, Günther Oettinger, s’est déclaré confiant dans la possibilité de conclure avant 2017 ce dossier défendu par la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager. Pour l’heure, le risque subsiste pour Google d’avoir à payer une amende atteignant 10 % de son chiffre d’affaires, soit près de 6 milliards de dollars. Aux Etats-Unis, la divulgation fortuite, en mars 2013, des conclusions d’un rapport de la Federal Trade Commission, rédigé en 2012, a révélé en vain la partialité des résultats proposés par le moteur de recherche, ainsi que les recommandations des experts d’engager des poursuites contre Google (voir La REM n°34-35, p.45).
D’autres menaces pèsent sur le moteur de recherche Google en Inde, en Russie et même aux Etats-Unis. A la suite d’une plainte déposée en 2012 par le site de mariage en ligne, Bharat Matrimony, ainsi que par une association de défense des consommateurs, Consumer Unity, l’autorité indienne de concurrence considère dans un rapport préliminaire, publié en septembre 2015, que « le comportement de Google n’est pas loyal, il est discriminatoire », en offrant « des résultats biaisés » qui favorisent ses propres services. En conséquence, la commission chargée de la concurrence pourrait infliger une amende de plusieurs millions de dollars à l’entreprise américaine, en cas d’infraction avérée. A la suite d’une saisie, par le moteur de recherche russe Yandex, du Service fédéral antimonopole (FAS), fin février 2015, Google a été également reconnu coupable de position dominante, seulement sept mois plus tard, en septembre 2015, sur le marché de l’internet mobile en Russie. Le concurrent russe de Google, Yandex, dont la part de marché de la recherche en ligne est passée de 70 % à 60 % en cinq ans du fait de l’essor de l’internet mobile, est donc parvenu à convaincre le gendarme russe de la concurrence de la culpabilité de Google. Ce dernier imposerait, à travers son système d’exploitation pour téléphone mobile Android qui équipe 86 % des smartphones vendus en Russie, l’installation de ses propres services, ainsi que son moteur de recherche par défaut. Là encore, Google est susceptible d’avoir à débourser le montant d’une pénalité égale à 15 % de son chiffre d’affaires dans les applications mobiles.
Parallèlement, la Federal Trade Commission (FTC), autorité américaine de concurrence, s’interroge aussi sur les pratiques de Google avec son système d’exploitation Android, qui couvre près de 60 % du parc des smartphones aux Etats-Unis. Des plaintes ont été déposées, notamment par des développeurs d’applications, pour dénoncer la pré-installation des services (Gmail, YouTube, Google Maps et le moteur de recherche) sur tout terminal utilisant Android. Avec l’aval du ministère de la justice, reçu fin septembre 2015, la FTC devrait ouvrir une enquête. C’est déjà chose faite, depuis avril 2015, à Bruxelles, où la Commission européenne soupçonne elle aussi le géant américain d’imposer l’usage exclusif de ses propres applications ou services aux fabricants de terminaux mobiles utilisant son système d’exploitation ; ou même d’empêcher le développement et la commercialisation des appareils dotés d’une version modifiée d’Android (baptisée fork) – le code source de ce dernier étant libre – et potentiellement concurrente puisqu’elle donne accès à d’autres applications et services mobiles.
Dans un article intitulé Peak Google, posté sur son blog stratechery.com en octobre 2014, le consultant Ben Thompson explique que, comme IBM dans les années 1980 et Microsoft dans les années 2000, Google pourrait bien être « une entreprise très rentable qui, pour le moment, embrasse l’industrie des technologies et semble infaillible, mais que l’histoire montrera avoir atteint un pic en termes de domination et de pertinence ». Comptant sur une future condamnation de Google par la Commission européenne, le cabinet de conseil bruxellois Avisa et le cabinet d’avocats américain Hausfeld ont lancé, en septembre 2015, la plate-forme web GRIP (Google Redress and Integrity Platform), espérant ainsi être les premiers à proposer leurs services à toute entreprise internet – et pas seulement à celles qui ont porté plainte devant la Commission européenne – souhaitant engager une action en dommages et intérêts auprès du géant américain, contre un pourcentage des indemnités accordées. C’est en effet par leur seule action en nom propre que les entrepreneurs se déclarant lésés par Google peuvent envisager un quelconque dédommagement pécuniaire, sachant qu’une amende infligée par Bruxelles ne leur revient pas mais abonde le budget de l’Union européenne.
Grâce à ses multiples services internet, Google compte plus d’un milliard d’utilisateurs. Avec ses dizaines de milliards de pages indexées, le moteur de recherche fait tourner ses algorithmes dans les domaines les plus divers, notamment aujourd’hui l’automobile ou la santé. Fin août 2015, une nouvelle filiale d’Alphabet a été créée pour regrouper les projets de recherche dans le domaine de la santé. Baptisée Life Sciences, cette nouvelle entité a conclu un partenariat portant sur l’exploitation de données appliquée au traitement du diabète avec le laboratoire français Sanofi, deuxième acteur mondial avec près d’un quart d’un marché estimé à plus de 35 milliards d’euros en 2014.
« Si vous n’échouez pas beaucoup, c’est que vous manquez d’ambition » : cette devise d’Astro Teller, directeur du « laboratoire secret » de Google X Lab, semblait inquiéter les marchés financiers, pour lesquels l’innovation chez Alphabet devrait bientôt rimer avec rentabilité.
Sources :
- « Le modèle de Google peut-il ne reposer que sur la publicité ? », La Correspondance de la Presse, 26 mai 2015.
- « Google renaît sous le nom d’Alphabet », Elsa Conesa, Les Echos, 12 août 2015.
- « Les sept autres entités du holding », B.G. Les Echos, 12 août 2015.
- « Et Google devient Alphabet », Jérôme Marin, Le Monde, 12 août 2015.
- « L’irrésistible ascension de Sundar Pichai », Jé. M., Le Monde, 12 août 2015.
- « Google réfute les accusations de Bruxelles », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 29 août 2015.
- « Google accusé de profiter de sa position dominante en Inde », La Correspondance de la Presse, 2 septembre 2015.
- « Sanofi s’allie à Google pour traiter le diabète », Chloé Hecketsweiller, Le Monde, 2 septembre 2015.
- « GRIP, le site Web qui part en croisade contre Google », Cécile Ducourtieux, Le Monde, 2 septembre 2015.
- « Google reconnu coupable d’avoir enfreint la loi sur la concurrence en Russie », AFP, tv5monde.com, 15 septembre 2015.
- « Enquête antitrust contre Google : Bruxelles confiant d’arriver au terme du dossier », AFP, tv5monde.com, 25 septembre 2015.
- « Google à nouveau visé par l’antitrust américain », Stéphane Lauer, Le Monde, 29 septembre 2015.